Chapitre 4

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Jada

Je regarde le plafond sans le voir depuis plus d'une heure. Mon dernier souvenir de cette soirée est l'image de Dylan accompagnant une Tracy dans sa chambre bien trop soûle pour marcher droit. Il n'a pas dit un mot de la soirée, je ne suis pas restée longtemps non plus. Après que nous nous soyons rendus à la salle à manger, je manquais trop d'appétit pour me forcer alors j'avais juste pris congés en prétextant des maux de tête. J'avais réussi à dormir quelques heures puis j'étais sortie pour me prendre un verre d'eau dans la cuisine et c'est là que je les avais vu. Elle rigolant comme une folle après avoir sûrement bu plus qu'elle ne pouvait le supporter, et lui la tenant fermement d'un bras autour de la taille pour qu'elle ne tombe pas. Je n'avais plus dormi après ça. Je m'étais jetée sur mon lit et je regardais dans le vide, des images de corps nus envahissant mes pensées. Est-ce qu'il la touchait ? Est-ce qu'ils faisaient l'amour à cet instant précis ? Je connaissais assez Tracy pour savoir qu'aucun homme ne ressortait de sa chambre sans avoir conclu et cette idée me donnait la gerbe. Qu'il puisse être en train de conclure, qu'il puisse être en train de grogner dans le creux de son oreille après s'être obstiné à ne pas me parler de toute la soirée. Même pas un son à mon égard, même pas ne serait-ce qu'un râle de dédain.

Quel culot ! Il vient chez moi et n'a même pas la décence de ne pas baiser mon amie à quelques mètres de ma chambre. Il vient chez moi, me regarde comme un pyromane sur le point d'embraser une ville tout entière et m'ignore la seconde d'après, il vient chez moi et me fait ressentir toutes ces choses, me fait bouillonner d'émotions que je ne pensais plus posséder. Il vient chez moi... qu'est-ce qu'il fout chez moi bordel ! Que fait-il dans un coin aussi paumé que celui-ci, à des milliers de kilomètres de chez lui ?

Il est 23h quand Tyler entre dans notre chambre. Poussée par quelque chose que j'ai trop honte d'admettre, je me jette sur lui. Il porte t un t-shirt blanc que je m'empresse de lui enlever. L'alcool aidant, il ne reste surpris que quelques secondes avant de se laisser aller. Sûrement trop heureux que je le touche de cette façon pour protester. Ses mains sont sur moi très vite, comme s'il craint que je ne change d'avis. Mes lèvres se posent sur les siennes et sa langue vient timidement titiller la mienne, avec hésitation, très peu d'assurance, comme s'il ne sait plus trop comment s'y prendre avec moi. Je ne peux pas l'en blâmer. Son baiser est doux. Trop doux. Pas assez possessif, pas assez intense pour me faire vaciller et oublier tout le bruit autour, pas assez pour me faire oublier ces images, ces voix. Pas assez pour m'empêcher de me sentir sale.

-Jada, tu pleures ?

Je n'avais même pas senti les larmes quitter mes yeux. J'étais tellement absorbée par mes pensées que je m'étais perdue sans le vouloir. A quoi devais-je ressembler en ce moment ? Une femme essayant de raviver une flamme éteinte et échouant lamentablement ?  Je me sens pathétique. A quoi je pensais ? Je n'arrive pas à me donner à qui que ce soit, je n'y suis jamais réellement parvenue. Tyler essuie mes larmes sans se plaindre, sans même se sentir offensé, comme si ma réaction ne le surprenait pas. Je vois dans ses yeux toute la tendresse qu'il me voue et je ne sais pas où me mettre. Je le fais tellement souffrir. Ses yeux marrons sont aussi tristes que les miens, il n'est plus heureux depuis longtemps déjà et je ne peux pas lui promettre que ça changera un jour.

-Dis-moi ce qui se passe ma chérie. Tu peux tout me dire, tu le sais. Pourquoi tu refuses de me parler de ce qui te tracasse ?

-Je...

Je ne sais pas quoi dire. Les mots s'obstinent à rester coincés dans ma gorge. Au début, lui et moi étions les meilleurs amis du monde. J'étais arrivée dans une nouvelle ville, j'avais rencontré Tracy dans un bar où je travaillais pour pouvoir payer mes études, elle était vite devenue une habituée. Un soir, cinq ans après que je ne me sois installée en ville, un jeune homme avec la joie de vivre dans les yeux s'était pointé au bar, ses cheveux blonds coupés à ras, ses tâches de rousseurs lui donnant des allures de bébé, un humour à deux balles, et avait décidé qu'il serait notre ami. Et il l'a été pendant longtemps. Nous étions devenus un trio inséparable. Notre relation était magnifique quand nous n'étions qu'amis. Peut-être parce qu'avec ton ami tu n'as pas à t'ouvrir complètement sur certains aspects de ta personne. Peut-être parce qu'avec ton ami tu peux juste mettre tes démons de côté pendant quelques heures le temps d'un verre et rentrer les subir plus tard chez toi, dans le confort de ta solitude. Peut-être parce qu'avec un ami tu n'as pas besoin de te mettre à nu au sens propre comme au figuré, de partager une certaine intimité. Peut-être parce qu'avec un ami c'est juste plus facile, moins prise de tête, moins délicat.

Il y a 2 ans, le soir de mes 28ans, Tyler m'avait amenée dîner. Un tête-à-tête qui m'avait paru normal vu qu'il nous arrivait souvent de passer du temps ensemble sans Tracy. Je ne pensais pas qu'il y avait plus à ça jusqu'à ce qu'il me dise qu'il avait des sentiments pour moi et qu'il voulait être avec moi. Dans ma perpétuelle quête d'être une personne normale, j'avais accepté. Pensant que le bon fonctionnement de notre amitié voudrait dire qu'une relation amoureuse se passerait tout aussi bien. Me disant que Tyler était le seul homme que j'avais laissé entrer dans ma vie durant les huit dernières années et que ça voulait forcément dire quelque chose. Je m'étais bien trompée. Tyler et moi n'étions faits que pour être amis parce que je n'étais pas prête à me dévêtir comme une relation de cette envergure le demandais, je n'étais pas prête à affronter quoi que soit, je n'étais pas prête à guérir de cette façon-là.

-Pourquoi tu restes avec moi Ty ?

Il ne m'octroie aucune réponse mais je vois la confusion dans ses yeux comme s'il se posait très souvent cette question mais ne trouvais jamais la réponse. Ou alors, la réponse l'effrayait trop pour qu'il se l'admette.

-Tu devrais dormir, je vais sortir me rafraichir un peu d'accord ?

Il hoche simplement la tête, trop abattu par la gravité et la lourdeur de toute cette situation pour me répondre avec des mots. Je me dirige vers la cuisine, les larmes roulant sur mes joues sans jamais s'arrêter. Une fois dans la cuisine, je prends un verre d'eau et m'assois sur le plan de travail. Qu'est-ce que je fous bordel ? Je suis tellement lâche, j'en veux à Tyler de ne pas mettre fin à cette relation pourtant je ne le fais pas non plus. Comme si quelque part, d'une façon assez malsaine, cette toxicité était devenue un confort. Comme si quelque part dans ma folie, le besoin de me détruire exigeait qu'il y ait un spectateur à tout ça. Ne pas me sentir seule même si je le mérite. Avoir un témoin en tout temps. Tout comme lui aussi a été ton témoin. Oui. Je lie les gens à moi de manière sordide et après je leur en veux. Je leur en veux et je m'en veux.

Je sens sa présence près de moi avant même de le voir. Je ne l'ai pas entendu entrer mais je l'ai senti se poster à mes côtés. A bonne distance toujours, ni trop loin, ni trop près. La tête baissée sur mes cuisses, je crains de lever les yeux sur lui, ne sachant absolument pas à quoi m'attendre. Je finis néanmoins par le faire, poussée par une curiosité trop forte. Je le regarde et il me sourit. Pas comme on sourit à quelqu'un que l'on porte dans son cœur, pas comme on sourit à quelqu'un qui suscite de la pitié, de l'empathie, de la douceur en nous. Non. Il me sourit comme un bourreau sur le point d'embraser un pilori, condamnant à mort le pire des criminels. Trop habitué à ôter la vie aux autres que la mort ne l'ébranle plus, qu'il en retire même un petit plaisir mesquin. Il me sourit comme un geôlier devant un prisonnier, trop content de pouvoir m'enfermer dans les trous sans fonds que sont ses yeux, fermer la porte et jeter les clefs. Trop content de m'étouffer. Et pendant une seconde trop longue, j'ai l'impression d'avoir 14 ans à nouveau et n'avoir aucune idée de comment l'approcher.

Je l'observe. Il est plus en ordre que moi pourtant de nous deux, il est celui qui vient de finir de baiser. Cette pensée m'affecte bien plus que je n'aimerais me l'avouer. Je sens cette petite chaleur dans le dos, celle qui brule aussi vite qu'un cocktail bois, kérosène et allumettes. De la colère. Je suis en colère qu'il débarque ainsi dans ma vie, qu'il couche avec mon amie, qu'il se prépare sûrement à faire une connerie puisqu'il s'agit de moi, qu'il va révéler aux seules personnes importantes de ma vie que je suis une fêlée impossible à guérir, qu'il me déteste, que je le déteste.

-Je vois que tu n'es toujours pas une personne de confiance Woods.

C'est sorti tout seul. Je n'ai pas réfléchi avant d'ouvrir la bouche, d'ailleurs je suis tellement choquée que ma main se place instinctivement devant mes lèvres comme pour l'empêcher de s'ouvrir à nouveau. De la provoque Jada ? Sérieux ? Ça a toujours marché sur lui, il a en horreur qu'on lui colle une étiquette, encore moins une qui n'est absolument pas vraie. En quelques minutes j'étais redevenue cette ado cherchant désespérément à obtenir une réaction de lui. Je sens la menace sous-jacente flotter entre nous, la tension bouillonner comme de la lave en fusion au cœur d'un volcan qui dort. À deux doigts de se réveiller, d'exploser, de tout consumer sur son passage mais, à mon plus grand désarroi, il ne dit rien. La maitrise sur sa personne beaucoup plus ferme qu'avant. Le sourire sur son visage s'étire et c'est à ce moment précis que je le vois. Je le vois dans ses yeux. Cette hargne, cette rage. Il ne pliera pas, ne me donnera rien, ne cédera pas. C'est un combat à mort. En effet. Ça l'a toujours été entre nous.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 01 ⏰

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