Chapitre 4 : L'Accident

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ZAÏON

À califourchon sur ma monoplaneuse, je suis en route pour le chantier de la tour Tundelle où se trouve Rissane quand je reçois un message de Lune. Ma montre affiche trois petits mots qui frôlent l'interdit. Preuve irréfutable que ma cliente aime trop jouer avec les limites. Depuis le début de son année d'alliance, flirter pour de faux avec un Acharnel — à savoir : moi — est devenu un de ses passe-temps favoris. Parfois, je rentre dans son jeu, parfois non, c'est aléatoire.

« Tu me manques », je relis après avoir dépassé une planeuse rose conduite par un homme aux cheveux de la même teinte.

Son ami, Zaïon, pourrait lui répondre un innocent « toi aussi », qu'elle pourrait interpréter à sa guise, mais ce serait un mensonge. La seule personne qui m'ait manqué est mon père adoptif. J'avais douze ans quand il a perdu la vie dans un accident à la centrale à fusion où il travaillait. Une semaine de deuil, de cette étrange sensation de cœur qui se serre, quelques sanglots, puis plus rien. Pour la première fois de ma vie, j'étais heureux d'être né Acharnel.

Un second message fait frémir mon poignet : « Clary est d'un ennui ». Lune est irrécupérable ! Clary est sa troisième garde du corps, elle exerce en alternance avec Artold et moi. Si ce dernier et moi-même sommes du genre taciturne, Clary en est l'incarnation. Je laisse ses messages en vus et gare ma mono sur le parking ferromagnétique qui la maintient en suspension au-dessus du sol.

Le chantier est titanesque, un véritable monstre de métal et de béton qui étend ses griffes d'opaline jaunes, vertes et bleues vers la clarté du ciel. Je dois me casser le cou pour en apprécier toute la hauteur. Ce sera une tour magnifique une fois finie, dix fois plus haute que sa petite sœur, la tour Eiffel. Celle-ci a été repeinte en or rouge et surplombe le plus grand marché d'Acharnels de la capitale. Néanmoins, à côté de la tour Tundelle, elle a l'air d'une pâle copie.

— Zaïon ! m'interpelle un jeune homme en casque et harnais, suspendu à un épais morceau de ferraille. Tu cherches ta sœur ?

Je reconnais Rayan et ses interminables cheveux blonds, et hoche la tête. Il m'indique une grue à l'autre bout du terrain.

Je mets une main en visière.

— Elle n'est pas en pause ? l'interrogé-je assez fort pour couvrir la cacophonie partagée des pelleteuses, des marteaux-piqueurs et des gravats qui dégringolent.

— Bientôt. Les grutiers ont pris du retard.

Je lève un pouce en signe de remerciement et m'enfonce dans la zone « interdite au public », les cheveux déjà couverts de poussières. Avec une sœur comme Rissane, tout le chantier a déjà entendu parler de moi et de mon poste auprès de la famille Belfeuil. Ce n'est pas faute de lui avoir répété de garder ces informations pour elle. Elle se justifierait en me disant que ces collègues sont des gars sympathiques et que le taux de criminalité d'Apris ne dépasse pas les 1%. Pour ma part, je pense qu'on devrait légaliser les muselières pour les bavards...

Tout en saluant les ouvriers que je reconnais, j'enjambe les parpaings, évite les tiges de ferraille et me fraye un chemin à travers les monceaux luisants de fer d'opaline. La quasi-totalité de ces matériaux a été offerte par la Région Centrale. En gage de reconnaissance, les autorités de notre Région ont nommé ce monument tour "Tundelle". Un hommage à un grand général centralien : Kréo Tundelle. Lui, Mariam Delmère, la présidente de l'ex-France, ainsi que plusieurs présidents de la Région Sud ont permis la résolution du Troisième Conflit Mondial. Grâce à eux, la paix règne dans le monde entier, en un glorieux héritage. Nous ne conservons que peu de contacts avec les autres grandes Régions, mais nos rapports sont bienveillants, notamment avec les Régions Centre et Sud.

ACHARNEL | Cet Amour Maudit [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant