Chapitre 2 : Pâquerettes, Pissenlits et Jonquilles

83 13 36
                                    

LUNE

Mes yeux fuient vers Zaïon, debout les mains derrière le dos, à la lisière de la clairière. Son uniforme anthracite emprunte les reflets verdâtres du feuillage et se fond dans l'ombre des arbres. Il porte une tenue à la pointe de la technologie, exigence de ma mère. Ses cheveux bruns glissent sur ses sourcils épais et assombrissent autant que peuvent l'être ses iris d'acier saisissants. J'ai rarement vu d'homme capable de mêler classe et nonchalance aussi aisément. Il sonde la clairière où Xaver et moi pique-niquons, ce dernier me tire de mes songes, juste avant que ma vision ne confronte celle de mon garde.

— Donc tu aimerais retourner travailler sur les magi-droïdes ? m'interroge-t-il en passant une main dans ses tresses noires.

Elles sont attachées en un chignon soigné à l'arrière de son crâne si bien que je ne parviens pas à les compter. Je suppose qu'il en a neuf. Zaïon, lui n'en a aucune. Le privilège des tresses — si on peut parler de privilège vu le temps que je passe à me coiffer — est réservé aux Charnels.

— Sans hésiter ! m'exclamé-je. Quand j'ai quitté le laboratoire, nous travaillions sur un meilleur positionnement des capteurs pour les droïdes de petites tailles. Nous cherchons à développer une proprioception plus précise chez les robots pour affiner leur mouvement et leur détection de l'environnement. Ce n'est pas une tâche facile surtout avec le système de batterie qui occupe pas mal d'espace, mais nous trouvons toujours des solutions.

Je suis persuadée qu'en le noyant de quelques termes techniques, je finirais par l'étouffer d'ennui.

— C'est intéressant et très impressionnant.

Loupé.

Se rend-il compte que je suis en train de le tester ? Certainement. D'ailleurs, lui aussi doit être en train de le faire. C'est pour ça que nous sommes ici, dans une des dix clairières du parc de l'Arbre-Cœur : pour évaluer notre compatibilité. Pour se tester.

— Tu as le même âge que moi, je suppose que tu as aussi sauté quelques classes, devine-t-il en étirant les lèvres.

Ce sourire lui va comme un gant. Il fait ressortir ses yeux d'ébène et sa peau brune, déjà bien mise en valeur par sa chemise aux motifs orange et marron.

— Deux.

— Ça nous fait un point commun, dit-il en ouvrant son panier-repas pour en sortir une salade composée et une jolie quiche dorée. C'est mon tour de nous régaler !

Les mini-sandwichs et les bâtonnets tomate-fromage que j'ai préparés pour l'apéritif ont l'air de lui avoir plu, mais j'appréhende toujours le moment du dessert. La croûte était si belle que je n'ai pas osé piquer un couteau dans mon gâteau. Je découvrirai la cuisson en même temps que Xaver. Suspense, suspense.

Il me sert une belle part de guiche dans une des assiettes en porcelaine que j'ai amenées, ajoute de la salade, puis décide de me resservir un peu de rosé. Attentionné et galant, il marque des points le Xaver. Seulement, je remarque un problème d'envergure...

Je porte le vin à mes lèvres pour faire diversion, mais mon froncement de nez me trahit.

— Le rosé ne te convient pas ? plisse-t-il les sourcils, inquisiteur.

— Je n'aime pas les lardons, avoué-je en désignant les gros morceaux roses luisants qui parsèment ma guiche. Mais ne t'inquiète pas, je suis une pro du tri alimentaire.

Mes parents se sont souvent tiré les cheveux devant la lenteur que je mettais à manger étant petite. S'il y avait un aliment qui me rebutait, il finissait dans un coin de mon assiette. Et cela, peu importe la difficulté du tri. Le maïs dans une salade, pas un problème. Les petits pois dans un riz frit, non plus !

ACHARNEL | Cet Amour Maudit [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant