— Vous prétendez, Monsieur Guiraud, vous soucier des Français. Mais qu'en est-il des dizaines d'émeutes, fomentées sous le regard complaisant de votre parti, qui sabotent chaque jour la vie de milliers de travailleurs honnêtes ? Votre indignation ne serait-elle qu'un masque pour dissimuler votre propre responsabilité dans le chaos ?
Marine Le Pen n'avait pas fini de cracher son discours qu'une clameur sourde monta des bancs de gauche de l'hémicycle. D'abord un léger brouhaha, quelques interjections jetées à la volée, auxquelles elle n'accordait pas la moindre importance. Elle haussa la voix, ses mots passant encore pour quelques instants au-dessus des protestations. Mais rapidement, le bruit de fond se transforma en une dizaine de gueulards, dans une marée de cris incompréhensibles, sauvages, incontrôlables, qui écrasaient bientôt chaque mot de son intervention.
Quelques soupirs inaudibles émanèrent de la droite, où les partisans de Marine Le Pen ne tardèrent pas à faire savoir leur mécontentement. Puis, rapidement, ils ripostèrent à leur tour : des applaudissements féroces à destination de leur présidente, des invectives hurlées à travers la salle à l'encontre des « semeurs de trouble », des visages rouges de colère, ou peut-être juste d'orgueil blessé. Des exclamations indignées fusèrent, noyant à leur tour les cris de leurs opposants dans un tumulte encore plus grand. En deux minutes, l'hémicycle n'était plus qu'un champ de bataille. Pas de coup de feu, juste des coups d'égo.
Le Pen, elle, restait plantée là. Impassible. Enfin, presque. On aurait pu croire qu'elle cherchait à continuer, qu'elle voulait gueuler plus fort que tous ces abrutis réunis, mais ses lèvres restaient closes. Pas besoin d'essayer de couvrir ce foutoir. Elle savait qu'elle avait gagné. Les images parleraient pour elle, ou alors, les chargés de communication les feraient parler pour elle. Des caméras tournaient, elles montraient une Assemblée transformée en périscolaire.
La présidente de l'Assemblée, tentait bien de calmer le jeu. Son marteau s'abattait, encore et encore, sur le pupitre, mais c'était peine perdue. Dans cette pièce, personne ne voulait écouter, les fauves avaient été libérés, c'était foutu. Elle souffla, un soupir lourd, mêlé de lassitude ou de stupeur, peut-être des deux. Elle ignorait elle-même si c'était l'absurdité de la situation qui l'accablait ou simplement le poids de l'impossibilité de régner sur cette furie collective. Qui sait ?
C'est cette cacophonie qui tira Gabriel de sa torpeur. Il était affalé dans son siège, le dos voûté, les paupières lourdes, écrasé par la monotonie viciée des oppositions stériles. Pourquoi avait-il accepté ce foutu poste ? Ah oui, pour servir son pays, se disait-il. Pour défendre des principes, des libertés, des droits, des idéaux qu'il croyait chevillés au cœur de cette foutue République. Mais aujourd'hui ? Il n'était plus sûr de rien.
Depuis qu'il avait endossé cette charge, les débats de l'Assemblée, autrefois des joutes qu'il trouvait presque exaltantes, n'étaient plus que du bruit. Un bruit agaçant, étouffant, un vacarme qui collait à sa peau comme une chaleur humide. Il avait cru, naïvement, qu'il pourrait naviguer entre les extrêmes, trouver une foutue voie médiane.
Et là, ce n'était pas un débat. Pas même une dispute. C'était une guerre de tranchées. Un champ de bataille bordé de bancs en bois où chaque camp gueulait plus fort que l'autre, des soldats en costume qui balançaient des articles de loi comme on lance des grenades.
Gabriel n'entendait plus rien. Le bruit cognait contre ses tempes, se répercutant dans son crâne comme des tambours déchaînés, martelant chaque pensée, chaque mouvement. Le monde autour de lui était devenu une bouillie de sons et de bruits qui lui labourait les neurones.
Ils ne voudraient pas la fermer. Juste une minute.
Il serra les dents avec une telle intensité qu'il crut sentir ses mâchoires se verrouiller, une tension sourde montant en lui, comme si son crâne était sur le point de se réduire à l'étreinte implacable d'un étau invisible. Sa vision se brouillait lentement, les visages des autres députés se déformaient, se superposaient, dans un tourbillon de formes indistinctes. Tout devenait flou, flou et insupportablement lourd, comme si la réalité elle-même se dérobait sous ses pieds. L'air lui paraissait étrangement dense, chaque inspiration semblant nécessiter un effort titanesque pour s'immiscer dans ses poumons, comme si l'atmosphère tout autour de lui se faisait complice de son agonie, refusant de le laisser respirer.
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À leur propre jeu
FanficDeux hommes politiques se trouvent pris dans un tourbillon de scandales et de manigances politiques. Parviendront-ils à résister à leurs propres jeux de pouvoir ?