BACKROOMS. - 5

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- Je...Qu'est-ce que...

Ma voix n'était qu'un murmure prostré dans la faiblesse et la somnolence, mais l'infirmière qui me tournait le dos fut assez attentive pour brusquement faire volte-face avec un hoquet de surprise. Elle s'exclama :

- Vous êtes réveillé ?!

Et sans que je puisse répliquer quoi que ce soit, elle quitta la pièce en un coup de vent.
Je me trouvais dans une chambre d'hôpital qui dégageait une odeur écœurante d'antiseptique. Les lumières étaient tamisées. Aucune fenêtre ne donnait sur l'extérieur. Il faisait frais, et la ventilation produisait un bruit constant qui me berçait. Je relevai légèrement la tête pour m'examiner et remarquai que plus aucune douleur ne faisait souffrir mes mains, et pour cause, je me rendis compte que mes avant-bras avaient été remplacés par des prothèses métalliques n'imitant en rien l'aspect de la chair. Je les levai pour mieux pouvoir les observer et ce geste me demanda un effort formidable.

Au même moment, la porte de ma chambre s'ouvrit et un homme en costume trois-pièces accompagné de l'infirmière pénétra dans la pièce, l'air de ne pas du tout vouloir plaisanter.

Il était de taille moyenne, avec de larges épaules et des lunettes fumées sur le nez. Il se présenta sous le nom solennel de monsieur Livermann et s'assit sur un fauteuil près de mon lit.

- Les chirurgiens ont dû vous amputer les deux avant-bras pour stopper la gangrène et entièrement renouveler votre sang, dit-il sans ambages, sinon, vous ne seriez plus en vie. Estimez-vous chanceux.

- Qui êtes-vous...? demandai-je.

- Vous ne préférez pas savoir qui vous êtes, jeune homme ?

Je ne répondis pas, encore dans les vapes, et il prit cela pour un " oui ". Pendant ce temps, l'infirmière trafiquotait des trucs avec une machine reliée à mon bras par une perfusion.
Monsieur Livermann sortit un dossier de la mallette en cuir qu'il transportait, et comme si cette partie l'ennuyait un peu, il se mit à débiter avec précipitation :

- Anthony Finneas MacLough, 21 ans et étudiant, disparu il y a 10 jours dans l'état de Floride alors qu'il se rendait chez sa petite amie. Cette dernière dit l'avoir vu passer derrière un camion depuis sa fenêtre mais ne pas l'avoir vu réapparaître. L'enquête menée par la police locale n'a donné aucune piste aux parents du jeune homme qui a clos l'affaire pour manque de preuves pour disparition ou enlèvement. Les parents se disent très inquiets et supplient ceux qui le retiennent de le libérer.

Il soupira.

- Mais vous comprenez qu'un adulte responsable qui disparaît sans laisser de traces n'intéresse que peu de monde, n'est-ce pas Tony ? Ce n'est pas comme si vous étiez un môme de 7 ans. Vous êtes tout à fait en droit de partir et de ne jamais revenir chez vos parents sans justifications au préalable, c'est évident...

Monsieur Livermann fit ensuite signe à l'infirmière de nous laisser seuls, et elle s'exécuta sans protestation. Ça doit être quelqu'un d'important..., pensai-je, bêtement. J'ouvris la bouche pour prendre la parole, mais il y avait tellement de questions qui fusaient dans ma tête que je ne savais pas par où commencer.

- Qui êtes-vous ? répétai-je finalement.

- Monsieur Livermann du FBI.

Je pris quelques secondes pour que l'information remonte jusqu'à mon cerveau puis ne pus m'empêcher de lui rire au nez, ce qui sembla l'irriter.

- Qu'y a-t-il de si drôle à cela ?

- Vous êtes en train de me dire que le FBI est venu me secourir jusque dans une dimension parallèle ? Ces trois types là, avec leurs combinaisons, vous étiez l'un d'entre eux ? C'était quoi leurs noms déjà, John, Steve et...

- Vous ne comprenez pas, Tony. Vous ne comprenez rien de rien.

- Ah bon ?

- Mais je ne vous en veux pas ; ça doit être difficile d'avoir les idées claires après six jours dans un coma artificiel.

Six jours ? Si longtemps que ça ?

- Alors expliquez-moi, je vous en prie..., soufflai-je en rivant mon regard sur lui. Je veux tout savoir du début à la fin. Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ?!

Monsieur Livermann enleva ses lunettes d'un geste si fluide et dramatique que j'en déduisis qu'il devait l'effectuer plusieurs fois par jour. Sans sa monture, son visage perdait en sévérité et il ne ressemblait plus qu'à un vieil oncle légèrement austère qui ne supporte pas les enfants et fait tout pour éviter les repas de famille. Son crâne dégarni était strié de rides et de tâches, signes du passage des années. Je me demandais depuis combien de temps il travaillait pour le FBI...
Après une hésitation qui plongea la pièce dans un silence pesant, monsieur Livermann émit un petit rictus sans joie.

- Je ne sais pas si je devrais pour révéler tout cela, lâcha t-il en secouant la tête. Les conséquences-

- Je me fiche des conséquences, coupai-je. Dites-moi tout. Vous me devez la vérité !

Je me redressai complètement, échauffé.

- J'ai perdu mes bras à cause de vous ! J'ai perdu mes souvenirs ! Rien ne sera plus jamais comme avant...Et vous, vous restez là à hésiter comme si il valait mieux pour moi que je ne sache rien. Mais vous ne savez pas, vous, ce que j'ai vu là-bas ! (ma voix se brisa involontairement). Une ombre qui me poursuivait, partout, sans que je puisse résister...et toujours me réveiller en l'imaginant au-dessus de moi, prête à me tuer...

Je respirais bruyamment, et quand je crus l'apercevoir juste derrière le vieil agent du FBI, je criai d'effroi. Monsieur Livermann bondit sur ses pieds et se retourna, avant de s'écrier :

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

Je me protégeais le visage de mes bras de métal, tremblant, les yeux écarquillés par la peur. Elle viendra me retrouver, un jour ou l'autre, me dis-je. J'avais arrêté d'écouter mon interlocuteur et il finit par en prendre conscience.

- Tony ? Vous n'êtes pas dans votre état normal. Je reviendrai demain pour répondre à vos questions. D'ici-là...

Brutalement, il dégaina une paire de menottes et m'accrocha la cheville gauche à la barre de maintien de mon lit.

- Ne sortez sous aucun prétexte de cette chambre.

- Espèce de taré ! m'exclamai-je. Enlevez-moi ce truc ! JE N'AI RIEN FAIT !

Trop tard, monsieur Livermann et sa malette quittaient déjà la pièce sans un regard par-dessus l'épaule.

Des mois ont passé, depuis. Le FBI a fini par me laisser tranquille et j'ai pu retourner chez moi, à Dallas. Tout semble être rentré dans l'ordre selon eux. Je n'étais qu'un fou à lier qui racontait des histoires fantasmagoriques et qui voyait des monstres dans les ombres.

Apparemment, on m'a retrouvé mort un matin de juillet dans mon salon. C'était un suicide d'après la police. Un malheureux suicide que mes parents pleurèrent longuement, sans qu'ils n'aient eu la chance de revoir le sourire de leur fils adoré. Ma mère est revenue plus tard pour ranger mon studio. Elle fut étonnée en remarquant le papier peint jauni qui tapissait les murs de ma chambre.

FIN







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