Révélation

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Les années d'internats passent... Je ne me souvient pas avoir porté mes appareils pendant ce délais... Je ne sais même plus si mes amies savaient que j'étais sourde ou même mal entendante... Mes résultats sont toujours aussi moyens. Je ne me distingue dans aucune matière en particulier. Je valide mon brevet. Il faut que je m'oriente... J'arrive en seconde générale mais je découvre l'orientation en sciences sanitaires et sociales dans mon lycée. J'accepte de redoubler ma seconde pour me réorienter... J'ai toujours envie de travailler avec des sourds. Le social m'attire... Je pense au métier d'éducatrice spécialisée.
Entre temps je suis de nouveau hospitalisé. J'ai eu quelques crises où mon visage c'est bloqué. Mais là, je me paralyse entièrement du côté gauche. À l'hôpital, je rencontre le premier amour de ma vie que je perds d'un cancer généralisé quelques temps plus tard... Une belle histoire que je ne raconterai pas ici, parce que ce n'est pas vraiment le sujet.
Je remonte la pente doucement psychologiquement, au moment où un stage de fin de seconde il me semble, m'emmène dans un collège incluant des élèves sourds.

Et là c'est LA rencontre...
Dans cet établissement était accueilli des élèves sourds et mal-entendants appareillés ou pas, bilingue en langue des signes ou pas, oralisés ou pas... Bref des élèves de tous horizons et avec des histoires atypiques, et toutes très différentes.
Ces élèves sont dans les classes classiques, certains cours sont traduit par un interprète en langue des signes, comme le français et l'histoire géographie. En complément, ils ont des cours intégralement en langues des signes et un suivi avec une orthophoniste au sein de l'établissement.
C'est avec cette dame que j'effectue mon stage. Je ne me souviens plus du nom de cette professionnelle mais je me rappelle de sa bienveillance... Elle a révolutionné ma vie et si un jour, elle a l'occasion de lire ce livre, je la remercié profondément.
Je lui raconte mon histoire autour de la surdité. Parce que ça me paraît opportun pour travailler avec elle... Elle me révèle alors j'ai subit ce qu'on appelle un « appareillage sauvage ». En effet, lorsqu'on est appareillé correctement m'explique t-elle, l'appareillage se fait progressivement... on doit consulter l'audioprothésiste toutes les semaines au début, qui augmente petit à petit les sons qu'on perçoit grâce au appareil mais également qu'on doit porter les prothèses progressivement d'abord quelques heures par jours pour augmenter, là aussi progressivement l'utilisation. C'est indispensable pour ne pas agresser l'oreille et pour qu'on ne soit pas agressé par les bruits du monde. Puis les rendez-vous et les réglages s'estompent jusqu'à devenir annuel.
Elle m'invite à reprendre mon suivie et me donne le nom d'un ORL de l'hôpital Édouard Herriot : DR Truy qu'elle connaît bien et avec qui elle a l'habitude de travailler. Elle me dit que c'est indispensable pour que je puisse vivre dans de meilleurs conditions. Elle insistera tout le long de mon stage.
Elle m'expliquera aussi pleins de choses qui éclairent ma vision de la surdité. Notamment qu'on ne dit plus « sourd et muet » mais « sourd et mal entendant », tout simplement parce que le sourds ne sont pas muets sauf lorsque deux pathologies se côtoient ce qui reste assez rare. Tout on long de mon stage je découvre que le niveau « d'oralisation » ne dépend aucunement de l'audition mais que divers éléments de contexte influencent la difficulté ou la facilité d'expression orale. Pour exemple lors d'une séance avec plusieurs élèves, elle me demande ensuite de déterminer qui de deux élèves, une jeune fille qui s'exprime très bien et un jeune garçon beaucoup moins à l'aise, selon moi est le plus sourd. Bien sûr comme tous néophytes je désigne le jeune garçon... et bien sûr je me trompe... Elle me décrit alors une différence importante entre ces deux élèves, que je retrouverai tout le long de mon parcourt. Cette jeune fille a pu, grâce a sa famille entendante, bénéficier de tous les outils à sa disposition pour developper son oralisation: langue des signes, mais aussi LPC (langue parler compléter), une technique qui consiste à fait un geste précis prêt du visage pour différencier les sosies labiaux. En effet lorsque vous articulez, sans émettre de sons, par exemple : poisson, boisson et moisson, la forme de votre bouche est la même. Résultat un sourd ne peux faire la différence entre ces trois mot lorsqu'il lit sur vos lèvres. Et hors contexte, rien ne permet au sourd de faire la différence.
Beaucoup de sons en langue française ont cette particularité. C'est pourquoi cette méthode a été inventé.
Elle a aussi été formé à la lecture labiale qui n'est pas toujours automatique même si c'est souvent le cas. Elle a eu un suivie très jeune par des orthophonistes et autres professionnels qualifié. L'oralisation nécessite d'apprendre à prononcer chaque son, en apprenant à placer sa langue, sa bouche, sa voix, comme il faut. C'est un travail intense au quotidien comme un chanteur d'opéra à qui on apprend à prendre sa respiration au bon moment, les sourds doivent apprendre à poser leur voix et les sons. Vous n'en avez pas conscience mais beaucoup d'organes jouent un rôle dans la voix en dehors des oreilles. Votre voix roule dans votre gorge, dans votre nez et dans votre ventre. Votre respiration joue dans votre prononciation. Vous le faite naturellement car vous « entendez » le résultat et modifier votre comportement lorsque le son qui sors ne correspond pas à vos attentes. C'est un feedback que les sourds n'ont pas. Il faut donc compenser par autre chose notamment le toucher de la gorge, ou du ventre... tout un tas de technique que les professionnels enseignent au fils du temps aux personnes sourdes.
En réalité, pour cette petite fille, sa famille lui a donné toutes les cartes en main pour pouvoir évoluer dans de bonnes conditions.
D'autre jeunes n'ont pas cette chance. Parfois parce que les familles n'ont pas les moyens financiers de prendre à charge autant de « soins ». Mais surtout parce que très souvent, les familles sont mal renseignées et ne connaissent pas toutes ces techniques complémentaires. Surtout à l'époque, dans les années 80.
Un autre paramètre rentre parfois en jeux: lorsque ces enfants viennent d'une famille sourde, celle-ci ne comprend pas toujours l'intérêt d'être oralisé et vie souvent mal ce rapport à la parole qui lorsqu'elle est mal acquise provoque un complexe. En effet la voix souvent déformer des sourds, créé chez l'entendant des réactions qui renvoient une mauvaise image de cette compétence. Beaucoup de sourds savent s'exprimer et refusent de le faire pour cette raison. De plus, immergés dans le monde sourd, pratiquement la langue des signes au quotidien, ils n'éprouvent pas le besoin d'utiliser ce mode de communication. Parfois même, ils réjettent purement et simplement le monde entendant.
Je reviendrais plus tard sur cette situation qui mérite d'être développée.
Pour le moment, j'en reviens à ces découvertes qui vont bouleverser ma vie.
Donc, beaucoup d'éléments de contexte, hors du taux d'audition détermine la capacité de s'exprimer à l'oral pour une personne soude. Chaque élément peut avoir une incidence sur le résultat.
Ce qui est certain aussi pour les professionnels, c'est que la langue des signes est indispensable au développement de l'enfant sourd et doit être sa langue maternelle. C'est une nécessité pour qu'il puisse être épanoui. Parce que cela lui permet de rentrer en communication avec le monde extérieur, déprimer ses émotions, ses désir et d'avoir une représentation du monde. Être compris et comprendre est vital. Il a fallu longtemps à notre pays pour comprendre cela puisque la langue des signes a été interdite longtemps dans notre pays. Elle était considérée comme des « singeries » indigne de l'homme. On attachait même les mains des sourds dans leurs dos pour qu'ils cessent d'utiliser cette langue en les obligeant à parler, parce que d'expression avec les mains est instinctif pour eux. Comme les aveugles touchent tout, développe leur ouïe, les sourds développent leur vision notamment périphérique et leur geste.
Et d'ailleurs, les bébés même entendants, on aussi cet instinct puisque la motricité se développe avant le langage, il utilise le pointage et ses mains pour se faire comprendre.
N'importe qui, privé de sa voix, aura tendance à utiliser les gestes pour se faire comprendre. C'est un automatisme.
En France les changements sont longs et délétères. Il faut des décennies pour faire le moindre progrès. Il faudra attendre 1991 pour qu'elle soit reconnue comme langue d'enseignement. Elle sera progressivement réintroduite dans l'éducation des sourds. Il faudra quand même attendre la loi pour l'égalité des droits et des chances et la citoyenneté des personnes en situation de handicap pour que la LSF soit considérée comme « langue à par entière ». Une langue riche et complexe, avec une histoire, une grammaire, une syntaxe et une culture. On évalue entre 80 000 et 120 000 personnes, pratiquant la LSF en France aujourd'hui.
Elle reste cependant encore peu développé et il est difficile d'avoir recourt à un interprète professionnel dans les circonstances indispensables, en prenant en plus en compte que c'est un service payant qui peut être très onéreux. Ils sont environ aujourd'hui 500 répertoriés en activité en France aujourd'hui alors qu'il en faudrait 10 fois plus. Aucune administration ne dispose d'un interprète à temps plein encore aujourd'hui et même si elles mettent en place des créneaux de consultation par visio sur rendez-vous ( comme à la caisse d'allocations familiales) un peu partout maintenant, ça reste des mesures exceptionnelles. Aucun service des urgence hospitalières par exemple n'est capable d'accueillir une personne sourde dans de bonne condition.
Aux États-Unis, l'ASL (American sign langage) est la troisième langue la plus couramment utilisée après l'anglais et l'espagnol. Et c'est aussi la langue des signes la plus répondue dans le monde. Alors les américains ont sûrement bien des défauts mais de ce côté là, on a rien à leur envier et on n'a plutôt quelques belles leçons à recevoir.

Le cul entre deux chaisesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant