Appareillage sauvage

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Le rendez-vous chez l'audioprothésiste arrive bien plus vite que prévu... un désistement sur le planning semble-t-il.
Un bien? Un mal? Je ne sais pas trop... je ne sais toujours pas... le jury délibère encore lol.

Place des cordeliers... à Lyon... un cabinet médical du sol au plafond... comme chez le médecin, une salle d'attente immaculée... pourtant ne vous y trompez pas! Un audioprothésiste n'est pas une médecin, ni un scientifique! C'est un vendeur... un commençant... comme le lunetier... plus communément appeler opticien...
Bref, me direz vous... je m'égare...
Non mais je m'égare parce que vous allez très vite comprendre que cette épisode est cruciale... cette précision l'est aussi...
Parce qu'au font quel est le but de cette visite ? Me rendre mes oreilles ? Avec bienveillance et altruisme? Faire le meilleur choix pour que je puisse redécouvrir le monde? Guider? Indiquer la meilleure possibilité ? Ou se faire de l'argent?

Avez-vous déjà regarder le prix des prothèses auditives ? Vous êtes vous intéresser à ce marché, florissant et toujours en plein développement ? Non? Parce que ça vaux le détoure vraiment... au point d'orienter vos enfants vers ce beau métier qui doit être, sans aucun doute, bien lucratif.
En moyenne, en France aujourd'hui, il faut compter 2 000€ pour une prothèse... donc compter minimum 4 000€ pour une surdité bilatérale...
D'après capital, (https://www.capital.fr/economie-politique/protheses-auditives-le-juteux-marche-des-malentendants-en-10-chiffres-1108548 )sur 6 millions de sourds en France, 1.9 millions sont appareillés alors que 3 millions devrai l'être... et oui, parce que sur ces 2 000€ la sécurité sociale rembourse en moyenne 120€... oui oui vous avez bien lu, je n'ai pas oublié de zéro... et si vous avez une bonne mutuelle, elle pourra allez jusqu'à vous rembourser 320€... là encore, je n'ai pas oublié de chiffres...
C'est pas beau la vie?
Alors pour être honnête, en 90, je ne sais plus quel était le prix de ces petites merveilles mais je me souviens des yeux de ma mère devant la facture... des discussions entre mes parents, avec ma famille... d'une demande d'aide à un cousin, des rendez-vous de ma mère chez l'assistante sociale de son travail et surtout de l'appel à la sécurité sociale et de cette brave dame qui explique à ma mère que: « les prothèses auditives , c'est comme les lunettes, c'est considérés comme un CONFORT, pas une obligation »... heuuuuuuu comment vous dire ??? Est-ce qu'un fauteuil roulant est un confort? Une béquille ? Une prothèse de jambe ? Une prothèse du genou? Une prothèse de la hanche??? Ben non en fait! Ce n'est pas un CONFORT...
Autant vous dire que cette bonne dame a prit chère. Mais croyez moi, si c'était aujourd'hui et que j'étais à la place de ma mère, je pense qu'elle prendrait encore plus chère parce que voyez-vous aujourd'hui, je n'imagine plus ma vie sans mes oreilles « bioniques »...
Mais pour en revenir à nos moutons, ce rendez-vous a été épique... pourquoi épique ? Parce qu'il est à l'image de ce qu'il ne faut pas faire... je le sais aujourd'hui mais à l'époque, nous arrivions dans ce monde de l'audioprothésie sans rien en savoir, sans méfiance, sans descriptions d'un métier qui sommes toute existe depuis longtemps pourtant... Le texte fondateur de la profession date du 3 janvier 1967... bref... revenons à nos moutons...

Un monsieur d'un âge nous reçoit, récupère la prescription médicale de l'ORL. Encore une fois, je suis contrainte à la cabine des horreurs, des sons, des mots... Je sens la fatigue comme à chaque fois que je passe ces tests. La concentration que cela me demande, l'attention pour être sûr de ne pas louper un son ou déformer un mot est colossal... et pourtant je sais déjà que c'est sans insu. La conclusion sera toujours la même: je n'entends pas tout, je ne comprends pas tout... je pense que la fatigue était accentuée par la déception que j'avais l'impression d'infliger à mes proches mais aussi celle que je vis moi-même, de ne pas être « normal », d'avoir « quelque chose en moins ». Quand j'entends « déficit d'audition » je comprends déficit tout court...Quand on parle de « perte auditive », je comprends négatif, en moins...
J'ai 13 ans, je suis une pré ado et je rentre dans un monde que je ne connais pas et que personne autour de moi ne comprends plus que moi... Grand-mère de Monton, est décédé il y a quelque temps, je ne peux même pas en discuter avec elle... Et au vu de son grand âge, je ne suis même pas sûr qu'elle aurait pus m'apporter grand chose. Jeune, elle ne semblait pas sourde...
J'ai les oreille d'une mamy de 80 ans dans le corps d'une ado, en pleine croissance...
Et cette visite ne va pas m'aider à accepter cette particularité bien au contraire.
Froidement, sans vraiment d'explication, cet homme venu de nul part, va ensuite prendre l'empreinte de mon conduit d'oreille, avec  une matière qui ressemble à de la pâte à modeler qu'il introduit dans mes conduits et sur les pavillons avec une seringue.
Il met ça dans un petit sac, puis explique à ma mère qu'il faut reprendre rendez-vous auprès de sa secrétaire pour venir chercher les appareils. Pas un mot de plus, pas de comparaison d'appareillages, pas de devis, pas de discussion sur ce qui serait le plus adapter... le néant...
On repart comme on est venu... si ce n'est encore plus perdu.
Le rendez-vous suivant, quelques semaines à peine plus tard, est aussi rapide. Aussi insignifiant. Il sort des embouts translucides d'un sachet, résultat sûrement de la prise d'empreintes de mes conduits, coupe un petit tube en plastique qu'il accroche aux prothèses qu'il sort de deux boîtes flambant neuve, et le introduit tout ça dans mes oreilles... sans délicatesse l'embout transparent prend sa place et les appareilles passent derrière mon pavillons... et il branche...
Et là! C'est l'explosion! L'explosion de sons, de bruit. L'afflux d'un tintamarre grandiose, d'un charivari impressionnant, d'un vacarme indéfinissable...
Je sursaute. Ma mère saisi ma main. Et j'entends les premiers mots « ça va ma chérie? ». Outch... cette voix m'agresse... Mais ce n'est rien à côté de du rire de l'homme à mes côtés. Je sursaute encore. Puis je l'entends comme s'il criait dans mes oreilles : « Ce n'est rien! Tu vas t'habituer bien vite! C'est le début c'est normal! ».
Je crois que j'ai les yeux exorbités... Je me sens agressée de toute part. Je n'ai qu'une envie: retirer ces engins de malheur!
Il explique alors à ma mère qu'il faut que je porte sans interruption ces appareils, que je me contraints à supporter les bruits. Elle acquise. Elle a compris à l'expression de mon visage que rien ne sera simple et que l'ado que je suis n'est pas ravie. Mes yeux sont déjà partout... il cherche l'origine des bruits mais n'en reconnaît aucun. Chaque son est déformé, pas seulement amplifié mais aussi modifié par je ne sais quoi.
On est reconduit vers la secrétaire qui remet des documents à ma mère. Trop occupée à chercher l'origine de tout ce que je peux percevoir, je ne prête que vaguement attention à l'attitude de maman et à l'échange avec la secrétaire. Je me souviens cependant d'un silence soudain qui me fait tourner la tête vers elle... Je crois qu'elle vient de consulter la facture pour la première fois. Elle ne dit plus rien... Elle s'est arrêtée au milieu d'une phrase. C'est sûrement ça qui m'a intrigué. La secrétaire ne dit plus rien non plus dans un premier temps. Soit elle ne sait pas comment réagir soit elle craint la réaction de ma mère... Finalement, elle choisi d'ignorer carrément le malaise et repart dans une diarrhée de distribution et d'explication des documents qu'elle remet.
Ma mère est quelqu'un de discret par nature. Elle n'aime pas se donner en spectacle.
Sans m'en rendre compte, je me suis approchée d'elle et j'ai saisi sa main. Je m'en aperçois lorsque je sens qu'elle la sert fort, qu'elle se tourne vers moi et me sourit. Mais je vois bien que ce sourire n'atteint pas le font de ses yeux...
Je vous l'ai dit plus tôt, je serais incapable de vous dire à combien s'élevait la facture à ce moment là mais je me souviens par contre de la détresse de mes parents face à cette dépense imprévue. Je me rappelle aussi la gêne provoquée par tous ses sons en sortant de ce cabinet et en arrivant dans le rue. Impossible pour moi d'avoir une conversation suivie avec ma mère. Trop d'afflux d'informations, trop de perturbations... Jusqu'à ce qu'on arrive dans l'habitacle de la voiture qui étrangement me semble calme, j'ai les yeux qui cherche partout, je sursaute beaucoup, j'ai du mal à fixer mon attention sur quoi que se soit. Ma mère rit de me voir découvrir les choses. Personnellement, je suis loin d'avoir envie de rire, j'ai presque envie de pleurer plutôt.
Le répit est de courte durée parce que le démarrage du moteur de la voiture est bruyant...
Du coup, on ne parle pas... C'est assez étrange pour être signaler parce que n'importe quelle personne qui me connaît ou qui m'a déjà croisé vous dira, même à l'époque, que je suis une vrai pipelette...
En arrivant chez nous, je vais directement dans la chambre... Je ne me souviens plus si mon petit frère est là ou si mon père est déjà rentré du travail. La seule chose dont je me souviens c'est d'avoir été m'enfermer et d'avoir retirer les appareils. Je me suis couchée sur mon lit, les yeux sur le plafond et j'ai savouré. Je ne vous direz pas que j'ai apprécié le silence ou l'absence de bruit, puisqu'il me semble que même sans eux, à l'époque je percevais certains sons... mais j'ai apprécié ne ne plus avoir les « nouveaux sons ». Je suis fatiguée aussi. Comme si j'avais couru un marathon. J'ai l'impression d'avoir mal partout. Certainement parce que j'étais tendu depuis qu'on avait branché les appareils. Je m'endors d'ailleurs rapidement sans vraiment m'en rendre compte.

Le cul entre deux chaisesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant