2 - April

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Installée sur un tabouret haut du salon, j'avale une gorgée de ma boisson. À quelques mètres de moi, avachis sur l'immense canapé en cuir noir, des couples s'embrassent langoureusement. Avec une telle ferveur que je me demande si cette soirée n'est pas en train de se transformer en orgie. Je bats des cils à plusieurs reprises afin d'effacer ces images de mon crâne quand un type s'arrête à mes côtés.

— Salut, me sourit-il.

Surprise par sa bravoure, je me redresse afin de mieux l'examiner. Entre son polo griffé, ses lunettes carrées et ses cheveux blonds impeccablement coiffés, il ne semble pourtant pas être du genre suicidaire.

— Qu'est-ce qui se passe ? continue-t-il. J'ai un truc entre les dents ?

— Je cherche seulement à comprendre si t'es courageux ou juste stupide, lui avoué-je, un sourcil arqué.

Ses épaules s'agitent durant de longues secondes avant qu'il ne se ressaisisse.

— Tu dis ça par rapport à ton frère ? devine-t-il d'une voix aiguë.

Sans me laisser le temps d'en placer une, il enchaîne :

— Je le connais, tu sais, on est dans la même promo. Et puis, je ne cherche pas à te draguer. Tu me faisais seulement un peu de peine à rester toute seule dans ton coin.

— Mh... Donc, tu as eu pitié de moi ? grimacé-je, en feignant d'être vexée.

Son éclat de rire résonne entre nous, ce qui finit par m'arracher un sourire timide. Ouais, il est peut-être bien courageux finalement.

— Ma meilleure amie est en train de flirter, alors je me tiens à distance, lui appris-je en inclinant le sommet de mon crâne vers Harper et sa conquête du soir.

Penchées l'une vers l'autre, elles se tripotent mutuellement les cheveux tout en se lançant des œillades appuyées. Autrement dit, je ne suis pas prête de rentrer chez moi. Comme nous n'avons pris qu'une seule voiture pour nous rendre à cette soirée, je vais devoir attendre qu'elle se décide à partir. Et dans la mesure où je la connais par cœur, je sais par avance qu'elle voudra flirter jusqu'au bout de la nuit.

— Elle a l'air de bien s'amuser, me fait-il remarquer.

— Ça en ferait toujours une sur nous deux.

D'un bond, je quitte mon siège, en verrouillant l'écran de mon smartphone. Le nouveau venu porte sa bouteille de bière jusqu'à ses lèvres quand une voix que je reconnaîtrais entre mille gronde sur ma droite.

— Dégage de là, Ethan.

Par réflexe, je sursaute en plaquant une main sur ma poitrine avant de me dévisser le cou afin de capter le regard d'Ashton. Toutefois, il ne m'accorde pas la moindre attention, totalement focalisé sur celui qui me tenait gentiment compagnie.

— Je ne faisais rien de mal, se défend le dénommé Ethan, les paumes dressées devant lui.

— T'as entendu Emmett, non ? tique le meilleur ami de mon frère.

— T'en fais pas pour ça, mec.

Les épaules tendues,  Ashton se redresse. Rectification, Ethan est sacrément stupide. Mon voisin marque une courte pause avant de siffler d'un ton tranchant :

— Ne m'oblige pas à répéter.

Personne de normalement constitué ne voudrait irriter le pivot de l'équipe de basket. Pas seulement parce que ses exploits sur le terrain font de lui la coqueluche du directeur de l'université, mais aussi parce que ce mec est un géant à la musculature impressionnante. Ash est sculpté tel un putain de dieu grec ; de sa mâchoire carrée à son torse robuste, et bien sûr, je n'ai jamais été la seule à le remarquer.

Depuis toujours, les filles sont dingues de lui, ce qui – si j'en crois les rumeurs – est loin de lui déplaire. Coureur de jupons invétéré, il a pour habitude d'enchaîner les conquêtes sans jamais être réellement en couple. Un véritable prince charmant des temps modernes.

Après m'avoir offert un sourire crispé, Ethan tourne les talons sans demander son reste. Je sens le souffle d'Ashton caresser ma peau, juste avant qu'il ne daigne enfin m'accorder un regard.

— Ne me remercie surtout pas, siffle-t-il, en passant nerveusement une main dans sa tignasse brune.

— Je te demande pardon ?

— Je viens de te sauver la mise parce que si ton frère...

— Sauf que je n'attends plus sa bénédiction, ni même la tienne, le coupé-je, sur une tonalité assurée.

Ses pupilles vertes me sondent longuement. Avec une telle intensité qu'un afflux de salive s'accumule dans ma bouche. Quand nous étions au lycée, j'acceptais sans rechigner d'appliquer les ordres de mon frangin, mais ils doivent savoir que ce temps-là est révolu. J'ai bien l'intention de profiter de mes années universitaires comme tout le monde. Peu importe qu'Emmett me considère toujours comme une gamine, et que son pote le suive dans son délire. Je suis en âge de prendre mes propres décisions, merde !

Le temps se fige jusqu'à ce que je me décide à me racler la gorge pour mettre fin à cet étrange moment. Ashton intimide peut-être la plupart des gens, mais avec moi ça ne prend pas. Il faut dire que je le connais depuis un paquet d'années. Toujours fourré aux côtés d'Emmett, ils ont fait les quatre cents coups ensemble ; ce qui m'a permis d'accumuler pas mal de dossiers contre eux. Je ne compte pas m'en servir, mais je n'hésiterais pas à leur rappeler en cas de besoin.

— J'ai grandi, l'informé-je avec une assurance de façade. Je ne suis plus une gamine chétive.

Autour de nous, la fête continue de battre son plein. Entre musique électro et cris pour s'encourager à s'enfiler le plus de shots possibles dans un temps record. Pourtant, son sourire en coin m'est entièrement destiné quand il se penche légèrement vers moi.

— Tu ne l'as jamais été, Dobby.

À leur tour, mes lèvres s'incurvent. Son pseudo-compliment me touche plus que de raison. Et ce, même s'il me compare à un elfe de maison aux grandes oreilles.

Je me souviens pertinemment du moment où il m'a interpellé ainsi pour la première fois. Le fameux soir de mon interprétation – à laquelle il a bien sûr assisté puisque mes parents avaient obligé Emmett à venir m'applaudir – il m'avait soufflé à l'oreille : Tu n'as rien d'une Hedwige, tu es plus têtue et rusée. Dobby te correspond bien mieux. Séduite par sa tonalité rieuse et l'odeur incroyable de son parfum, je m'étais contentée de bêtement approuver. À vrai dire, il aurait très bien pu me rebaptiser Quasimodo que j'aurais acquiescé en papillonnant. C'est ce que j'appelle l'effet Ashton Lewis. Et la pré-adolescente que j'étais à l'époque en était raide dingue. Heureusement, les choses ont fini par rentrer dans l'ordre.

— Mais ne laisse pas ces losers t'approcher de trop près, reprend-il sans s'éloigner. On a besoin d'Emmett dans l'équipe, et s'il casse la gueule à la moitié du campus, il risquerait de perdre sa bourse.

— Ou pire, surenchéris-je avec malice, de se faire expulser.

Au moment où je me marre, fière d'avoir volé la réplique d'Hermione Granger, Ashton pivote sur ses talons. Néanmoins, je suis persuadée qu'il cherchait avant tout à réprimer un nouveau sourire.

Je le suis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse dans le couloir, et seulement à ce moment-là, je m'autorise à prendre une grande inspiration.

Foutu effet Ashton. 

The Dark Ritual ( Sous contrat d'édition chez Addictives )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant