3 - April

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Les heures défilent avec une lenteur exacerbée, à tel point que j'envisage réellement d'utiliser la force pour faire sortir Harper de cette fraternité à la noix. Là où les choses risqueraient de se compliquer en revanche, ce serait pour la faire entrer dans ma voiture. À coup sûr, elle se rebellera histoire de me compliquer la tâche. L'alcool aidant, elle risquerait d'avoir le dessus. Ou pire, de me casser accidentellement une dent en se débattant. Et quitte à choisir, je préfère encore dormir en boule sur le canapé.

Je rassemble mes longs cheveux roux en queue-de-cheval très approximative, puis me dirige d'un pas las vers les escaliers. Mis à part le fameux Ethan, personne n'a osé m'approcher. Au mieux, j'ai eu le droit à quelques regards furtifs. J'ai l'impression d'être une pestiférée, ou une foldingue sur le point de disjoncter d'un instant à l'autre. Alors pour me donner une certaine contenance, je me suis enfilée de nombreux verres de jus d'orange tout en déambulant dans cette immense baraque.

Dire que je vais devoir partager une minuscule chambre sur le campus avec Harper alors qu'Emmett se la coule douce ici me fait serrer les dents. Avec du recul, j'aurais peut-être dû opter pour le sport au lieu de passer tout mon temps dans le théâtre du lycée. Un léger couinement m'échappe quand j'essaie de m'imaginer courir après un ballon. J'ai l'endurance d'un vieux fumeur de quatre-vingts ans et deux mains gauches quand il s'agit d'attraper quoi que ce soit. Alors même avec tous les efforts du monde, il aurait été peu probable que je décroche une bourse. Contrairement à mon aîné, j'ai dû recourir à l'autre option : le prêt étudiant. Emprunt qui s'alourdira de trente-sept mille dollars chaque année. C'est pourquoi l'échec n'est pas une option envisageable.

Une fois à l'étage et comme me l'a vivement conseillé l'autre crétin, je tâtonne de pièce en pièce à la recherche de la salle de bain. Lorsque je pousse sur la troisième porte, un tas d'éléments familiers me saute aux yeux. Du poster de Michael Jordan accroché sur le mur du fond aux baskets puantes qui traînent devant le lit ; ses soi-disant portes-bonheur que ma mère n'a jamais eus le droit de jeter. Durant une seconde, si ce n'est plus, j'envisage d'enquiquiner Emmett en les planquant ou en recouvrant la bouche de son idole de post-it. Mais sachant que sa contre-attaque sera dix fois plus offensive, je me ravise finalement. Je tourne la poignée suivante pour découvrir une autre chambre. Malgré l'obscurité, je constate qu'elle est bien plus organisée que celle de mon frère.

Une dizaine d'étudiants se partagent cette maison, et j'espère que je ne vais pas devoir visiter chacun de leur antre avant de trouver ces satanées toilettes.

— Persil ? grogne Ashton d'une voix grave. Mais bordel, qui a choisi ce mot de passe à la con ?

Rapidement, je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule, sans pour autant le trouver. Une seule porte est ouverte, à peine plus loin sur ma droite. Attirée par le rai de lumière qui passe à travers l'entrebâillement, j'ose un pas dans cette direction.

Seul le silence lui répond, ce qui me fait penser qu'il doit être au téléphone. Le plus discrètement possible, je me colle à la tapisserie, puis plaque une main sur ma bouche pour dissimuler ma présence. Si le pote de mon frère apprend que je suis en train de l'espionner, je ne donnerais pas cher de ma peau. Mais d'un autre côté, cette soirée est vraiment nulle à chier. Et puis, une part de moi a envie de savoir ce qui le met autant en rogne.

— Qu'est-ce que j'en sais, moi ? siffle-t-il de nouveau.

Je l'entends se déplacer dans ce qui doit être sa chambre. Et probablement parce que quelque chose cloche chez moi, je longe le mur jusqu'à l'encadrement de la porte. Sur la pointe des pieds, je me penche pour le découvrir dos à moi en train de faire les cent pas. D'un geste exaspéré, il passe ses doigts dans ses épais cheveux bruns avant de s'immobiliser net. Craignant d'être prise en flagrant délit, je me fige à mon tour. Seules mes pupilles s'autorisent à le détailler, de son simple tee-shirt noir qui met ses épaules carrées en valeur, à son jean sombre.

The Dark Ritual ( Sous contrat d'édition chez Addictives )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant