La moquette du couloir absorbe le bruit de mes pas, je retiens mon souffle, comme si troubler la quiétude qui règne derrière ces portes vitrées était un crime. J'entre enfin dans le hall où règne la même effervescence qu'à l'extérieur, si l'on y ajoute les chariots débordants d'accessoires qui entrent et sortent avec frénésie des deux immenses portes derrière lesquelles les studios se préparent pour la journée à venir. Je m'avance timidement jusqu'à l'accueil et interpelle le réceptionniste :
— Euh... excusez-moi je suis...
— QUI EST LÀ ? Sa voix tonitruante est en accord avec sa carrure imposante et il ne m'aperçoit que quand j'agite mes mains au dessus de ma tête
— Je m'appelle Owline Smith, je suis la nouvelle et je ne sais pas où je dois aller, vous pouvez m'aider ?
— Ah c'est vous ! Ravis de vous rencontrer, ça fait plaisir les gens ponctuels dites donc ! Porte de gauche, et ensuite suivez le mouvement ça ira tout seul, au plaisir de vous revoir !
— Merci beaucoup ! À une prochaine fois sûrement !
Je part avec un sourire à l'intention de mon guide, j'ai fait bonne impression dès le début, c'est important, et, si tous sont aussi aimables je n'ai aucune inquiétude à avoir !
Je suis donc ses indications et me dirige vers la porte à ma gauche.
Je pousse le lourd battant de la porte du studio pour entrer dans un univers radicalement différent de celui du hall, avec ses néons aveuglants. Ici, la seule lumière émane des projecteurs braqués vers les plateaux de tournages aux décors de western extravagants. Plongeant le reste de la salle dans une quasi-obscurité, qui, ajoutée à l'incroyable quantité de caisses et de câblages qui recouvre le sol, transforme chaque déplacement en un véritable parcours d'obstacle. Mes yeux s'accoutument rapidement à l'obscurité et je distingue les nombreux employés qui convergent vers le plateau central, je me contente donc de « suivre le mouvement » comme on me l'a conseillé.
Plus j'avance, plus je ralentis le pas, il ne peux pas être si impressionnant que ça, si ? Et pourtant ! Lorsque je le vois au centre du hangar mes jambes me portent à peine, ce n'est pas rien de rencontrer la personne qu'on admire depuis toujours ! Et encore moins quand on travaille pour elle ! C'est donc d'un pas hésitant que je traverse le plateau pour aller à sa rencontre, le DVD dédicacé qui trône sur mon étagère fait pâle figure à côté de ce moment !
Il est là, Le Conducteur, producteur des plus grands westerns jamais tournés, avec plus d'une dizaines de réussîtes internationales à son actif, co-fondateur du meilleur studio d'enregistrement de tous les temps, et surtout, multiple vainqueur des Birds Awards, la plus prestigieuse des compétitions cinématographiques ! Il crie des indications à travers la pièce et guide l'ensemble des manœuvres d'un œil expert depuis son fauteuil.
Je m'avance doucement jusqu'à lui pour me présenter, ma gorge est si serrée que prononcer un traître mot relève de l'exploit ! Je parviens malgré tout à prendre la parole pour articuler mon nom :
— Bonjour ! Je suis...Il m'interrompt avant que je ne puisse finir ma phrase, c'est une manie ici d'interrompre les gens dès qu'ils parlent ?
— Je sais qui tu es gamine. Va me chercher les dossiers chez les scénaristes plutôt que de me faire perdre mon temps pour ne rien dire.
— Euh... d'accord ?
J'avoue que je ne m'attendais pas vraiment à ça, mais il me connais, c'est déjà bien.
Je n'ai plus qu'à suivre ses instructions pour espérer aspirer à plus de considération, mais pour cela il faudrait commencer pas trouver les scénaristes... J'abaisse plusieurs poignées au hasard en espérant trouvé la bonne, ou au moins quelqu'un disposé à m'aider. J'ai quitté l'effervescence des plateaux pour me diriger vers les étages inférieurs, où on trouve les bureaux, pourtant toutes les portes sont fermées à clé et personne ne vient ouvrir lorsque je toque.
Après avoir parcouru plusieurs fois le couloir à la recherche désespérée d'une réponse la curiosité prend le dessus et je colle mon oreille contre une porte dépourvue d'inscription. Là où je n'attendais que le silence comme réponse je distingue pourtant des voix, des chuchotements plus exactement. Pourquoi chuchoter dans un endroit pareil ? Personne en dehors des employés n'a accès à ces couloirs, encore moins la concurrence, alors aucune raison ne m'apparaît comme cohérente. De toute manière cela ne me regarde pas, je range mes interrogations dans un coin de ma tête pour me reconcentrer sur ma mission. Je ne peux pas retourner là-bas sans ces fichus papiers, il en va de mon image aux yeux du Conducteur, même si le temps que j'y retourne il aura sûrement déjà perdu patience...
Je ne m'étais pas trompé, aussitôt revenue sur le plateau principal ses cris me vrillent les tympans. Il ne regarde même pas la liasse de documents que je lui tends et me reproche mon lamentable retard, au fond je le comprends, j'ai pris plus d'une demi-heure pour trouver le bureau des scénaristes...
— Va me chercher un café, cervelle de moineau, et essaie de revenir avant qu'il ne soit froid.
Son ton sarcastique me serre le ventre et mes jambes tremblent tellement que j'ai du mal à ne pas m'effondrer. Je me force toutefois a traverser la pièce sous les regards méprisants de tous les hiboux spectateurs de ma conversation... agitée, avec le chef des opérations. Moi qui voulais faire bonne impression, on ne peut pas vraiment dire que je brille par mes exploits...
Je me fais la plus petite possible en rejoignant la salle de pose, pourquoi le chemin paraît toujours si long lorsque on est pressé ? Heureusement la salle est déserte à cette heure ci et personne n'assiste à ma nouvelle réussite : je me prends les pieds dans le tapis et renverse une boîte de gâteau en me rattrapant à la table, décidément ce n'est pas ma journée... À mon grand désespoir un petit rire se fait entendre derrière moi alors que je réajuste mon chemisier. Je me tourne vers la porte pour découvrir une silhouette adossée à l'encadrement : une élégante jeune femme vêtue d'un impeccable imperméable beige m'observe de son regard charbonneux emprunt de mystère. Le chapeau de feutre posé sur ses cheveux noir de jais projette sur son visage fin une ombre qui ne fait que renforcer l'aura mystérieuse qui enveloppe l'ensemble de ce singulier personnage. Malgré tout, aucune moquerie dans son regard ou dans sa voix lorsqu'elle s'adresse à moi :
— Qu'on bien pu te faire ces pauvres biscuits pour que tu les traites de la sorte ? Son ton rieur dépourvu de tout sarcasme tranche radicalement avec celui emprunt de méchanceté du Conducteur.
— Je..., enfin je ne voulais pas...,j'ai manqué d'attention et... euh pardon..., finis-je simplement par bredouiller.
— Pas d'inquiétude, je te taquine, ramassons ces biscuits avant que quelqu'un n'arrive.
Elle s'agenouille à mon côté et commence à rassembler les gâteaux répandus sur le sol, je l'imite en la regardant du coin de l'œil engloutir trois sablés nappés de chocolat. Un tourbillon de questions enfle dans mon esprit, qu'est-ce qu'elle fait là ? Pourquoi m'aide-t-elle ? Qui est-elle ? Quel est son nom ? Une fois tous les gâteaux ramassés je me redresse et lisse mon chemisier pour me donner une contenance avant de m'adresser à elle dans l'espoir d'en apprendre un peu plus :
— Qui dois-je remercier pour cette précieuse aide ? Sa réponse ne m'éclaire pas vraiment...
— Tu n'aura qu'un prénom aujourd'hui, un sourire malicieux étire ses lèvres et elle me chuchote : Je m'appelle Kate.
Et elle disparaît dans la pénombre des studios dans un cliquetis de talons.
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Once upon a time in the Dead Bird Studios
Roman pour AdolescentsSalut tout le monde ! Cette histoire est inspirée de l'univers incroyable du jeu vidéo A Hat in Time (Que je vous recommande sincèrement !) Certains personnages ainsi que les grandes lignes de l'histoire appartiennent donc à Gears for breakfast ! Ow...