5h45
Demi commençait à se préparer tout en essayant de ne pas s'endormir sur place. Elle sentait ses paupières se fermer incontrôlablement dès qu'elle n'était pas totalement concentrée, et son esprit était encore tout alourdi par la fatigue. Elle commença à regretter sérieusement de s'être levée aux aurores, mais elle ne pouvait pas vraiment se défiler ; hier soir, elle la jeune femme avait donné rendez vous à son amie, Neerin, dans un café vers le centre de la ville à 7 heures du matin. Elle avait pensé que la lettre du Conseil l'empêcherait de trouver le sommeil, d'où l'organisation de cette rencontre à une heure très matinale. Mais finalement, le stress de l'entrevue avec les conseillers s'était dissipé lorsqu'elle s'était attelée au reste du rangement de sa chambre. Et lorsqu'elle avait pris un somnifère avant de dormir.
Je n'aurais pas dû faire ça...
Les guérisseurs qui l'avaient suivie pendant son séjour au Centre de soin suite à sa disparition lui avaient formellement interdit toute utilisation de sédatifs, ou de n'importe quel médicament censé aider au sommeil et à calmer l'anxiété. Lorsque ses parents avaient été informés de cette décision, ils avaient mis sous clé toute leur réserve personnelle de remèdes. Dans le but de la protéger. De l'empêcher de se faire du mal. De ne pas fuir la réalité et d'affronter ses peurs.
Facile à dire quand on n'avait pas un esprit sournois qui immisçait en permanence des souvenirs effrayants de réalisme, vestiges de démons que l'on tentait vainement d'oublier. Demi n'avait jamais désobéi. Enfin, presque jamais. Depuis sa sortie au Centre de soin, elle s'était procurée quelques somnifères, juste au cas où... Et hier, elle n'avait pas résisté à la tentation de fuir les doutes et les peurs que lui avait procuré la lettre. Et la boîte en carton.
À la place des médicaments, on lui avait tout de même prescrit des sessions de thérapie, en pensant qu'il était temps pour elle de s'ouvrir sur cette disparition trop secrète et trop traumatisante pour être anodine. À la première session, Demi n'avait pas dit un mot. Sa thérapeute et elle étaient restées en silence pendant presque toute l'heure. Étrangement, cette absence de paroles avait été plus réconfortante que l'aurait pu être une conversation à cœur ouvert.
« Ne reviens pas tout de suite Demi, lui avait-elle dit avant de partir. Tu n'es pas prête à me parler, et je te comprends. Je veux juste que tu m'écoutes : ne laisse pas les autres te forcer à t'ouvrir. Ne t'oblige pas à dire ce qu'il s'est passé ou ce que tu ressens si tu n'en as pas la force. Tu sauras quand le moment sera venu pour cela. Mais n'attends pas trop : ne te construis pas une nouvelle blessure en gardant tout cela pour toi. Il n'y a qu'une fragile frontière entre se construire à partir de ses traumatismes, et se renfermer sur soi-même jusqu'à se perdre. Tâche de prendre les décisions qui te semblent les plus justes pour tomber du bon côté.»
De précieux conseils qu'elle gardait constamment en mémoire. Peut-être qu'ils seraient plus importants que jamais pour son entrevue avec le Conseil...
6h01
Il lui restait exactement 59 minutes pour s'habiller, écrire un mot à ses parents pour qu'ils ne s'inquiètent pas de son absence, sortir de chez elle sans rien oublier, et se rendre au café au Neerin l'attendait. Elle espérait avoir le courage de parler un peu à son amie de comment elle se sentait, histoire d'arriver confiante au rendez-vous confidentiel. Elle ne pouvait lui révéler le programme de sa journée pour ne pas contrarier les ordres des conseillers, mais même si elle l'avait fait, elle n'aurait pas eu de craintes à subir les répercussions de cette transgression de la volonté de ses dirigeants : Neerin était sa meilleure amie depuis bien longtemps, et elle lui accordait toute sa confiance. Si elle devait lui confier un secret, elle savait que son amie l'emporterait dans sa tombe.