Chapitre 1

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PDV: Aly


— Aly ! Aly, aide-moi, je t'en prie !

C'était la voix d'Elio. Il m'appelait, mais je ne voyais rien, il faisait trop sombre. Plus je courais, plus le sol devenait humide et l'atmosphère oppressante.

— Aly !

Cette fois, des sanglots.

J'avais peur. Seulement... pas pour moi, mais pour lui. Mais soudain, tout s'arrêta : les pleurs, les voix, les cris. Plus rien. Seulement cet endroit abandonné et détruit par le temps. Néanmoins, une seule chose retint mon attention. C'était...

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— Aly, tu m'écoutes ?

Je sursautai en entendant la voix de Paula, qui me sortit une nouvelle fois de mes pensées encombrantes.

— Non, désolée Paula, j'étais dans mes pensées.

Ça ne servait à rien de lui mentir, cette fille était devineresse. Je me demandais même parfois si elle n'avait pas des dons de voyance.

Je connaissais Paula depuis le collège. Nous nous étions rencontrées dans les toilettes de notre collège privé, au centre de Mexico. J'y étais entrée pour trouver un peu de tranquillité, loin de tous ces bourgeois qui parlaient à longueur de journée d'argent et qui ne cessaient de se battre pour savoir qui avait eu la dernière montre connectée hors de prix. Je faisais peut-être partie du même monde qu'eux, mais j'en avais honte. Paula était là quand je suis entrée dans les toilettes, et disons que la connexion entre nous a été immédiate.

— Tu abuses, Aly ! J'arrivais presque au moment le plus croustillant de mon histoire, râla-t-elle.

— Laisse-moi deviner : tu as revu le beau... ah non, "magnifique" boxeur du Sumesa ? Je ris devant sa mine dépitée. En réalité, ce n'était pas compliqué à deviner puisque cela faisait plus de trois jours qu'elle me parlait de ce fameux boxeur du Sumesa, la supérette où nous passions notre temps après la fac. Elle l'avait apparemment croisé là-bas, en train de finir son service avant de se rendre à la salle de boxe d'à côté. Cette même salle de boxe qui me faisait rêver, mais c'était sans compter ma mère, qui m'avait formellement interdit d'y entrer.

— Je t'assure que si tu l'avais vu, tu en parlerais autant que moi.

— Oui, c'est ça, répondis-je en riant légèrement. Bon, on se voit demain, et n'oublie pas de m'envoyer un message une fois chez toi !

— Oui, maman, dit-elle en accompagnant ses mots d'un salut militaire exagéré qui me fit lever les yeux au ciel.

Après cela, j'attendis mon bus pour rentrer chez moi.


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— Je suis rentrée ! dis-je, voulant absolument éviter ma mère et monter dans ma chambre, mais je savais que c'était déjà peine perdue.

Devant moi se trouvait ma mère, Maria Flores. Elle était vêtue d'une jupe droite blanche qui lui arrivait aux genoux et d'un chemisier en cachemire beige. Elle représentait tout de la femme élégante, mais surtout, elle sentait le fric à plein nez. Tout le monde la voyait comme une femme respectable, et son sourire faux y aidait bien. Mais moi, je la voyais telle qu'elle était réellement : une femme méchante et imbus d'elle-même.

Ma relation avec elle avait toujours été difficile. Mon père était parti avant ma naissance, je ne l'avais donc jamais connu. Ma mère me répétait sans cesse que c'était ma faute s'il était parti, que je n'aurais jamais dû exister. Quand elle a rencontré son deuxième mari et qu'elle a donné naissance à Elio, ses remarques constantes avaient presque cessé, mais pas totalement. J'avais encore droit à des réflexions sur mon poids, mes goûts, et elle allait jusqu'à dicter ma vie et mon avenir. Elle m'avait inscrite de force à la faculté de droit prestigieuse de Mexico City. C'était un calvaire, et c'est peut-être triste à dire, mais au fil du temps, on s'y fait, on vit avec. Mais la douleur, elle, reste. Ses mots ont formé en moi un trou béant que je cherche absolument à combler. C'est à ce moment-là que la nourriture est devenue un fléau, et à 11 ans, j'ai compris le sens du mot "hyperphagie".

— Ne me dis pas que tu reviens de ce quartier défavorisé, Aly.

J'inspirai profondément, ne voulant pas encore me disputer avec elle.

— Si, mais j'étais au Sumesa, maman...

Ma mère détestait que je me rende à l'est de la ville. Les favelas étaient pour elle un nid à bactéries et un endroit dangereux rempli de fous alliés. Elle n'avait peut-être pas tort, c'est vrai que c'était dangereux, mais il y avait une partie de cette population qui était dans le besoin, et cela me brisait le cœur d'entendre toutes ces atrocités dites par ces familles de riches qui ne savent même pas ce qu'est la misère.

— Alors c'est ça ? Ton frère a disparu et toi, tu vas traîner avec la racaille.

À ce moment-là, ma douleur refit surface.

Je t'en prie, maman, ne parle pas de lui. C'est trop dur. Trop douloureux.

Je ne pris même pas la peine de répondre et montai dans ma chambre en la bousculant alors qu'elle m'appelait en hurlant.

À peine la porte fermée, mes larmes dévalèrent mes joues, créant à moi seule un océan de peine et de solitude.

J'avançai jusqu'à mon lit avant de m'asseoir pour prendre une photo sous mon oreiller. Une photo d'Elio et moi dans le jardin de notre ancienne maison de vacances.

Mes yeux se perdirent sur son visage où un sourire radieux ornait son visage. Mes larmes redoublèrent.

— Tu me manques tellement, Elio... murmurai-je.

Cela faisait presque trois semaines qu'il avait disparu, laissant en moi une profonde solitude et une tristesse immense. Mais j'étais aussi tellement en colère, en colère contre ma mère qui croyait les idioties de la police, mais aussi en colère contre moi-même de me sentir si impuissante dans cette situation.

Et encore une fois ce soir, mes émotions prirent le dessus, et je fis la seule chose que je savais faire finalement.

Les engloutir jusqu'à en avoir envie de vomir.

Almas Atormentadas (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant