Chapitre 2

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Jada

-Rappelle moi qui doit venir ce soir ?

-Un mec rencontré dans un bar. Trop beau-gosse pour que je le laisse partir, trop mystérieux pour ne pas être piquée.

-Il a refusé de coucher avec toi ?

-Touché.

Je ris légèrement connaissant très bien mon amie. Un mec n'est mystérieux que s'il ne succombe pas à son charme parce que quel homme dans son état d'esprit normal ne voudrait pas la mettre dans son lit ?

-Et comment tu l'as convaincu de venir ici ce soir ?

Elle me lance un sourire espiègle.

-Je lui ai dit qu'à défaut de coucher ensemble, on pourrait au moins devenir amis. Il a dit oui plus pour se débarrasser de moi qu'autre chose.

-Et tu veux être son amie ?

-Non. Je veux coucher avec. Tu ne suis pas ou quoi ?

J'éclate de rire. Je n'ai jamais pu la suivre. Elle est extravertie, rigolote, la personne qui amène la fête partout avec elle. Je suis son exact opposée. Les gens me mettent mal à l'aise.

-Il est comment alors le bellâtre qui a refusé de te déshabiller ?

-Torride Jada. Il est torride.

Tyler est dans le salon en train de ranger tout ce qui dépasse. Je sais qu'il écoute à moitié notre conversation parce que je le vois esquisser un petit sourire qui me fait l'effet d'un coup de fouet en plein dans le dos. Je ne sais plus quand je l'ai vu sourire avec de la joie dans les yeux pour la dernière fois. Du moins, pas depuis qu'il est avec moi. J'ai l'impression que mon âme nécrose peu à peu la sienne, que ma froideur l'engourdit et ça me rend malade. Pourquoi s'inflige-t-il cela ? Pourquoi je nous inflige ça à tous les deux ? Avant d'accepter de former un couple avec lui j'étais bien au courant de mes problèmes et au départ, j'ai eu l'impression qu'ils s'arrangeaient. J'ai eu l'impression d'y voir un peu plus clair jusqu'à ce que je réalise que non. Notre relation m'a mise face à des choses que je n'étais pas prête à surmonter et je me noyais dedans au lieu d'essayer de m'en sortir. Il ne me touchait plus depuis longtemps, me regardait à peine, et le soulagement que je ressentais était surement la chose la plus difficile à m'avouer. J'étais heureuse de ne plus avoir à lui dire non sans pouvoir lui expliquer pourquoi mon corps ne réagissait plus à son touché, heureuse de ne plus avoir à le sentir se mouvoir en moi telle une dague écartant ma chair et me saignant à blanc, heureuse de ne plus sentir ses mains sur mon corps telle une éponge frottant ma peau pour me laver de péchés que je ne me souviens pas avoir commis. J'étais une saleté de me sentir comme cela, il était une saleté de vouloir continuer à faire semblant, de continuer à m'aimer et à vouloir arranger les choses. Il combattait quelque chose de plus fort que lui, plus fort que moi, qu'il ne comprendrait pas, que je ne lui expliquerais jamais.

Tracy porte une petite jupe noire moulante, un haut de la même couleur, tout aussi minuscule et des escarpins rouges. Elle est rousse, le teint toujours bronzé, un nez aquilin, des yeux ronds couleur azur à croquer, une bouche en forme de ruban qu'elle recouvrait le plus possible de rouge à lèvres, et un sourire enjôleur. Je la trouve très belle, avec et sans ses artifices, et il m'arrive très souvent d'envier sa façon d'accepter sa personne. Elle est superficielle pour bien du monde, elle le sait et n'a jamais prétexter être autrement. Ses centres d'intérêts ne font pas partie de ceux que la société classe comme importants mais, la vérité est que la vie est bien trop courte pour vouloir rentrer dans des cases invisibles. La vie est trop courte pour ne pas juste aspirer à être heureux et ignorer le monde autour. La vie est trop courte pour se laisser mourir comme je le fais.

J'entends sonner. Tracy se précipite vers la porte pour l'ouvrir. Je rejoins Tyler dans le salon pour me mettre à ses côtés. Son parfum m'étouffe une seconde, trop sucré à mon goût. Pas assez boisé. Je n'aime pas et je me le reproche instantanément. J'ai quelque chose à redire sur tout ce qui le concerne, tout ce qu'il fait ou dit me débecte, pourtant il ne fait rien de mal. Il met son bras autour de mes épaules et me rapproche de lui. C'est la seule chose dans laquelle nous excellons depuis quelques temps ; faire semblant. Devant les gens, nous sommes le couple parfait. Devant Tracy ce n'est plus nécessaire puisqu'elle vit avec nous depuis environ six mois. Nous jouions si bien la comédie que c'est devenu comme une seconde nature pour nous de juste revêtir des masques devant les autres durant quelques heures. Quelques heures où nous effleurions du bout des doigts une petite normalité. Une esquisse de ce que la vie aurait pu être si je n'étais pas aussi cassée.

Tracy revient, son invité derrière elle, et pendant une seconde je sens mon monde s'effondrer. Je ne savais pas qu'il en restait quelque chose donc je suis un peu surprise de le sentir se détacher en mille morceaux à mes pieds. Je me reprends néanmoins très vite. Mon regard ancré dans le sien, ne le lâchant plus. Je le regarde, m'abreuve de son reflet sur mes rétines. Je ne l'ai pas vu depuis si longtemps que je pense que mon cerveau me joue des tours. Je l'ai fantasmé si souvent que je pourrais croire en une hallucination si quelqu'un essayait de me vendre cette idée. "Torride" avait-elle dit. Un adjectif à des années lumières de la vérité, un simple euphémisme, un ersatz de ce qu'est en réalité cet homme.

Il porte une chemise col mao noire, sur un pantalon en lin blanc flottant qui donne l'illusion que ses pieds ne foulent pas le sol. Des sandales en cuire noires, un bracelet en argent qui fait remonter des souvenirs enfouis si loin en moi que je manque de rendre mon repas de midi sur le parquet. Son aura me cloue sur place et j'ai l'impression d'avoir à nouveau 14 ans et de me cacher derrière les buissons pour l'observer. Bientôt 15 ans que je ne l'ai pas revu, ses traits d'adolescent ont complètement disparus mais la poigne de sa beauté reste la même. Toujours aussi brute. Je l'ai observé pendant si longtemps que je pourrais en retracer les traits. Sauvage, dangereuse, indomptable, aux contours rugueux, bien trop intense pour y être indifférente. Ses yeux ne me lâchent pas non plus. Son regard d'un noir d'encre me tatouant de son empreinte. L'aiguille invisible sur ma peau répandant une chaleur d'antan. Un sentiment oublié, un rappel à mon humanité.

Ses cheveux sont plus longs que dans mes souvenirs, si longs qu'ils lui arrivent dans le dos à présent. L'éclairage de la pièce donne des teintes cuivrées à son teint naturellement halé. Il me semble sortit tout droit d'un magazine de mode. Sa mâchoire carrée, son visage oblong, sa barbe d'une semaine, ses lèvres pulpeuses. Il transpire la sensualité, le sexe à plein nez, l'érotisme à peine masqué.

Je ne pouvais pas rester dans la pièce. Je m'étais rattraper de justesse pour ne rien laisser transparaitre mais j'étouffais. Son regard me brûlait, les souvenirs défilaient si vite devant mes yeux que ma vision devenait de plus en plus floue. Mes jambes me portèrent vers la salle de bain avant même que je ne puisse réfléchir à comment procéder. En partant j'entendis vaguement la voix de Tracy prononcé les mots qui m'achevèrent.

-Les amis, je vous présente Dylan Woods.

Je ne l'ai pas rêvé alors. Il est bel et bien là.

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