ACHARNEL | Cet Amour Maudit [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]

Chapitre 1 : Les Tresses

ZAÏON

Ce jour-là, Lune Belfeuil en a dix entrelacées sur le crâne en une coiffure sophistiquée, dix longues tresses rouge corail, symbole de son rang. En tant que Charnelle, elle en a deux sous ses tempes. Une troisième preuve de sa majorité glisse près de sa nuque. Six autres se croisent sur le sommet de sa tête et rejoignent un chignon bas, témoins de ses six années d'études. La dixième et dernière se cache quelque part dans cette soyeuse masse rougeoyante, récompense reçue en tant que majeure de sa promotion.

D'un geste du menton à Artold, je prends la suite de la garde. Les épaisses portes automatiques émettent une sorte de « sssclac » et se referment derrière lui alors que je prends position dans le séjour, mains dans le bas du dos.

— Derrière le pot de fleurs, sur la cheminée, déclaré-je sans même la saluer.

Le sourire de Lune se transforme en une moue renfrognée alors qu'elle fait signe à Tire-d'Aile de sortir de sa cachette, exactement où je l'ai deviné. Tire-d'Aile est un dragon-droïde d'une dizaine de centimètres, tout de capteurs, de batteries et d'un alliage de viridium ultra-léger. Le faible crissement métallique de ses articulations, imperceptible pour les Charnels, ne manque jamais de me mettre sur la bonne piste.

— Comment as-tu fait cette fois ?

Un pied sous la cuisse et les coudes de part et d'autre de son assiette vide, Lune me scrute de ses yeux noisette. Le reste de la vaisselle en bronze ne contient plus que des bouts de crêpes, de fromage frais et de viennoiseries. La coupelle à fruits en revanche est encore pleine à craquer.

— Il serait temps de trouver des cachettes à la hauteur de mon talent, j'ignore son interrogation.

Derrière ma cliente, les baies vitrées laissent filer les lueurs orangées du soleil matinal. L'immense bouquet de roses rouges au centre de la table se gorge de sa lumière.

— Sale arrogant d'Acharnel, marmonne-t-elle avant d'ajouter à son dragon métallique : tiens Titi, tu l'as mérité.

Elle lui tend la montre connectée à son poignet où s'affiche un dessin de viande rouge grillée. Le petit droïde y frotte tout le long de sa gorge avec une joie bien robotique, battant des ailes à mesure que les LED derrière ses oreilles passent du vert au bleu pétant. Une fois satisfait, il s'envole sur l'épaule de sa maîtresse. Les prunelles de celle-ci brillent d'intelligence et de malice sous ses sourcils corail. Fan de robotique et de fantaisie depuis l'enfance, elle a réussi l'exploit de combiner les deux en inventant ces magi-droïdes. Un véritable succès commercial dans toute la Région Est. Ses professeurs en ont tiré les plus gros lauriers, mais dans l'intimité du monde scientifique, tout le monde reconnaît la valeur de Lune Belfeuil.

— Je connais ce regard, me décrypte-t-elle, ne commence pas à me raconter tes inepties sur le fait que seuls les Charnels peuvent être aussi créatifs.

C'est exactement la conclusion à laquelle j'allais venir.

— Une fille de ma promotion était une Acharnelle et elle était brillante, cite-t-elle pour me clouer le bec.

— Je ne faisais qu'admirer votre talent, mens-je dans un rictus, et votre resplendissante coiffure.

Elle lève un doigt vers moi et fait jouer ses lèvres roses déjà maquillées :

— Je pourrais prendre cela pour du flirt.

— Venant de moi, jamais.

Nous échangeons un regard entendu.

Je suis un Acharnel, un humain aux émotions limitées, incapable d'amour ou d'attachement profond. Mes relations se limitent à de l'amitié, parfois à de l'admiration platonique. Néanmoins, ce que la Mère m'a pris en émotion et en sensation, elle me l'a rendu en force et en acuité sensorielle. C'est le cas pour toutes les personnes porteuses de cette anomalie génétique. Lune en a bien conscience, mais sa curiosité scientifique la pousse à étudier les limites de mes sentiments et de mes facultés. Depuis que je suis à son service, mes journées de travail commencent par une chasse au magi-droïde qui se conclut en trois secondes maximum.