NIKITA

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Le froid moscovite frappait les joues rosies du jeune homme aux cheveux ébènes, le bout de son nez rougissant à mesure qu'il avançait entre les arbres que la neige avait recouverts. Ses cils et sourcils, attaqués eux aussi par le gel russe, formaient de fines lignes noires autour desquelles se catalysaient les flocons de janvier. Le bout de ses doigts, enchevêtrés dans les liens des armes qui pendaient à son épaule, perdait de sa couleur alors que les délicates articulations se tentaient de blanc. 

À mesure qu'il traversait l'épaisse couche blanche pour rejoindre sa propriété, le souffle chaud qui émanait de ses lèvres s'évaporait et la vapeur d'eau s'accumulait à la commissure de ses lèvres pleines, rondes, roses. 

L'épais bonnet qui barrait son visage disparu aussitôt lorsque ses chaussures rencontrèrent le porche de la bâtisse, et en s'engouffrant rapidement à l'intérieur, il retira une à une les couches de vêtements qui gardaient le froid loin de sa chair et de ses os. Il entreprit d'enlever ses chaussures dans lesquelles l'eau commençait doucement à s'infiltrer, mais la voix de sa sœur le coupa dans son élan. 

- Niki ! Tu es rentré. Il fait presque nuit, je m'inquiétais. 

Nikita haussa un sourcil lorsqu'il vit sa cadette se tenir, pieds nus et cheveux détachés, près de la rampe de l'escalier qu'elle avait manifestement emprunté quelques secondes plus tôt, lorsque la lourde porte du manoir s'était ouverte. 

Anastasia, dont le jeune âge disparaissait doucement pour faire place à des traits plus durs et à des rougeurs cutanées, se balançait d'un pied à l'autre, étudiant avec malice son frère aîné qui se battait désormais en tentant d'enlever ses chaussures. 

- Ana, pourquoi n'es-tu pas avec Madame Ikonomova? Tu n'aurais pas une leçon de piano, par hasard ? 

La jeune fille mordit l'intérieur de sa joue, soudainement mal à l'aise. 

- Carolina m'a autorisé à venir te dire bonsoir, ce n'est qu'une toute petite pause. De plus, j'aimerais te dire que j'ai passé la journée en cuisine pour te cuisiner un tiramisu. 

Le visage de Nikita se détendit, l'idée de dévorer la pâtisserie promise lavant toute trace d'ennui et de fatigue en lui. Il se débarrassa finalement de ses chaussures et de ses gants, enfilant ses chaussons et trainant des pieds pour embrasser le front de sa sœur. 

- Merci Ana, retourne à ta leçon. 

La jeune fille disparu avec un petit rire, et Nikita passa par le séjour pour accéder aux ascenseurs que la dernière lubie de sa mère avait installée. Il plaqua son pouce contre le bouton du troisième étage, et se laissa presque immédiatement tomber sur son lit, les enceintes près de son bureau commençant doucement à jouer un air de Vivaldi qu'il appréciait tout particulièrement. 

Il avait cet attrait excessif pour tout ce qui le passionnait, tout ce qu'il aimait. Il avait cette faim, cette soif d'apprendre, même de dévorer, tout ce qu'il pouvait toucher. S'il s'agissait de la musique, alors il passerait des heures à écouter un compositeur en boucle ou à lire des partitions jusqu'à ce qu'elles dessinent des notes sous ses paupières closes. S'il s'agissait de livres, alors il lirait tous les livres d'un auteur jusqu'à tenter de deviner les prochains mots de sa phrase. S'il s'agissait de mets, alors il pourrait passer une après-midi entière à goûter diverses spécialités. Surtout lorsqu'il était question de vin, car lorsque le goût du liquide traversait sa langue, il pouvait s'imaginer au milieu des vignes italiennes, ou au cœur des châteaux français. Il devait savoir, le goût, la couleur, l'odeur, la provenance. Il devait savoir.

C'était maladif, et handicapant. Il ne prenait rien à la légère, et le manque d'intérêt de ses pairs face à des sujets si complexes le mettait hors de lui. Une vague de colère le submergeait lorsqu'on ne l'écoutait pas parler de sa dernière trouvaille ou de son dernier essai. 

EMERALD WILDSWhere stories live. Discover now