chapitre 5: plus qu'un écho

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La nuit était tombée sur Forbach. L’air était étrangement calme, comme si la ville retenait son souffle avant l’arrivée d’un orage. Pierre et Claire se tenaient au pied de la forêt du Warndt, juste à l'orée des arbres imposants, leurs silhouettes à peine discernables sous la lumière pâle de la lune. Le sac de Pierre contenait quelques objets qu’ils espéraient pouvoir utiliser : des bougies, du sel, une vieille amulette que Claire avait trouvée dans les archives de la bibliothèque. Ils n’étaient pas certains que cela fonctionnerait, mais il leur fallait essayer. 

Es-tu sûr de vouloir faire ça ? demanda Claire en jetant un regard inquiet à Pierre.

Je ne peux pas fuir, répondit-il fermement. Si je pars sans comprendre ce qui se passe, je n'aurai jamais de répit. Je dois affronter cette chose, pour moi… et pour les autres.

Claire hocha la tête, bien qu’une ombre d’anxiété planât toujours sur son visage. Ils s’enfoncèrent dans la forêt, suivant le chemin sinueux qui les conduisait une fois de plus à la Tour des Schloßberg. À chaque pas, la brume se faisait plus dense, rampante, comme si elle cherchait à les encercler à nouveau. L’atmosphère devenait de plus en plus lourde, presque suffocante.

Ils atteignirent la tour sans encombre, mais l’obscurité semblait plus profonde qu’à leur dernière visite. L’édifice se dressait devant eux, imposant et menaçant. Les murs de pierre, rongés par le temps, semblaient vibrer sous l’effet d’une énergie sinistre.

Pierre sortit son carnet et se tourna vers Claire. Elle disposa les bougies en cercle autour d’eux, allumant chacune d'elles avec une lenteur cérémoniale. L’amulette qu’elle portait autour de son cou scintillait faiblement dans la pénombre.

Nous devons entrer, dit Claire en regardant la porte béante de la tour.

Pierre acquiesça. Ils pénétrèrent à l'intérieur, la lumière des bougies projetant des ombres vacillantes sur les murs couverts de mousse. La sensation de malaise s’intensifia dès qu’ils franchirent le seuil. L'air était glacial, et le murmure qui les avait poursuivis lors de leur précédente visite résonnait de nouveau, comme un écho lointain.

Claire posa un cercle de sel autour d'eux pour les protéger, puis elle ferma les yeux, chuchotant des mots que Pierre ne comprenait pas. C’étaient des incantations anciennes, des paroles que Claire avait dénichées dans des textes occultes oubliés. Elle espérait que cela suffirait à contenir l’ombre.

Le murmure s’intensifia, devenant un véritable tourbillon de voix qui semblaient provenir de tous les côtés à la fois. Pierre sentait la pression autour de lui grandir, l'air devenant de plus en plus lourd. Il fixa un point sombre dans un recoin de la tour, là où l'ombre semblait se matérialiser peu à peu. La forme indistincte qu'il avait aperçue la première nuit se déployait devant eux, une entité informe, mouvante, qui semblait aspirer la lumière elle-même.

Reste dans le cercle ! ordonna Claire d'une voix tendue.

L'ombre s'avança lentement, une sorte de forme humanoïde se dessinant vaguement dans ses contours. Pierre sentait sa présence peser sur son esprit, comme si la créature sondait ses pensées les plus profondes, cherchant une faille pour s'infiltrer en lui.

Claire intensifia ses incantations, sa voix tremblant sous la pression croissante de l'entité. Les bougies autour d'eux vacillaient, et Pierre sentait la température chuter encore davantage. Il regarda Claire, sa concentration totale, mais il voyait bien qu’elle peinait à maintenir la barrière protectrice.

Puis, tout à coup, l'ombre s'élança vers eux. Elle frappa violemment contre le cercle de sel, mais quelque chose dans les paroles de Claire, ou peut-être la force de leur détermination commune, repoussa la créature. L’entité recula en hurlant silencieusement, une onde de choc invisible traversant l’espace autour d’eux.

Ça marche ! s’écria Pierre.

Mais l’entité n’abandonna pas. Elle siffla et tourbillonna autour d’eux, cherchant un point d’entrée. Pierre sentit l’angoisse monter en lui, son esprit assailli par des visions fugaces, des images de visages tordus par la souffrance, des cris étouffés dans la brume. Il ferma les yeux, tentant de se concentrer, de résister à la terreur qui s’infiltrait en lui.

Claire redoubla d’efforts. Ses incantations se firent plus fortes, plus claires, jusqu’à ce qu’une explosion d’énergie éclate au centre de la tour. L'ombre fut projetée en arrière, ses contours se dissolvant peu à peu dans l'air. La tour elle-même sembla vibrer sous l'impact, les vieilles pierres craquant sous l’intensité du choc.

L'entité recula de plus en plus, se dissipant progressivement dans un dernier murmure étouffé, jusqu'à disparaître complètement dans l’obscurité. Le silence tomba soudainement sur la tour, un silence lourd, mais cette fois moins oppressant. L’atmosphère semblait plus légère, même si l’endroit était toujours baigné dans une lumière froide et inquiétante.

Pierre et Claire restèrent immobiles quelques instants, reprenant leur souffle. L’ombre avait été repoussée, mais quelque chose dans l’air leur disait que ce n’était pas une victoire totale.

Est-ce fini ? demanda Pierre d’une voix rauque.

Claire secoua doucement la tête.

Pas complètement. Cette chose… elle ne disparaît jamais vraiment. Nous l’avons affaiblie, peut-être endormie pour un temps. Mais elle est liée à cet endroit. Tant que la tour restera debout, son influence demeurera.

Pierre se laissa tomber contre l’une des parois de la tour, épuisé mais étrangement soulagé. L’ombre était partie, au moins pour l’instant. Le poids qu’il ressentait sur son esprit s’était allégé, même si une partie de lui restait sur ses gardes.

Ils quittèrent la tour peu après, éreintés mais avec la sensation d'avoir accompli quelque chose d'important. La forêt était redevenue silencieuse, presque apaisée, comme si la présence qui hantait ces bois depuis des siècles s’était retirée dans un sommeil profond.

Au fil des jours, Pierre continua ses recherches à Forbach, mais d’une manière plus prudente. L’ombre ne réapparut pas, et la brume cessa d'envahir son appartement. Les Muller remarquèrent qu'il semblait plus détendu, moins en proie à ces inquiétudes mystérieuses qui l'avaient tourmenté depuis son arrivée. Claire, quant à elle, retourna à sa vie à la bibliothèque, tout en gardant un œil vigilant sur les anciennes archives et les histoires oubliées de la région.

Aujourd'hui, des années après ces événements, aucun phénomène étrange n'a été signalé autour de la Tour des Schloßberg. Les visiteurs viennent y faire des randonnées, admirer la vue et se promener dans les bois du Warndt, sans jamais rien percevoir d'autre qu'un vieux vestige historique. La tour est désormais considérée comme un simple monument, un témoin du passé de Forbach.

Cependant, ceux qui s’y aventurent seuls, particulièrement à la tombée de la nuit, ressentent parfois un léger frisson, une impression fugace qu’ils ne sont pas vraiment seuls. Une ombre indistincte semble parfois se déplacer à la limite de leur vision périphérique, un murmure presque imperceptible résonne dans le vent, comme un écho ancien de quelque chose qui ne dort que d’un œil.

La présence de l’ombre n’est plus ressentie comme une menace imminente, mais elle reste là, tapie dans les profondeurs de la tour, attendant peut-être son heure, ou simplement se contentant de veiller sur ce lieu qu’elle habite depuis si longtemps.

Forbach, malgré son apparence paisible, porte en elle les secrets de son passé. La Tour des Schloßberg, avec son silence imposant, reste un rappel que certains mystères ne sont jamais complètement résolus, mais seulement endormis, dans l'attente du prochain curieux prêt à s'aventurer trop près.

Et même si l’ombre ne s'est plus manifestée depuis, ceux qui connaissent l'histoire se gardent bien de provoquer à nouveau ce qui sommeille dans les profondeurs de la tour.

Fin

la brume du schlossberg Où les histoires vivent. Découvrez maintenant