Chapitre 2 - Le diagnostic

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Petit j'étais toujours celui qu'on prenait comme souffre-douleur à l'école. Je n'étais pas comme tout le monde. Je me terrais dans mon coin et observais les autres jouer ensemble. Les élèves me lançaient souvent des cailloux pour des raisons que j'ignorais, à la sortie de l'école, ils m'insultaient, ne cessant de répéter que j'étais fou, moche, petit, gros, laid... leurs mots me touchaient profondément, je n'étais qu'un enfant mais je préférais montrer le contraire. Mes parents ne comprenaient pas pourquoi je restais seul dans mon coin au lieu d'aller vers les autres comme tout enfant respectable. Les médecins, eux, disaient que j'étais un timide maladif.

À l'âge de huit ans je parlais peu, voire plus du tout, que ce soit à mes parents, aux professeurs ou à mes camarades, j'étais complètement muet. Quand ma mère venait me chercher le soir et me demandait comment s'était passée ma journée, je me contentais de l'ignorer. Je me rendais compte de mon mutisme, mais pour moi c'était naturel. Je savais que mon comportement tapait sur les nerfs de mon père. Ma mère était protectrice contrairement à lui qui voulait faire de moi ce que je n'étais pas. Je me souviens que dès que mon père me faisait une remarque déplacée, osant m'insulter et me manquer de respect, ma mère prenait ma défense et se disputait avec lui. Je m'asseyais alors dans les escaliers et je les écoutais se crier dessus à cause de moi. Mon père disait que j'avais un problème mental, une maladie qui auparavant avait touché son père, or ma mère était restée sur le fait que j'étais un soi-disant timide maladif.

Les professeurs me forçaient à parler en classe, mais je préférais éviter leur regard, fixer ma table ou mes lacets plutôt que de devoir m'exprimer devant toute la classe qui, je tiens à le préciser, me détestait. Mes parents m'avaient donc emmené voir un pédopsychiatre. J'étais forcé d'assister à toutes les séances toutes les semaines et je détestais cela. Je ne parlais pas pendant les heures de rendez-vous. Le psy me toisait alors avec ses yeux de fouine pour m'analyser, certainement. Néanmoins, après trois mois d'essai, il abandonna et trouva l'excuse de la timidité, assurant à mes parents qu'avec le temps, le symptôme disparaîtrait. Il n'avait pas choisi de m'aider ni de creuser, il avait choisi de me laisser me débrouiller seul.

Pour mes dix ans j'eus un vélo, ce fut le plus beau jour de ma vie, j'étais l'enfant le plus heureux du monde. Avant d'aller l'essayer, j'embrassai mes parents puis pédalai à toute vitesse dans les rues de mon quartier. Je savais que les mêmes enfants qui me détestaient à l'école avaient eux aussi des vélos et je rêvais secrètement de pouvoir m'amuser avec eux. Je savais où ils allaient tous ensemble alors je décidai de les rejoindre et de leur montrer mon nouveau bolide. Au fond de moi je savais que c'était probablement la pire idée du siècle mais je m'étais dit qu'avec un vélo, peut-être que nous pouvions être amis. Alors je les rejoignis dans les bois pour les affronter et espérer un peu d'amitié. Quand j'arrivai à l'endroit où ils aimaient se donner rendez-vous, ils se tournèrent tous vers moi et me dévisagèrent comme s'ils voyaient un animal. Je me contentais de sourire, je n'aimais pas parler mais j'avais appris à dialoguer avec les gestes et les expressions du visage, en un regard, ma mère me comprenait parfois. Le plus grand de la bande, certainement le plus vieux également, s'avança vers moi pour détailler mon engin.

— C'est ton nouveau vélo ? Demanda-t-il d'un ton plutôt sympathique à ma plus grande surprise.


Je hochai la tête en guise de réponse. Depuis mes huit ans, je n'avais pas prononcé un mot ni entendu le son de ma propre voix. Il me demanda s'il pouvait l'essayer alors j'acceptai sans me poser de questions. Seulement au lieu de cela, il le balança dans la rivière qui était juste derrière. J'écarquillai les yeux et me précipitai jusqu'à celle-ci alors que ses amis s'amusaient à sauter dessus, retirant la chaîne, déformant les pneus tout neufs... Quand je voulus avancer, le garçon qui avait jeté mon vélo à l'eau me poussa dans la rivière et je m'étalai tête la première dedans. L'eau était glacée, nous étions en plein mois de janvier. Je pouvais les entendre rigoler et ça me rendait furieux, je n'avais même jamais été autant en colère avant. Quand je me relevai, je me jetai sur lui, le faisant basculer en arrière, je le fis alors rouler jusqu'au bord de la rivière et j'appuyai sur sa tête pour l'enfoncer dans l'eau glaciale qui y coulait. Je n'avais qu'une envie : qu'il se noie. Il tapait des mains dans l'eau et battait des pieds à en creuser la terre mais moi je me sentais enfin supérieur à lui. Je me sentais plus fort. Pourtant, l'un de ses amis me tira en arrière en m'attrapant par le col de mon pull, je tombai sur les fesses, dans la boue. En voyant qu'il avait presque succombé, j'eus cette sensation de bien-être, de satisfaction que je n'avais jamais ressentie avant. Le poids que j'avais sur le cœur avait disparu, et je ne regrettais pas mon acte de violence.

Dans la tête d'un Psychopathe [Édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant