Cauchemarville

Chapitre 5 : L'Apparition

Le lendemain soir, alors que le crépuscule enveloppait Cauchemarville, Emmanuel s'apprêtait à recevoir à nouveau quelques amis pour un dîner. Il espérait que leur présence pourrait, au moins temporairement, alléger l'atmosphère oppressante qui régnait dans la maison. Lucien, Camille et la famille DaSilva avaient accepté de revenir, curieux et inquiets à la fois. Cette fois, Sofia, la médium, se joindrait à eux, intriguée par les récents événements.

Emmanuel se tenait devant le grand miroir du salon, se remémorant les étranges phénomènes des derniers jours. Les murmures, les ombres mouvantes, les portes qui s'ouvraient seules... Tout cela commençait à le ronger de l'intérieur. Il avait besoin de réponses, et plus encore, il avait besoin de paix.

La soirée commença dans une relative normalité. Les convives échangeaient des banalités, essayant de dissiper l'atmosphère tendue par des rires forcés et des plaisanteries nerveuses. Sofia observait attentivement, ses yeux perçants semblant capter des détails invisibles aux autres. Au bout d'un moment, elle se leva et annonça qu'elle souhaitait faire une petite exploration de la maison.

« Je sens une présence ici, très forte, » déclara-t-elle. « J'aimerais voir les lieux où vous avez ressenti des manifestations. »

Emmanuel la guida à travers les différentes pièces, suivis de près par les autres. Lorsqu'ils arrivèrent à la salle de bain, Sofia s'arrêta net, fixant le miroir avec une intensité presque surnaturelle.

« C'est ici que j'ai vu la silhouette, » dit Camille, un frisson dans la voix.

Sofia se plaça devant le miroir, ferma les yeux et commença à murmurer des incantations. La température dans la pièce chuta brutalement, et un silence oppressant s'installa. Soudain, le miroir sembla se troubler, comme si une brume épaisse s'en échappait. Une forme indistincte commença à se dessiner, se précisant peu à peu. C'était une figure humanoïde, sombre, avec des yeux rougeoyants qui semblaient brûler d'une colère intense.

Les convives reculèrent, horrifiés, tandis que la silhouette se matérialisait davantage. Sofia, les yeux toujours fermés, continuait ses incantations, une expression de concentration intense sur le visage. La figure dans le miroir se mit à bouger, ses lèvres formant des mots silencieux, mais Emmanuel ne pouvait entendre que des murmures indistincts, comme un écho lointain.

« Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? » demanda Sofia d'une voix ferme.

La silhouette sembla hésiter, puis une voix profonde et caverneuse résonna dans la pièce. « Je suis Antoine de Montresor. Cette maison est mienne, et je ne permettrai pas qu'on me chasse. »

Emmanuel sentit son cœur se serrer. C'était bien lui, le fantôme de l'homme qui avait maudit la maison. Mais pourquoi cette haine persistante ? Pourquoi ne pouvait-il pas trouver le repos ?

« Pourquoi restez-vous ici ? Qu'est-ce qui vous retient ? » continua Sofia.

La silhouette s'agitait, comme perturbée par ces questions. « Mon âme est enchaînée à cette terre par une trahison. J'ai été injustement accusé et condamné. Mon sang réclame vengeance, et tant que justice ne sera pas rendue, je resterai ici, maudit et tourmenté. »

Les mots de Montresor résonnaient comme une sentence éternelle. Emmanuel sentit un mélange de peur et de pitié pour cet esprit prisonnier de son propre passé. Sofia, elle, paraissait plus déterminée que jamais.

« Nous allons découvrir la vérité, Antoine. Nous allons vous aider à trouver la paix. Mais pour cela, vous devez nous montrer ce qui s'est passé. »

La silhouette sembla vaciller, puis disparaître brusquement, laissant le miroir clair comme avant. Sofia se tourna vers Emmanuel et les autres, le visage grave.

« Nous devons enquêter sur cette accusation. Il y a forcément des archives, des documents qui pourraient nous éclairer. »

Emmanuel hocha la tête, décidé à découvrir la vérité. Les invités quittèrent la maison peu après, chacun avec des pensées lourdes de questions et de doutes. Seuls Emmanuel et Sofia restèrent, planifiant leurs prochaines étapes.

Le lendemain, ils se rendirent à la mairie de Cauchemarville, où se trouvaient les archives historiques. Après avoir expliqué leur requête au responsable des archives, un homme âgé et courbé du nom de M. Beauregard, ils furent conduits dans une salle poussiéreuse remplie de vieux registres et de documents jaunis.

« Vous cherchez des informations sur Antoine de Montresor ? » demanda M. Beauregard en feuilletant un vieux registre. « C'est une histoire sombre, vous savez. Mais vous pourriez trouver des détails dans les registres des procès de l'époque. »

Emmanuel et Sofia passèrent des heures à fouiller parmi les documents, cherchant des traces du procès et de la condamnation de Montresor. Ils découvrirent des extraits de journaux, des lettres et des comptes rendus de tribunal, peignant un tableau complexe et souvent contradictoire de l'affaire.

Antoine de Montresor avait été accusé de trahison et de meurtre, mais les preuves semblaient minces et basées sur des témoignages douteux. Il était décrit comme un homme fier et obstiné, mais aussi respecté et aimé par ceux qui le connaissaient bien. Les accusations semblaient motivées par des rivalités personnelles et des jalousies, et le procès avait été expéditif et biaisé.

« C'est une injustice flagrante, » murmura Sofia en lisant les derniers comptes rendus. « Il a été condamné sans preuves solides, juste sur des rumeurs et des insinuations. Pas étonnant que son esprit ne puisse pas trouver le repos. »

Emmanuel sentit une colère sourde monter en lui. Son ancêtre avait été victime d'une conspiration, et cette injustice avait maudit sa famille pendant des générations. Il devait faire quelque chose pour corriger cela.

En revenant à la maison, ils discutèrent des différentes options pour apaiser l'esprit de Montresor. Sofia proposa un rituel de purification, combiné avec une cérémonie de justice symbolique pour rétablir l'honneur de Montresor. Emmanuel accepta, bien qu'il ne soit pas sûr de l'efficacité de ces pratiques ésotériques. Cependant, il n'avait rien à perdre.

Le soir du rituel, ils préparèrent la maison avec soin. Sofia traça des cercles de protection autour des pièces principales, alluma des bougies et des encens, et disposa des cristaux pour canaliser les énergies. Emmanuel, vêtu de vêtements cérémoniels fournis par Sofia, se tenait au centre du salon, prêt à affronter l'esprit de son ancêtre.

Sofia commença à psalmodier des incantations, appelant les esprits à témoigner de leur quête de justice. La température dans la pièce chuta à nouveau, et une brume épaisse se forma, s'élevant du sol comme des volutes de fumée spectrale.

« Antoine de Montresor, » appela Sofia, « nous sommes ici pour rendre justice et rétablir votre honneur. Venez à nous et montrez-nous la vérité. »

La silhouette de Montresor apparut dans la brume, plus distincte et plus tangible que jamais. Emmanuel sentit une vague d'émotion le submerger, mélange de peur, de colère et de compassion.

« Antoine, nous savons que vous avez été victime d'une injustice. Nous demandons pardon en votre nom et nous faisons appel à tous les esprits bienveillants pour vous aider à trouver la paix. »

La silhouette de Montresor sembla vaciller, ses yeux rouges brillant d'une lueur moins intense. Emmanuel s'avança, tendant une main tremblante vers l'esprit.

« Je suis désolé pour ce qui vous est arrivé. Nous allons tout faire pour corriger cette erreur et vous permettre de reposer en paix. »

Les murmures dans la pièce s'intensifièrent, comme si les murs eux-mêmes chuchotaient des paroles d'encouragement. Montresor sembla s'adoucir, sa silhouette devenant moins menaçante.

« Si justice est faite, je trouverai peut-être le repos, » murmura-t-il avant de disparaître lentement, laissant une sensation de paix fragile mais palpable dans la pièce.

Emmanuel et Sofia restèrent debout, silencieux, ressentant le poids de l'histoire et de la promesse qu'ils avaient faite. Le rituel n'était qu'une étape. Il leur restait à prouver l'innocence de Montresor de manière tangible, à réhabiliter son nom et à exorciser définitivement la malédiction.