Chapitre 7 : Andréa

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Le voyage s'est déroulé sans un mot. Entre les soldats taciturnes qui m'encadraient et la tristesse que j'éprouvais à cause du départ, nous n'avions pas l'humeur à la conversation.
Nous roulons depuis près d'une heure, et je n'ai aucune idée de l'endroit où nous nous trouvons. Il ne s'est passé que quelques instants entre l'atterrissage de l'avion et l'embarquement dans le véhicule militaire qui nous attendait à l'aéroport, je n'ai pas pu voir grand-chose du paysage.
Je commence à avoir la bougeote.

- C'est encore loin ? Quelle heure est-il ?
Le soldat qui m'a accueillie au Pas-de-Calais me regarde comme si je lui parlais dans une des Langues Révolues.
- Vous ne pouvez pas savoir. L'emplacement de la Base de recrutement est tenue secrète, de même que le Siège des Espoirs.

Le décalage horaire pourrait donc me révéler vers quel pays je me trouve. La distance aussi, par conséquent. Voyons...la nuit tombait quand je suis partie, et il faisait jour en sortant de l'avion.
Nous sommes donc beaucoup plus à l'ouest que je ne le pensais.
Qui sait, peut-être allons-nous dans les forêts tropicales du Brésil ? Ou bien les montagnes de Colombie ? Ces destinations me font rêver, et je m'imagine des paysages tous plus exotiques les uns que les autres, comme dans le livre d'images que me montrait parfois Georgie. Même son caractère de cochon va me manquer, à présent.

Soudain, le camion s'arrête. Je lève les yeux avec espoir et un des militaires me fait signe de descendre.
Dehors, mon enthousiasme retombe vite. D'un côté, les plaines s'étendent à perte de vue, des pierres énormes surplombent le rivage de l'océan. De l'autre, des bâtiments clairs se dressent les uns après les autres. Leurs murs blancs et leurs grandes vitres me font penser à une riche entreprise ou université.

Mes gardes bourrus me conduisent dans le grand hall vitré, qui est très lumineux. Ils me rendent mes bagages, puis m'abandonnent à une assistante qui me conduit en silence à travers ce gigantesque édifice. Les murs se resserrent au fur et à mesure que nous parcourons les couloirs, et nous arrivons devant une suite de portes avec pour seule différence une plaque gravée d'un numéro. La femme me montre la 135.

- Votre chambre, mademoiselle. On viendra vous chercher les jours suivants pour passer les épreuves. Ne sortez pas sans quelqu'un pour vous accompagner. Les repas vous seront apportés. Je vous conseille de vous reposer. Bonne chance.

C'est ainsi que, sur ces mots, elle part aussi vite que lui permettent ses talons, me laissant seule dans la chambre. Elle est spacieuse mais simple, et dans les mêmes tons que l'extérieur du bâtiment. La seule chose qui vient agayer le décor pâle est la couverture bleue du lit. Au moins, je dormirai confortablement cette nuit.
Ce n'est qu'après avoir vu le lit que je me rends compte à quel point je suis épuisée. Sans doute le décalage horaire. Bah, je peux bien m'accorder une petite sieste. De toute façon, ce n'est pas comme si j'avais autre chose à faire...le matelas a l'air si moelleux...

Les rayons du soleil levant me tirent doucement du sommeil. Cela faisait des années que je n'avais pas aussi bien dormi. Un plateau contenant mon petit-déjeuner est posé sur la table de chevet, avec un mot. "Soyez prête à sept heures tapantes pour le début des épreuves. Tout retard s'ensuivra de votre disqualification."
L'horloge accrochée au mur indique six heures et demi. Zut ! Plus qu'une demi-heure pour me préparer !

Je me dépêtre des draps et j'engloutis les tartines le plus vite possible. J'ouvre l'armoire, elle est pleine à craquer de tenues toutes plus variées les unes que les autres. J'opte pour une combinaison noire confortable et j'attache mes longs cheveux roux en un chignon serré. Aucune mèche ne viendra me gêner la vue. Je complète ma tenue avec des bottes à semelles épaisses. Je me regarde ensuite dans le miroir, satisfaite. Je ressemble à une espionne avec ce style discret et près du corps. Quoi de mieux pour quelqu'un qui sera au service du gouvernement ? Cette pensée m'arrache un sourire.

À l'heure prévue, on vient frapper à ma porte. C'est une femme militaire qui m'escorte à travers le dédale qu'est la Base de recrutement, elle a un badge accroché à sa veste, où il est inscrit "Andréa, 135". J'en déduis qu'elle sera responsable de moi durant toutes les épreuves.
Elle s'arrête brusquement et me lâche ces quelques mots :
- Entrez dans cette pièce. Vous avez trois heures pour répondre aux questions.

La pièce est meublée uniquement d'une chaise et d'un bureau, une pile papier est posée sur ce dernier.
Dès la première question, je me sens découragée : " Comment définissez-vous les liens politiques et culturels entre les différents pays puissants avant l'unification gouvernementale ? " . Je n'étais même pas née, comment aurais-je pu le savoir ? Je sais qu'avant, les adolescents apprenaient le passé à l'école, mais aujourd'hui, ceux qui le font sont destinés à cette carrière dès la naissance. Personne ne prend plus la peine de connaître le passé, et se concentrent tous sur le présent, puisque avoir un futur ne semble plus être possible.

Bon, on respire. Toutes les questions ne seront pas aussi dures. Je les survole, puis, à la dixième page, l'une d'entre elles attire mon attention. "Quelles sont les araignées les plus mortelles au monde ? Citez les dans l'ordre de mortalité et présentez leurs principales caractéristiques". Ça, je le sais. Les questions suivantes sont très similaires, portant sur la faune et la flore, sujet que je connais très bien grâce à mes parents. J'écris tout ce que je sais dessus, j'espère que ça me rajoutera quelques points car je suis en assez mauvaise posture : je ne parviens à répondre à aucune autre question. Tout le reste n'est que charabia pour moi.

La situation économique des États-Unis avant la démission du président Sturn, faire un schéma du moteur d'une Ferrari, tout cela m'est étranger. Je termine le questionnaire tant bien que mal, mais j'ai l'impression de ne faire que des hors-sujets.
La soldate me raccompagne jusqu'à ma chambre, et je m'allonge sur le lit en essayant de faire le tri dans mes pensées.

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