Olivia.
Bureau du Secrétariat d'Etat* du Montana, Ville d'Helena.
6 mois plus tôt.
Une chaleur douce-amère danse sur le bout de mes doigts.
Je ne peux m'empêcher de froisser le papier qui me glisse des mains. Les dictons font la part belle au printemps. C'est lui normalement qui nous renverse ou révolutionne notre monde. Il balaie tout sur son passage d'une brise légère. Pourtant me voilà en équilibre précaire. Le vieux parquet du bureau d'État est devenu bancal. Il craque sous mes pas et son écho fissure mon âme.
En plein milieu de l'hiver, j'ai l'impression d'avoir été fauché par un camion.
Il n'a même pas fait semblant de freiner. Sa course effrénée n'était qu'un leurre. Une distraction pour faire oublier son but ultime. Venir se fracasser contre mon cœur. Une main invisible me projette en avant. Je chancelle sans opposer aucune résistance. Mon front percute la vitre gelée qui nous sépare du froid extérieur. Les dents serrées, je grommelle un juron, qui s'éteint aussi vite qu'il s'est éclipsé d'entre mes lèvres. Mon souffle erratique embue mon champ de vision comme pour dissimuler le trouble qui me dévore. Derrière l'immense fenêtre victorienne de mon bureau, j'essaie de me concentrer sur autre chose que les mots. Ceux qui recouvrent la lettre, que je m'évertue à relire depuis plusieurs minutes. Dans un battement de cil je distingue une multitude de flocons de neige. Ils saupoudrent les arbres qui longent l'arrière-cour et recouvrent les graviers d'un épais manteau blanc.
La beauté cruelle et froide du chaos.
L'évidence des mots que je refuse de prononcer à voix haute me nargue.
Oncle Owen est mort.
Le dernier parent me reliant à ma mère s'en est allé. Cette vérité fait saigner mon cœur. Il le draine jusqu'au point de non-retour. Il affame l'espoir qui file à l'anglaise entre mes doigts. Celui de la possibilité de dire au revoir.
Ma mère est décédée seule.
Mon oncle vient de faire de même.
La première fois, c'était indépendant de ma volonté. La deuxième est le résultat de mon comportement. J'ai ignoré l'existence d'Owen. Je l'ai rangé, lui et tout ce qu'il représente dans une petite boîte. Je ne voulais pas... ou plus souffrir. Son absence après le décès de ma mère m'a rongé comme une maladie incurable. Alors j'ai fait ce que je fais de mieux. Je me suis sabordé. J'ai saboté toutes les chances d'aller le voir, ou de l'accueillir ici. J'ai claqué la porte sans me retourner. Au lieu de soigner mon cœur fatigué, je l'ai estropié. Cette maudite lettre traîne sur mon bureau depuis des mois. Enlisé sous une tonne de paperasse administrative. Je serais passé à côté si le tampon notarial n'avait pas attiré mon attention.
Ce n'est pas une excuse. Non.
Mais il a fallu que je l'apprenne trop tard. Et me voilà, seule à mon tour.
Dévastée et ravagée.
Par la peine et la colère.
— Là, maintenant, j'ai très envie de t'en vouloir Owen, lui adressé-je en levant les yeux au ciel.
Ce n'est pas le genre de confidences que l'on est supposé faire à un mort. En aucun cas. Alors je m'entête à nouveau. Je plonge en apnée dans ma nouvelle obsession. Je la laisse m'envahir pour mieux m'anéantir. J'étire le papier jusqu'à le déchirer tandis qu'une voix familière résonne dans ma tête.
" Olivia, ma chère nièce,
Si tu lis ceci, c'est que je ne suis plus de ce monde...
Je n'ai jamais été doué pour les grands discours ou les au revoir. Tu es devenue une adulte et tu es prête à entendre ceci. Je ne m'excuserai pas de mon absence. Le moment venu, tu comprendras qu'elle était nécessaire, voire vitale. L'absolution ne m'intéresse pas et je ne la mérite pas. Je n'ai pas grand-chose à te léguer à part des principes. Ce sont ceux que ta mère aurait souhaité que tu gardes en tête, plus que jamais. Ne doute jamais que la vie est bien meilleure lorsque l'on ignore tout de toi. Challenge toujours les conseils et doctrines de ceux qui ne sont pas là où tu veux être dans ta vie. Tout le monde finit par dévoiler qui il est réellement, ce n'est qu'une question de temps pour que les masques tombent. Tu dois être assez intelligente pour trouver la vérité, n'attends pas qu'elle vienne à toi. Le secret du bonheur c'est la liberté.
VOUS LISEZ
La Cible
RomanceTous les hommes qui gravitent autour de la vie d'Olivia ont prêté serment pour protéger un secret. La cible. Un mystérieux nom de code qui cache un destin extraordinaire. Chacun d'entre eux a fait un choix, risquant leur vie et celle des autres. Mai...