BACKROOMS. - 4

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Je courais puisque ma vie en dépendait. Courais sans oser regarder par-dessus mon épaule. Courais le plus vite possible, quitte à épuiser le peu d'énergie qu'il me restait. C'était ma dernière course, mon dernier espoir d'échapper à cette chose qui me poursuivait en alternant rugissements -si l'on pouvait appeler cela rugir- et appels au secours de sa voix humaine. Le tout me donnait une impression terrifiante d'être pourchassé par un hybride mi-monstre mi-femme. Ses pas lourds contre le bitume se rapprochaient de moi. J'accélérai, toujours plus rapide, mais cette chose l'était aussi.

Les pavillons de briques rouges filaient jusqu'à perte de vue. J'avais peur qu'une autre créature n'en sorte, alertée par le vacarme que produisait mon poursuivant, mais heureusement, il ne se passa rien. Peut-être que cette créature était la seule et unique errant dans les...comment est-ce qu'il l'avait appelé, déjà ?

- AU SECOURS ! AIDEZ-MOI, JE VOUS EN SUPPLIE !

Backrooms.

- AAAAAAARGH !

La seule créature des Backrooms, me dis-je pendant que cette dernière poussait un long cri d'agonie qui m'aurait déchiré le coeur s'il était réel. 

C'est ça, je n'arrivais presque plus à faire la différence entre le vrai et le faux, ici. Je n'avais plus de repères fondamentaux auxquels m'accrocher. Illusions parées de désillusions en non-stop. J'étais comme à la dérive sur un océan en pleine tempête...et je ne pouvais même pas être certain de si ces vagues me seraient fatales ou non. Des larmes salées dévalèrent mes joues alors que je pouvais sentir la chose à quelques mètres de moi, gueule grande ouverte, démon hantant ce labyrinthe. Soudainement, je tournai vers une habitation, sautai par-dessus la haie et m'enfonçai dans une espèce de sous-bois. Les cris redoublèrent, des supplications, des hurlements comme arrachés sous torture. Des voix d'hommes, de femmes, d'enfants. Toutes ses victimes, pensai-je. Je terminerai comme eux.

Dans la nuit noire, il était difficile d'éviter chaque branche qui me barrait le passage dans cette forêt plus dense qu'elle ne semblait être. Les arbres étaient identiques, et leur disposition ne variait pas. En posant ma main sur une écorce, je ne sentis pas sous ma paume le toucher rude et solide du bois mais un matériau semblable au plastique, ou quelque chose qui y ressemblait. C'est comme les étoiles. Tout est artificiel. Je tournai à gauche et manquai de glisser sur un tapis de feuilles. Mes jambes commençaient à ne plus répondre, et ma vision brouillée de larmes ne m'aidait pas forcément. J'étais à bout de forces. Je tentai de m'essuyer les yeux, mais à la place, j'étalai du liquide noir sur mon visage, le rendant poisseux. Mes mains avaient presque disparu : restaient deux trous béants crachant de l'encre qui laissaient des traces là où je passais.
Puis l'illumination. Je compris alors. Elle n'a pas d'yeux.

Dès lors, dans un ultime élan de détermination, je me mis à littéralement râper mes moignons sur les troncs d'arbres, finissant par former un cercle autour de la créature qui, sur le point de m'attraper, se figea, paralysée. Même dans l'obscurité, je la sentais renifler, grogner, siffler presque. J'avais atrocement mal au bras, et aux pieds aussi, mais je me tus. Non, elle ne voit rien, et n'entend pas non plus, constatai-je. Elle ne fait que sentir. L'odorat de la chose devait être très développé, un peu comme celui des chiens policiers, mais maintenant, qu'allait-elle faire avec tout ce " sang " répandu ? Je me gardai de découvrir la réponse car, sans plus attendre, je tapai un sprint hors des sous-bois.
Enfin sorti et de retour près du lotissement, je fus surpris de voir que l'aube émergeait déjà. Le ciel rose et orange apportait avec lui un soleil à la Mary Shelley, presque rafistolé, aussi crédible de l'étaient les étoiles de cette nuit.

Je me laissai tomber à genoux, vivant malgré tout. Je pensais pourtant succomber à mes blessures, mais les grognements de la créature me motivèrent à encore m'éloigner. Je me relevai et entamai une marche, peut-être ma dernière, vers l'endroit où j'avais atterri depuis les piscines. D'ailleurs, mes vêtements n'avaient toujours pas séché, mais ce lever de soleil rimait avec un semblant de chaleur, une chaleur que vous offrirait un petit radiateur électrique qui subit autant l'hiver que vous, mais une chaleur quand même. Je nouai les manches de mon pull-over pour ralentir ma perte de sang. Après plusieurs minutes de marche, je vomis du sang (du vrai, cette fois-ci) en plein milieu de la route, et commençai à avoir le tournis. Les pavillons identiques dansaient autour de moi, et des voix résonnaient. La chose...elle vient pour moi.

- Non..., chuchotai-je avec désespoir. Non, pas ça...

Sans que je m'en rende compte, j'avais le front contre le bitume et un goût acide de bile dans la gorge. Je me tordais de douleur et finis en position fœtale, comme un bébé apeuré. Les voix semblaient plus proches encore. Je ne pouvais plus rien faire mise à part patienter, et que l'horloge tournait lentement...!
Quand on me saisit l'épaule pour me retourner sur le dos, je crus que ma vie, assez courte apparemment, allait prendre fin. Sauf qu'en face de moi, je n'avais pas la silhouette immense et monstrueuse d'une créature sortie tout droit de mes pires cauchemars, mais celle d'un humain vêtu de ce qui ressemblait à une combinaison de cosmonaute, visière comprise. Deux autres collègues le flanquaient. Je ne pouvais pas voir leurs visages, mais lorsque le premier dit :

- Hé, vous êtes encore avec nous ?

Un sanglot s'échappa de mes lèvres. Je croyais rêver.

- Gamin ? Tu m'entends ?

- Il a pas l'air bien, déclara l'un des deux autres. Faut l'embarquer ou il va crever.

- John, aide-moi à le porter. Steve, faut retrouver la zone nulle, tout de suite !

Des bras m'attrapèrent par les jambes et les aisselles, et je fus littéralement transporté par deux hommes murmurant des jurons tandis qu'un troisième se parlait à lui-même en essayant de retrouver cette fameuse " zone nulle ". Les rayons du soleil artificiel caressaient mes paupières fermées, m'emplissant le corps et l'âme d'une lumière douce et réconfortante. La douleur avait atteint un pic si élevé que je ne la sentais presque plus. J'étais sous anesthésie sensorielle. Les sons, les contacts, la vue...tout était atténué. Seule cette lumière me conservait en vie. Celle qui brillait de mon espoir de revoir un jour le monde normal et ses banalités si précieuses. Sa fragilité comparable à celle d'un joyau oublié dans une boîte à bijoux.

Je m'endormis, paisible.

BACKROOMS.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant