l'arrivée à Forbach

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Forbach, une ville aux frontières de la France et de l'Allemagne, se révélait petit à petit à Pierre alors qu'il conduisait sa petite voiture à travers les rues étroites et pavées. C'était une ville modeste, une ancienne cité minière où les bâtiments en brique rouge, marqués par le temps, témoignaient d'une époque révolue. La mine de charbon, autrefois le poumon économique de la région, était fermée depuis des décennies, et les vestiges de cette époque parsemaient encore le paysage. Une mélancolie douce semblait émaner des lieux, mais cela ne faisait qu'attiser la curiosité de Pierre.

Jeune historien de 29 ans, Pierre avait décidé de quitter la ville bruyante de Paris pour se consacrer à des recherches plus personnelles. Passionné par les mystères et les histoires occultes, il avait choisi Forbach pour une raison bien précise : la Tour des Schloßberg et les récits de disparitions mystérieuses qui circulaient depuis des siècles. Il espérait y découvrir des traces d'événements oubliés, peut-être même résoudre quelques énigmes historiques.

Son nouvel appartement se situait rue Nationale, au-dessus d'une petite boulangerie tenue par un couple de septuagénaires, les Muller. Leur boutique était réputée pour ses croissants dorés et son pain à l'ancienne, ce qui convenait parfaitement à Pierre, toujours à la recherche d'une bonne raison de sortir de ses livres.

Le premier jour, tout semblait presque idyllique. Après avoir emménagé dans son appartement modeste mais chaleureux, Pierre descendit pour saluer ses voisins. Mme Muller, une femme aux cheveux grisonnants, l'accueillit avec un large sourire.

- Bonjour, jeune homme ! Alors, comment vous vous installez ? Vous verrez, c'est calme ici, presque trop calme parfois, mais vous vous habituerez, dit-elle en riant doucement.

Pierre, en souriant, répondit poliment :

- Je pense que ça me conviendra très bien. Après Paris, un peu de tranquillité ne peut pas faire de mal !

M. Muller, occupé à préparer des pâtisseries derrière le comptoir, ajouta d'une voix grave :

- La tranquillité, oui... Mais faites attention à ne pas trop traîner dans les bois à la nuit tombée. On raconte toutes sortes d'histoires, vous savez...

Pierre haussa un sourcil, intrigué.

- Oh ? Quelles histoires ?

Mme Muller secoua la tête en riant légèrement.

- Mon mari aime bien effrayer les nouveaux venus. Il parle des vieilles légendes sur la forêt du Warndt et la Tour des Schloßberg. Des histoires pour faire peur aux enfants.

Pierre nota mentalement de se renseigner davantage, mais il se contenta d'un sourire.

- Je vois. J'aime bien les légendes, alors peut-être que je vous demanderai plus tard de me raconter ces histoires, M. Muller.

Le boulanger hocha la tête gravement, avant de retourner à ses préparations.

Après avoir pris quelques croissants pour le petit déjeuner du lendemain, Pierre retourna à son appartement. La ville semblait vraiment tranquille. Il passa l'après-midi à déballer ses affaires, puis fit une promenade dans le centre-ville. Forbach avait un charme rustique avec ses petites rues commerçantes, son église Saint-Rémi dont les cloches résonnaient dans l'air calme, et le marché où les habitants échangeaient leurs produits locaux. Il apprécia particulièrement la place Aristide Briand, avec ses cafés en terrasse où des groupes de retraités discutaient du dernier match de football. La routine quotidienne de la ville était rassurante.

Les jours suivants suivirent un rythme similaire. Pierre passait ses matinées à la bibliothèque municipale, cherchant des informations sur la Tour des Schloßberg et les histoires anciennes qui pouvaient s'y rattacher. Les archives étaient pleines de documents sur les mines de charbon, les conflits historiques entre les frontières, mais étonnamment peu de choses sur les légendes locales, comme si cette partie de l'histoire avait été oubliée, ou pire, intentionnellement effacée.

En rentrant chez lui chaque soir, Pierre aimait se promener dans les petites ruelles qui entouraient la forêt du Warndt. L'odeur des pins et la fraîcheur de l'air lui rappelaient des vacances passées à la campagne quand il était enfant. Il croisait souvent les mêmes visages : une vieille dame promenant son chien, un groupe d'adolescents discutant près du parc, et quelques joggeurs isolés qui profitaient du calme des sentiers.

Tout semblait normal. Jusqu'à cette nuit.

Cela faisait une semaine que Pierre s'était installé à Forbach, et il avait pris l'habitude de lire tard dans la soirée. Ce soir-là, alors que minuit approchait, il était absorbé par un vieux livre sur les légendes médiévales de la région. La fenêtre de son salon était légèrement ouverte, laissant entrer la brise fraîche de la nuit. Il se sentait parfaitement détendu, prêt à terminer sa lecture avant d'aller se coucher.

Soudain, un bruit étrange attira son attention. Un frottement léger, comme des pas discrets, venant de la rue. Il leva la tête de son livre, légèrement agacé d'être dérangé dans sa lecture. Curieux, il se leva et se dirigea vers la fenêtre pour voir ce qui se passait.

Dans la rue, la brume avait commencé à se lever. Une fine couche, presque translucide, qui enveloppait les pavés sous les lampadaires, diffusant leur lumière de manière étrange. Pierre fronça les sourcils, étonné de voir cette brume apparaître aussi vite, alors que le ciel était dégagé plus tôt dans la soirée.

Il regarda autour de lui, mais ne vit personne. Les rues étaient désertes, comme à l'habitude à cette heure tardive. Pourtant, ce son... il l'avait entendu clairement. Il hésita un instant, pensant peut-être à un animal ou au vent jouant avec les objets dans la rue.

Mais alors qu'il se détournait pour refermer la fenêtre, il entendit de nouveau ce frottement, plus proche cette fois-ci. Un grattement ténu, comme si quelque chose ou quelqu'un essayait d'entrer en contact.

Le cœur battant un peu plus vite, il se pencha à nouveau, scrutant les ombres. Là, au bout de la rue, près de l'entrée de la forêt, il crut distinguer une silhouette. Une ombre figée, immobile, qui semblait l'observer à travers la brume. Mais elle était trop loin pour qu'il puisse distinguer des détails.

Pierre resta figé pendant un long moment, son regard fixé sur l'ombre. Puis, dans un mouvement presque imperceptible, la silhouette s'effaça lentement dans la brume, comme si elle n'avait jamais été là.

Un frisson parcourut la colonne vertébrale de Pierre. Il referma brusquement la fenêtre et tira les rideaux, essayant de se convaincre que ce n'était que son imagination. Après tout, la fatigue et la solitude pouvaient jouer des tours à l'esprit.

Mais cette nuit-là, pour la première fois depuis son arrivée à Forbach, Pierre eut du mal à trouver le sommeil.

la brume du schlossberg Où les histoires vivent. Découvrez maintenant