XXIII

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APRIL

Je dévalai les escaliers, il était près de 19h. J'avais qu'une seule hâte : que ce dîner prenne fin. Je n'aimais pas la façon dont ma mère voulait nous faire passer pour une petite famille heureuse alors qu'ici je ne l'étais pas. En particulier à cause de lui. Si seulement elle savait me souffla ma conscience. Je savais qu'elle avait raison, si seulement ma mère savait tout ce qu'il me faisait. Peut être qu'elle ferait rien finalement. Peut être qu'elle le préfère à nous, à moi. Jamais je n'ai pu m'empêcher de remarquer qu'elle s'inquiétait plus pour Armance que pour moi. J'ai parfois détesté Armance pour ça, avant de me rappeler qu'elle n'y était pour rien.
L'odeur de la dinde me ramena à la réalité. Nous n'avions jamais eu de Noël tel quel puisque nous n'avions jamais pu nous procurer de nourriture si chère. N'empêche, ça sent divinement bon. Je pris un petit morceau de Dinde ainsi que quelques frites. Je n'avais pas vraiment faim en sa présence. Il me rappelait tous ces hommes. Tous ces malheurs que j'eus vécu sans même y consentir. Je commençais à manger tout en écoutant Jack et ma mère parler.
"Je suis heureuse qu'on soit tous les quatre présents autour de cette table. Comme une famille.
Je pouffai. Une famille sérieusement ?
-Qu'est-ce qui te fait rire April ?
Elle me fusillait du regard, elle pensait quand même pas ce qu'elle disait, si ?
-Non rien, je suis heureuse aussi d'être ici.
-Et si tu nous parler un peu du garçon venu te voir tard à Halloween ?
Jack me défiait du regard. Il savait ce qu'il faisait.
-Quel garçon ? Bon sang, aucun garçon ne vient à la maison !
-Je l'adore, c'est lui qui a amené April me récupérer à l'école quand vous n'êtes pas venus.
-Je...je n'ai pas de petit ami ! Et déjà à Halloween ils étaient en groupe, il n'y avait pas que lui.
-Et pour Armance ? C'est quoi cette histoire encore ! S'écria ma mère.
-C'est...le jour où...vous vous êtes fiancés. Aucun de vous ne voulait bouger. L'école d'Armance n'est pas à côté et Dume était le seul à conduire mman...je-
-Attends. Dume ?
Elle paraissait stupéfaite. Comme si j'avais ravivé un malheur qu'elle connaissait.
-Oui c'est-
-Très bien. Je ne veux pas que tu continues d'être avec ce garçon ou sa sœur. Rien. Tu sais très bien les rumeurs sur notre famille, pourquoi prends-tu un tel risque ? Je te pensais moins conne que cela quand même.
Conne
Conne
Conne. Encore. Toujours.
Je mourrais d'envie de déverser ma haine. C'est pas mon problème si elle ne savait pas s'occuper de ses filles et qu'elle préférait picoler putain. Et son mari, merde. Elle ne sait rien de lui et elle se permet de m'engueuler. Putain...si seulement elle savait. Si seulement.
-Je ferai plus attention.
-Bien, soupira-t'elle. Mange un peu.
Elle désigna du menton mon assiette encore remplie. J'avais seulement avalé un morceau de Dinde et deux/trois frites. Ils m'avaient coupé l'appétit. Il était impossible de manger en sa présence. Impossible.
-J'ai plus faim maman.
-Très bien. Madame veut se la jouer anorexique alors deviens-le. Je commence à en avoir marre de cuisiner dans le vide. Tu ne manges jamais rien April, merde ! Tu vas finir par crever tellement tu manges pas et ce ne sera pas mon problème."
Quoi ?
J'étais bouche-bée. Plus le temps passait plus son comportement devenait de moins en moins supportable. Cette ville, cette ville devenaient de moins en moins supportables. Je me sentais au bout du rouleau. Comme si j'atteignais la fin du tunnel mais qu'il n'y avait pas de lumière. Comme si c'était la fin. Plus aucune issue possible.
J'attendais impatiemment minuit. On ouvrirait les cadeaux et je pourrais par la suite enfin me réfugier dans mon lit. Je déposai mon assiette et mes couverts dans le lave-vaisselle avant de faire de même pour les autres. Je l'avais ensuite la table avant de m'enfoncer aux côtés d'Armance dans le canapé. Un film de Noël démarra. Je reconnu aussitôt les personnages de Maman j'ai raté l'avion. Un classique qui ne pouvait que plaire. Mon cœur fondu chaque fois que j'entendais Armance rire. Elle mérite une vie meilleure bien loin d'ici.
Une fois le film terminé, je montai à l'étage avec Armance. Cette petite fille croit encore au père Noël. Jeune et innocente. Des bruits venait d'en bas, ils installaient les cadeaux. Ma mère monta chercher Armance le sourire aux lèvres. La vue du salon me coupa le souffle. Des traces de chaussures étaient représentées, comme si quelqu'un avait marché dans le salon. Ces traces étaient faites d'une poudre blanche sensée représenter la neige. On aurait dit de la farine ou de la fausse neige. Plusieurs cadeaux étaient disposés sous le sapin. Ça paraissait irréel, magique. Comme dans les téléfilms. Armance nous bouscula, se pressant de rejoindre le sapin cherchant son prénom sur les cadeaux. Je capturais cet instant avec mon appareil photo. Je l'avais retrouvé il y a quelque jour, un ancien appareil photo Canon Zoemini S2. Je descendis à mon tour voir les cadeaux. Armance cria chaque fois qu'elle vit son prénom. Elle eut au total quatre cadeaux. Je vis ma mère tendre une boîte à Jack. Ce dernier lui tendit un petit paquet. Jack et ma père me fixèrent avant de me tendre un paquet cadeau. Surprenant, je pensais qu'on aurait rien eu, se moqua ma conscience. Je regardais ma petite s'épanouir à chaque fois qu'elle déballait un cadeau. Elle avait le sourire jusqu'aux oreilles. C'était comme si, à cette instant personne ne pouvait lui gâcher sa joie. Elle était encore plus joyeuse que d'habitude. Ma mère souriait elle aussi. Voir sa petite fille avoir des cadeaux qu'on aurait jamais pensé pouvoir lui offrir doit vraiment faire chaud au cœur. Je regardais les cadeaux d'Armance, aucun mot ne franchissant la barrière de mes lèvres. Une grande maison barbie, deux poupées, plusieurs vêtements -probablement pour ses nouvelles barbies et une paire de chaussures, des adidas blanches. D'où est-ce que tout cet argent sortait-il ?
Ma mère avait eu un collier par Jack. Pas n'importe lequel, un Swarovski. Les prix étaient exorbitants. Ma mère avait opté pour une bague Holzkern pour Jack. Cet argent venait sûrement du fait qu'elle travaillait énormément. Quelque chose était flou dans cette histoire. Elle faisait moins d'heures sous le prétexte que le salaire de Jack était suffisant. Mais si son salaire est si suffisant que cela, pourquoi vivons-nous toujours dans cette maison ?
Tous trois me scrutèrent, attendant que je déballe à mon tour le paquet cadeau que je tenais dans mes mains. J'avais l'infime espoir d'avoir un bon cadeau moi aussi même si venant de ma mère je ne m'attendais à rien. Sa préférence pour Armance était très visible à des kilomètres. L'humiliation s'empara de moi quand je découvris le cadeau. Jack me regardait en rigolant. C'était sûrement l'un de ses coups montés pour se foutre de ma gueule. Quant à ma mère, elle affichait un grand sourire. Un tablier ?
Je dévisageais ma mère et Jack chacun leur tour. Quelque part, je me convainquis qu'elle avait réellement pensé à moi. Que peut être elle penserait que ce cadeau me rendrait heureuse. Mais une question me trottait dans le coin de la tête.
« Pourquoi s'ils ont les moyens de s'offrir de beaux bijoux ils m'offrent un simple tablier ? »
Non pas que sois déçue, après tout c'est l'attention qui compte mais la plupart achète des bijoux ou des fleurs, pensai-je. Pourquoi je suis celle à qui on offre un tablier ? Quel est le
message ? Je vaux si peu que ça ?

In Four Seasons Où les histoires vivent. Découvrez maintenant