Chapitre 1

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Jada

-Dis-moi, tu me trouves à ton goût ?

Une robe moulante, beaucoup trop courte, rouge criard. Des talons aiguille d'un nombre incertain de centimètres tellement ils sont hauts, des ongles de la même couleur que la robe, plus longs que la vie d'une tortue, des bijoux à n'en plus finir. Tel était le style vestimentaire de Tracy. Nous sommes amies depuis si longtemps qu'il m'arrive parfois d'avoir du mal à me rappeler d'une vie sans elle, et tous les jours elle rend ça très difficile de me rappeler d'une vie où elle portait autre chose que des bouts de tissus.

-Si tu fais du tapin, oui. Je paierai même peut-être le double.

-Tu es une horrible personne.

-Je ne m'en suis jamais caché.

Elle soupire de manière exagérée, l'air de dire « qu'ai-je fais pour mériter pareil sort ? » puis, sors de l'appartement en me souhaitant de passer une bonne soirée.

-J'y compte bien.

Un murmure. Plus pour moi que pour elle. Je ne me souviens pas de la dernière fois où je me suis sentie véritablement heureuse, où j'ai passé une soirée agréable, sans avoir peur, sans me sentir à bout, sans me sentir à moitié morte. J'avais l'impression qu'une partie de mon âme était atrophiée. Je le sentais dans ma vie de tous les jours, je le sentais dans la façon dont mon copain me tenait dans ses bras toutes les nuits. Comme s'il avait peur de me toucher, que ma chaleur l'étouffait, que ma tristesse le détruisait. Alors, tous les soirs où Tracy sortait l'air enjouée en me souhaitant de m'amuser de mon côté, je me répétais cette phrase, comme un mantra, pour me convaincre, me mentir, créer une illusion. Les jours où j'avais de la chance, Tyler me retrouvait dans le salon, s'asseyait près de moi en silence, et regardait les images défiler sur l'écran de la télévision sans vraiment les voir. Les jours les moins chanceux, où il était trop fatigué pour entretenir cette mascarade, trop épuisé pour regarder les épisodes d'une même série repasser en boucle, il prétextait une urgence au boulot et ne rentrait pas. Me laissant confrontée à ma solitude, mes peurs, mes émotions, ou devrais-je dire mon manque d'émotions ?

Quand suis-je devenue si triste ? Tu l'as toujours été. Certainement mais on a convenu de ne pas en parler et jusqu'ici, nous y parvenons plutôt bien. Ne pas en parler, ne pas y penser.

Les rues de Pandor Road étaient les plus mortes qu'il m'ait été donné de côtoyer. Il m'arrivait parfois de sortir à des heures où toute personne normale devrait être dans son lit, collée à son partenaire. Pas moi. Je délaissais mon partenaire et lui choisissais le confort de la nuit à chaque fois que j'en avais la force. Errer dans les rues sombres au début était un essai pour me créer une petite frayeur, me forcer à ressentir ne serait-ce que la peur d'être kidnappée, violée, tuée dans rues endormies de la ville. Au fur et à mesure, mes balades nocturnes sont devenues les seules choses qui faisaient un peu de sens à mes yeux. Tout est noir, calme, froid. Comme dans ma tête, comme dans ma vie. Il m'arrivait de marcher pendant des heures sans avoir de destination précise, de m'arrêter dans le premier café ouvert que je trouvais, boire un café dégueulasse en espérant que l'amertume réveille mes sens.

Le calme de cette ville est ce qui m'a attiré ici quand j'ai décidé de m'y installer. Je fuyais un passé trop encombrant, trop violent, trop bruyant. Je fuyais une mort certaine, et Pandor Road m'avait l'air d'être l'endroit parfait pour se reconstruire. Ce que je me suis efforcée à faire dans un premier temps jusqu'à ce que je réalise que j'avais emporté le mal avec moi. Qu'il était ancré si profondément dans ma chair que je devrais me dépouiller pour m'en débarrasser.

Je me demandais si mon père essayait de me retrouver, si ma mère était morte, si la maison avait brulé. Mes pensées étaient gorgées d'horreurs. Je m'imaginais le pire, l'appréhendais, le réclamais presque. Mon âme l'appelant jour après jour, nuit après nuit. J'étais une loque humaine. Rien ne m'ébranlait plus, rien ne me faisait plus ressentir cette chaleur au creux du ventre. J'étais comme un automate et je me demandais sans cesse pourquoi je n'arrivais pas à me sortir de là. Parce que tu as besoin de te sentir mal, ça fait partie de toi. Parce que pendant longtemps je n'ai jamais eu pour option de me sentir bien.

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