33. Le Roi de la Vermine

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Il fallut bien vite me rendre à l'évidence.

Si je n'agissais pas, j'étais condamnée à servir de faire-valoir à Pangelpique jusqu'à la fin de mes jours.

J'étudiai longuement les possibilités d'évasion qui pourraient s'offrir à moi. Sauter du balcon du Palais relevait du domaine de la folie. Je m'y serais rompu les os sans le moindre doute. Pour le reste, je me savais encadrée de trop près pour échapper à la vigilance de Pangelpique et de ses sbires plus de quelques instants. En conclusion, je n'avais pour l'instant d'autre option que celle de la patience. Ravagnan partageait cet avis et m'enjoignait à ne rien tenter de stupide, convaincu que la chance finirait bien par tourner, tôt ou tard.

Ce qui me motivait, c'était la certitude que quelque chose se préparait dans l'ombre et que l'Inquisiteur ne tarderait pas à être frappé un grand coup. Non seulement, depuis la visite de l'usine je savais la masse des ouvriers prête à s'enflammer d'un jour à l'autre et je ne cessais de songer à ce mystérieux individu masqué, occupé à agiter les bas-fonds de la ville. Il ne faisait pas l'ombre d'un pli que cet homme était le même que celui avec qui nous étions tombées nez à nez le jour où la bande du Mouillard avait attaqué la ville. Autrement dit, il ne pouvait s'agir que d'un de ces brigands, infiltré au sein même du fief de Pangelpique, afin de venger son défunt chef. Cet homme était notre allié, à Ravagnan autant qu'à moi et à tous ceux qui espéraient la chute de l'Inquisiteur.

A la fin du mois d'octobre de cette même année 2082, soit un an jour pour jour après avoir quitté Adalbert et la grande maison, j'entrevis enfin la possibilité d'échapper au triste sort qui m'était promis.

Grâce aux soins constants de Ravagnan, je n'avais cessé de reprendre des forces si bien que je me sentais maintenant capable d'élaborer une tentative de fuite.

Ce matin-là, il faisait horriblement froid. Cela faisait des jours entiers que Ravagnan tentait sans succès de remettre en état l'antique système de chauffage du palais. Alors que j'étais encore enveloppée dans mes couvertures, tentant d'échapper à la morsure du gel, une voix familière me fit sursauter.

-Debout, petite. L'Inquisiteur veut te parler.

La voix puissante de Saturnin venait de retentir, me tirant brutalement du demi-sommeil dans lequel je me trouvais encore. Sans chercher à discuter, je m'habillai en hâte avant de rejoindre la salle du conseil où attendait Pangelpique. L'Inquisiteur était seul, assis sur une haute chaise de bois. Saturnin était resté en dehors de la pièce, me laissant face à face avec le vieillard. Ce dernier, vêtu de ses habituelles robes d'hermine, triturait nerveusement l'accoudoir de son siège. Lorsque je fis mon entrée, un large sourire s'épanouit sur ses lèvres minces.

-Ah, vous voilà, très chère ! Je vous remercie d'avoir fait si vite. Nous avons un grave problème à régler et votre aide ne sera pas superflue pour en venir à bout.

Un problème ? De quoi parlait-il ? Et en quoi pouvais-je être utile en la circonstance ? Pangelpique souleva alors devant ses yeux une petite cage de fer à l'intérieur de laquelle couinait un gros rat noir.

-Cette vermine s'est mise à proliférer de manière incontrôlable, ces derniers temps. Elle envahit les caves et les greniers, elle grignote les orteils des petits enfants, elle dévore les chats des mégères et par-dessus tout, elle risque de nous apporter la peste. Cela, je ne le souhaite à aucun prix.

La main de Pangelpique qui tenait la cage se mit à trembler nerveusement.

-J'ai tout fait pour offrir un avenir meilleur aux Liégeois. J'ai toujours agi en homme pieux selon les commandements de notre Seigneur, et voici comment le Ciel me remercie ! Une invasion de rats ! Quelqu'un m'a jeté un mauvais sort. Je suis sûr qu'il reste des Macrâles dans cette ville et qu'elles sont la cause de tous nos malheurs. L'heure venue, elles paieront pour leurs crimes.

Macrâle: itinéraire d'une sorcière de BelgiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant