De l'eau. Voilà que Dieu avait répondu à ma requête. Je me fis la promesse de devenir croyant lorsque je sortirai de ce trou à rat.
En me réveillant une nouvelle fois, le décor avait changé. La moquette défraîchie avait laissé place à un carrelage immaculé ; les cloisons à des murs en mosaïque ; le bourdonnement électrique au remue paisible des vaguelettes.Je portais toujours ce pull-over rouge et ce vieux jeans trop large. Allongé sur le dos, j'avais vue sur un plafond si haut que je n'arrivais même pas à le distinguer nettement, comme si vous leviez les yeux vers un ciel sans perspectives, si vertigineux que vous aviez une impression de chute infinie.
Je me trouvais dans une piscine, visiblement, mais comme la pièce précédente, elle n'avait rien de banal : les bassins à l'eau bizarrement sombre s'étendaient à perte de vue et menaient à des sortes de toboggans surgissant de l'ombre. Ils indiquaient tous un niveau de 3 mètres. Tout était éclairé par des projecteurs accrochés au plafond vu la lumière intense qui en émanait.
Assoiffé, je bus goulûment dans le premier bassin qui était à proximité sans même me soucier de savoir si cette eau était potable ou non. Je m'en fichais. J'avais soif. Elle avait le goût presque acide du chlore.Penché au-dessus de la piscine, je fus confronté à mon reflet, et honnêtement, je me trouvais plutôt beau gosse. Je devais avoir la vingtaine et la tête d'un type cool comme il y en a beaucoup. Je remarquai tout de même mes traits tirés, et m'attardai sur mon nez qui était tordu sur le côté droit ainsi que sur ces bleus colorant mon visage, traces laissées par mes propres humeurs.
En me rappelant de cela, je me redressai et tentai de me remémorer la scène le plus précisément possible. J'étais debout, en train de me frapper la tête à coup de poing lorsque je sentis le sol trembler puis littéralement se dérober sous mes pieds. Je suis passé à travers ce dernier, il me semble, comme quand un personnage de jeux vidéos glitch pour passer d'un niveau ou à un autre. Oui, c'était cela : j'ai traversé une réalité. Voilà ma seule explication, aussi farfelue soit-elle, mais à vrai dire, j'étais seul, maladivement seul et apeuré, alors rien ni personne ne pourrait me dissuader de croire en cette possibilité.
De plus, aucune réponse rationnelle ne me venait actuellement en tête. Je ne rêvais pas, ni ne cauchemardais. Je buvais réellement cette eau. Je voyais réellement ces piscines. J'entendais réellement ce clapotis et sentais plus que réellement l'inquiétude me ronger.
Rien de tout cela ne pouvait être faux.- Je devrais rester ici.
Parler à voix haute me rassurait, quelque peu, mais l'écouter résonner dans ce lieu me donnait la chair de poule.
- Sinistre..., soufflai-je.
Je me rendis compte que j'avais faim. Je n'avais pas mangé depuis un jour, au moins. L'adrénaline était retombée et la fatigue reprit ses droits sur mon corps et dans mon esprit embrouillé. Je fis quelques pas, essayant de ne pas glisser à cause du carrelage. Ici, tout était calme mais oppressant à la fois. Sans le contexte, j'étais certain que cette piscine aurait fait le bonheur des retraités prenant encore plus de repos dans une excursion thermale en montagne...Cette pensée me rappela que je ne faisais plus partie de ce monde. Un monde que j'avais connu puisque je pouvais me le remémorer, mais que j'avais quitté sans l'avoir choisi. Je ne savais pas dans quel pétrin je me trouvais, ni qui en voulait après moi ; c'est ça, qui ? Qui ?
- QUI ?! criai-je, furieux. Qui êtes-vous ?! Pourquoi vous m'avez emmené ici ?
N'y avait-il pas des caméras quelque part ? Peut-être que tout ceci n'était qu'une blague, finalement ? Où étaient ces gens qui avaient marqué leur passage par ces inscriptions sur la cloison ? Pourquoi est-ce que j'étais l'un d'entre eux ? Fuyez. Je devais fuir, apparemment, mais où ? Je jetai un regard circulaire autour de moi. Ce toboggan ? me demandai-je. Ou celui-là ? Je continuais à avancer sans pour autant m'approcher de ces tuyaux aquatiques. Mon estomac criait à l'aide, et je me retenais de me tordre en deux. Toutes mes articulations me faisaient souffrir, mais je me forçais à marcher, un pas après l'autre, prudent.
Je murmurai :- Si je vous retrouve...vous allez voir...je vous le promets...
" Vous " n'existait même pas, qui sait. Je devenais certainement fou, mais quitte à en être conscient, autant faire le boulot jusqu'au bout. Quoi qu'il en soit, je me répétais cette promesse en boucle jusqu'à atteindre une nouvelle série de bassins, cette fois-ci moins éclairés. Cela ajoutait un côté encore plus perturbant à l'endroit. Des douzaines de douzaines de piscines rectangulaires qui s'alignaient en rang, comme à l'armée, sombres et aussi avenantes que des marécages boueux. Mes jambes fléchissaient toutes seules. Je me repris à temps pour ne pas tomber dans l'eau. Le clapotis des vagues s'était arrêté.
Silence complet.Tic-tac.
Tic-tac.
Tic-tac.
Je peinais à tenir. En m'asseyant par terre, affaibli par je-ne-sais-quel mal qui n'était ni la fatigue ni la faim, je me sentis fiévreux. Je me touchai le front : brûlant. Mes cheveux étaient trempés de sueur. Enlever mon pull n'y changea rien car je continuais à transpirer à grandes gouttes et mon rythme cardiaque tambourinnait dans mes oreilles. J'avais très froid, paradoxalement. Je ne comprenais rien à ce qu'il m'arrivait.
L'eau..., pensai-je. J'allais mourir. C'était sûr. Chaque parcelle de mon corps me faisait endurer une douleur bien plus grande que celle d'un coup de couteau : j'avais le sentiment de me désintégrer dans moi-même. Je regardai ma main droite. Le bout de mes doigts était teinté de noir et suintait d'un liquide couleur d'obsidienne.
Mes yeux s'écarquillèrent sous le coup de l'horreur.Dans une panique incontrôlable, je me relevai d'un bond et me mis à courir dans tous les sens. Je criais. Mon coeur allait lâcher.
- QU'EST-CE QU'IL SE PASSE ?! hurlai-je à mon ombre.
Et ce qui devait arriver arriva.
Dans ma course folle et désespérée, mon pied glissa sur le carrelage. Je me fis un croche-pattes et une fraction de seconde plus tard, j'avais le souffle coupé par l'eau qui commençait déjà à infiltrer mes poumons. Je tentai de remonter à la surface en battant des jambes et des bras, mais cette eau parassait dense et froide, de sorte qu'elle vous aspirait toute entière. C'est ce qui m'arriva également. Je ne pus remonter hors du bassin, et ces 3 mètres me semblèrent être dix fois plus.Bizarrement, en apnée, seul dans cette eau digne des abîmes les plus profondes, je pus me sentir en osmose avec moi-même. La pression ne fit même pas imploser mes tympans. Je n'entendais plus rien, pas même mon coeur. Je sombrais définitivement, du moins, je priais pour que ça soit le cas. L'air me manqua enfin. Je fermai les yeux, attendant paisiblement le moment où je me réveillerai dans un autre monde, oui, un autre encore, complètement différent...
Mais tout ce que je pus sentir fut un choc avec le béton et une voix, quelque part.
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BACKROOMS.
Horror《 Je parcourus quelques corridors inachevés, tous identiques, n'osant m'approcher des cloisons. Ce papier peint était beaucoup trop jaunâtre. 》