BACKROOMS. - 3

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Je voyais le ciel. Ça y est, c'est terminé, me dis-je immédiatement. Je suis sorti.

J'avais le regard rivé sur cette étendue bleu-noir que j'avais cru ne jamais revoir de mon vivant. Le ciel nocturne parsemé d'étoiles me surplombait, et un sourire béat se dessina lentement sur mes lèvres tremblotant de froid. Pourtant, ces étoiles avaient quelque chose de particulier. Je n'aurais su dire quoi sur le coup. Elles brillaient trop fort, peut-être. D'un éclat presque...artificiel.

Hélas, je n'avais pas la tête à la réflexion. Mes poumons me faisaient mal lorsque je respirais. Soudain, je me redressai et crachai de l'eau, la main crispée au niveau de mon coeur. Tout mon corps semblait glacé ; je ne le sentais presque plus. Mes vêtements étaient trempés, et mes doigts toujours gluants de ce liquide noir qui sentait un mélange de goudron et de rose.

Comprendre tout ce qui s'était passé précédemment demandait un temps dont je ne disposais pas, du moins, pas tout de suite. Je devais trouver quelqu'un qui pourrait m'aider. En serrant les poings, le liquide dégoulina sur mes baskets et les teinta d'encre. Le froid devait sûrement atténuer la douleur qui s'était faite maîtresse de moi, mais elle ne tarderait pas à revenir au pas de charge.
À vue d'oeil, je me trouvais dans un quartier résidentiel. Des pavillons identiques s'alignaient, tous possédant un jardin. Je recherchais la voix que j'avais entendue en atterissant ici. M'avait-on vu débarquer de nulle part, traversant le temps et l'espace ? La police viendra t-elle m'arrêter ? Et est-ce qu'ils me croiront ? Probablement pas. Mais tout ce que je voulais, c'était voir un autre être vivant pour enfin quitter cette solitude qui me rendait aliéné.

En marchant, je me rendis compte qu'aucune voiture n'était garée devant ces maisons. Des places de parking étaient pourtant prévues pour. Et puis il n'y avait aucun bruit. Certes, c'était la nuit, mais rien ? Pas même la brise qui souffle et fait bruisser les feuilles des arbres ? Pas même les miaulements d'un chat errant ? Pas même le brouhaha éloigné d'une autoroute ? Ce silence assourdissant aurait dû directement me mettre la puce à l'oreille...
Je relevai les yeux vers le ciel. Les étoiles brillaient comme tout à l'heure, puis dans un gros boum mécanique, elles s'éteignirent littéralement comme on éteindrait la lumière grâce à un interrupteur. Le ciel plongea dans l'obscurité la plus totale. Seuls les lampadaires longeant le trottoir m'éclairaient, désormais. Affligé par les événements, je sentais déjà des larmes me picoter les yeux quand un cri me fit sursauter :

- AU SECOURS !

Je me retournai brusquement vers l'endroit d'où venait cette voix stridente.

- À L'AIDE ! AIDEZ-MOI, JE VOUS EN PRIE !

C'était une femme, et la peur que sa voix transmettait me terrifia. Je ne suis pas seul, pensai-je, mais j'aurais préféré ne pas faire la rencontre de quelqu'un d'autre dans une situation aussi dangereuse. Car en effet, le danger était là, partout. Cette femme n'était pas seule, elle non plus. Rien que d'y penser...Non, finalement, je préférais de pas imaginer.
Pas après pas, je m'approchais doucement du pavillon d'où elle devait se trouver. Les cris se turent. Courage, m'intimai-je, courage. Fais-le pour toi. La douleur revint petit à petit, et le froid s'en alla. Ni l'une ne m'avait manqué, ni l'autre ne me manquera. Concentre-toi ! Je soufflai un coup et passai par-dessus la haie de jardin qui me séparait de la propriété. Tout était redevenu calme. En examinant le pavillon, je trouvai qu'il était tout ce qu'il y avait de plus normal, même si cette pelouse me semblait un peu trop verte.

En atteignant la porte d'entrée, je fus saisi par l'hésitation. Qui sait ce qu'il se trouvait derrière ? Il n'y aurait pas de retour dans le temps, et mon instinct me poussait à revenir sur mes pas et prendre mes jambes à mon cou. J'haletais et sentis la panique gonfler. J'avais mal. Je regardai mes doigts : ils avaient fondu de leur moitié. Je retins le hurlement de terreur qui était parti du plus profond de mes entrailles. COURAGE ! Sans plus attendre, j'ouvris la porte. Heureusement pour moi, elle ne grinça pas et je tombai sur un séjour dépourvu de meubles, vide. La maison était habitée par le silence et les ténèbres. Je fis attention à ne pas faire de bruit et me rendis compte en tournant vers la cuisine qu'un panneau était planté en plein milieu de celle-ci. Un panneau, avec le symbole des 50 km/h dessus. Il surgissait de nulle part, comme si lui aussi, il s'était fait aspiré par la chose qui m'avait propulsé ici.

Éberlué, je repris mes esprits lorsque la femme se remit à crier :

- S'il vous plaît !...À...À l'aide !

Sa voix était beaucoup plus faible. Elle venait du sous-sol. Boosté par l'adrénaline, je courus vers la porte menant à la cave de cette maison et dévalai les escaliers sans même y réfléchir à deux fois. Une vie était en jeu.
Arrivé en bas, je fus surpris de voir que des néons étaient allumés. Ils éclairaient peu mais assez pour que je puisse y voir un minimum. La cave était tellement grande qu'on aurait dit une véritable grotte. L'atmosphère humide et suffocante à la fois me frappa.

- À l'aide...

La femme bougeait. Elle se trouvait au fond, loin, éloignée de la lumière des néons. J'arrivais à distinguer sa silhouette.

- Vous allez bien ? lançai-je, peu sûr de moi. Hé oh...?

J'avançais lentement. Pourquoi est-ce qu'elle ne répond pas ?

- Madame ?

Elle sortit enfin de l'ombre, et sa démarche saccadée, presque douloureuse, resta gravée dans ma mémoire.
Elle était grande. Plus grande que moi, que nous tous. Ses bras étaient longs et filiformes ; ils traînaient presque au sol. On aurait dit qu'elle était faite d'une matière semblable à un métal fondu, mais ce n'était pas le cas. Je disais " elle " mais je ne parlais pas d'une femme, ni même d'un homme. Ce n'était pas une personne...Non, ce n'en était pas une. L'entité poussa un hurlement exprimé par ce son distordu que la réalité ne pouvait avoir déjà entendu.

Et je compris que la chose la plus terrifiante, ici, ce n'est pas être seul, mais savoir que vous ne l'êtes pas.



BACKROOMS.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant