1 - Nicole

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— Mais puisque je te dis que Halé est sa cousine !

— Hailey, Ha-i-ley, articule Natacha, à mes côtés.

— Elle devrait finir avec lui, maintient Georgette.

— Elle ne peut pas, nom d'une pipe ! C'est son cousin, répète Monica. De toute façon, elle est destinée à l'autre, le brun, depuis le premier épisode. Et si tu n'avais pas une mémoire de noix de coco, tu t'en souviendrais !

J'échange un regard plein de complicité avec Natacha. Comme moi, ma meilleure amie juge les discussions avec nos copines du troisième âge toujours plus intéressantes que suivre « The Love Building ». Cette sitcom d'une dizaine de saisons met en scène les habitants d'un immeuble qui passent leur vie à s'aimer, se tromper, s'espionner...

Un véritable soap opera à l'américaine !

Tous les lundis soirs, nous nous installons dans le salon de Georgette, la voisine du deuxième étage, pour nous enfiler trois épisodes d'un coup. Sans doute que la vie dans ce « building » ressemble un peu à la nôtre bien que je ne m'identifie à aucun personnage. Ici, il y a les mêmes têtes excentriques, mêmes dramas et toujours plus de ragots, chuchotés avec l'accent toutefois.

Au 17, rue de la République à Marseille, on ne dira pas « Fuck you ! », mais « Va te jeter aux Goudes ! » C'est ce que Georgette lance régulièrement à Natacha quand cette dernière râle sur le volume poussé au max. Contrairement aux dames ici présentes, notre audition est encore en bon état. Normal d'un certain côté : nous sommes les plus jeunes dans cette petite assemblée.

Rares sont donc celles qui restent attentives au feuilleton. Seule Myriam, la poétesse du sixième, suit les allées et venues des acteurs au brushing impeccable.

Quant à Monica, quatre-vingt-sept ans de sarcasmes, elle n'en a clairement rien à faire. D'un œil distrait, elle observe qui passe à la télé, se tait une minute et reprend ses médisances sur le reste de l'univers. Il faut dire qu'elle a déjà visionné tous les épisodes au moins trois fois. Son passe-temps préféré consiste désormais à taquiner Georgette, notre voisine.

Sur le canapé, jambes repliées, plaid sur les épaules, Natacha glousse à chaque réplique et en répète certaines avec emphase dans le creux de mon oreille :

— Oh, Nicole, tu es la femme la plus extraordinaire que j'ai jamais connue !

Puis, elle ajoute d'une voix rauque :

— Mais tu me caches quelque chose.

Elle m'assène un coup de coude pour me gronder, alors je rétorque, placide :

— Natacha, je sais qu'il y a une autre femme dans ta vie.

— Oui, probablement.

Nous partons dans un fou rire, contenu pour ma part, tonitruant du côté de Nat. À tel point que Monica et Georgette interrompent leurs chamailleries. J'ai une pensée compatissante pour n'importe quel inconnu qui serait propulsé dans cette pièce entre toutes ces bonnes têtes féminines dont il confondrait les prénoms. C'est un peu le cas de Gaël, invité exceptionnel de notre soirée. Il ose à peine s'asseoir et fait des allers-retours entre le salon et la cuisine pour porter des bouteilles, des verres ou encore des gâteaux apéritifs.

— Il est timide, c'est trop chou, souffle Natacha à mon intention.

— Le pauvre, à sa place, j'aurais déjà trouvé une excuse pour m'échapper.

Je me penche un peu et le voit chercher quelque chose dans le frigo de Georgette, il se relève et regarde l'heure sur sa montre connectée.

— Je crois qu'il s'ennuie, glissé-je à Nat.

Des aiguilles sous le sapinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant