Automne 2012
Ce bahut est tellement craignos qu'il me fait presque regretter mon ancien collège. D'après mes vieux, le privé a une meilleure réputation que le public. Seulement, si j'en crois l'état lamentable de ce réfectoire, ils se sont joliment fait enfler les cinq mille balles que leur a coûté mon inscription.
Dans un soupir, je repousse mon plateau d'où une odeur douteuse se dégage, en tentant d'ignorer les cris des deux abrutis assis en face de moi. Pour m'occuper jusqu'à ce que la pause-déjeuner se termine, j'extirpe de mon sac à dos le magazine que ma mère m'a acheté hier. Je me pince l'arête du nez, en constatant qu'une fois de plus, elle s'est plantée. Sérieusement ? Depuis le temps qu'elle me connaît, elle devrait savoir que ce qui m'intéresse, c'est la musique et certainement pas les équipes sportives.
Faute de mieux, je tourne les pages, les lèvres pincées.
— Toi aussi t'aimes le basket ? m'interpelle l'un des deux mecs, installé de l'autre côté de la table rectangulaire.
Il ne me laisse même pas l'occasion de lui répondre que déjà sa voix – toujours en train de muer – résonne de nouveau.
— Tu joues ?
— Non, me contenté-je de lui répondre sèchement.
Du haut de mes quatorze ans, j'ai expérimenté pas mal de sports, mais ce truc de gonzesses ne m'a jamais tenté.
— Pourtant, t'es grand, ajoute-t-il, comme s'il venait de m'en apprendre une bonne.
J'ai toujours mesuré une tête de plus que les autres. Si j'en crois le toubib, je devrais frôler les deux mètres à l'âge adulte. Seulement, je ne vois pas en quoi ma taille pourrait l'intéresser. Son pote ricane avant de se lever afin de rejoindre le self, nous laissant dans un tête-à-tête dont je me serais bien passé.
— Et toi t'as une grande bouche, ce n'est pas pour autant que tu devrais être chanteur d'opéra, lui fis-je remarquer.
Surpris par mon audace, il se penche vers moi, tout en repoussant une boucle rousse qui lui tombe devant les yeux. Si jamais mes parents apprennent que je me suis fait un ennemi le jour même de la rentrée scolaire, je risque d'en entendre parler jusqu'à Noël. Mais contre toute attente, ses pupilles bleues accrochent les miennes, tandis qu'un rictus amusé se dessine sur ses lèvres fines.
— T'es plutôt fun, constate-t-il, enfin.
Ne sachant pas quoi répondre, je hausse les épaules avec la ferme intention de me replonger dans ma pseudo-lecture.
— Viens faire un essai sur le terrain ce soir, reprend-il. On cherche justement des nouveaux joueurs. La moitié de l'équipe a foutu le camp pour le lycée, et il faut qu'on soit prêt pour les qualifs.
C'est moi ou ce type est incapable de la boucler plus de trente secondes ? Je m'apprête à lui dire que j'ai d'autres projets, bien que ce ne soit pas le cas, quand une furie à la chevelure enflammée débarque sur le banc à ses côtés.
— J'ai oublié ma carte, nous apprend-elle dans une moue faussement désolée.
Elle tire sur les bretelles de sa salopette en jean, tâchée de peinture rouge, puis vole sans la moindre hésitation le petit pain du bavard.
— Dégage de là, sangsue. Je suis en train de recruter notre nouveau joueur.
Perplexe, la gamine me sonde de ses grandes billes couleur azur. Elle croque à pleines dents dans son larcin rassis, et mastique la bouche entrouverte sans jamais me quitter du regard pendant ce qui me semble être une éternité. Puis enfin, elle se décide à pivoter vers son voisin afin d'attraper sa briquette de lait chocolatée.
— Tu veux vraiment laisser ta petite sœur chérie mourir de faim ? minaude-t-elle en battant des cils.
— C'est le premier jour et t'as déjà oublié la moitié de tes affaires ! râle son frangin. Je préférais quand t'étais encore à l'école primaire.
— À ton avis, rebondit-elle, pourquoi est-ce que j'ai demandé à redoubler ? Pour éviter de voir ta sale face de rat matin, midi et soir.
Les doigts du mec s'écrasent sur le visage de la petite pour l'obliger à reculer.
— Retire tes sales pattes, grogne-t-elle, en se débattant.
Se moquant de sa demande, il continue de compresser son nez contre sa paume.
— Merde, April ! Tu m'as mordu !
Précipitamment, il retire sa paluche pour la secouer dans tous les sens. Tout en la fusillant du regard, il pousse d'un air vaincu son plateau dans sa direction.
— Je le dirai à maman, siffle-t-il.
Galvanisée par sa victoire, elle humecte ses lèvres avant de se jeter comme une mort de faim sur la bouffe. Blasé par la scène qui se déroule devant moi, je me lève le plus discrètement possible.
— Hey, tu vas où ? cherche à savoir mon nouveau meilleur pote.
C'est bien ma veine. Depuis que j'ai foutu un pied ici, je n'ai adressé la parole à personne. Et voilà qu'il fallait que je tombe sur le pot de colle de l'établissement.
Je n'ai même pas besoin de me retourner pour savoir qu'il trottine derrière moi. Je jette la nourriture presque intacte et range la vaisselle dans les bacs mis à disposition quand il prend appui contre mon épaule, comme si on se connaissait depuis toujours.
— Qu'est-ce que tu fous ? lâché-je, agacé.
— Rien, me sourit-il en feignant l'innocence.
Ce gars est vraiment louche.
— Au fait, je m'appelle Emmett, se présente-t-il.
Bien décidé à ne pas faire durer ce supplice plus longtemps, je m'apprête à reprendre mon chemin vers la sortie.
— Excuse-moi, mais j'ai d'autres choses à faire, balancé-je avant de pivoter de moitié.
Sans aucune raison apparente, son expression bienveillante se fait remplacer par un air effrayé. Lentement, il ose un pas dans ma direction, en murmurant :
— Ne bouge surtout pas.
Ce con commence à me faire flipper.
— Qu'est-ce qui se passe ? questionné-je, durement.
— T'as une putain d'araignée dans ton cou. Un truc de fou, mec.
L'effroi se propage dans mes veines, et dans un réflexe de survie, mes dents se serrent. Je déteste ces bestioles poilues aux pattes trop nombreuses. Ce sont des abominations de la nature qui pourraient très vite me faire vriller.
Emmett sort à la va-vite de son sac un grand cahier orangé. D'une démarche lente, il s'approche de moi, m'offrant un aperçu de plus en plus précis de son acné. Puis, sans que je le voie venir, il abat sèchement son carnet en plein sur ma tronche. Sous le choc, je lâche un "bordel" avant de serrer les poings alors qu'un éclat de rire quitte sa gorge.
— Tu l'as chopé ? m'assuré-je, en massant ma joue douloureuse.
— Ouais.
Les deux mains sur le bide, il s'esclaffe ouvertement, ce qui attire l'attention des autres. Je m'assure qu'aucune mygale ne me court dessus, en frottant mes fringues, puis lui jette un regard haineux au moment où il tend sa paume sous mon menton. Une araignée en plastique, de celles qui envahissent les maisons à Halloween, y trône fièrement.
— Tu te fous de ma gueule ? grondé-je.
— Je t'ai eu, s'amuse-t-il en reprenant difficilement son souffle.
Les narines dilatées par la colère, je me fais une promesse silencieuse. Tu ne perds rien pour attendre, trouduc. Préférant prendre la fuite, il se faufile entre les autres élèves, un sourire amusé plaqué sur la tronche.
— Dix-huit heures sur le terrain, beugle-t-il. Et ne sois pas en retard !
Tu aimes jouer, Emmett ? Ça tombe bien, puisque moi aussi.
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The Dark Ritual ( Sous contrat d'édition chez Addictives )
RomanceLorsque April, une future étudiante à Berkeley, entend parler d'un mystérieux rituel censé financer ses études, elle décide de tenter sa chance. The Dark Ritual, organisé par la célèbre fraternité des Lupus Magna, semble être une opportunité en or...