premiers signes

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Le lendemain matin, Pierre se réveilla avec un étrange sentiment d'oppression. La lumière douce du jour perçait à travers les rideaux de son appartement, mais l'atmosphère semblait différente. La nuit passée avait laissé une trace en lui, une sensation diffuse mais persistante que quelque chose ne tournait pas rond.

Pourtant, il se força à se lever, à affronter la journée comme d'habitude. Après une douche rapide et un café préparé avec la cafetière qu'il venait d'acheter, il descendit prendre son habituel croissant chez les Muller. En entrant dans la boulangerie, il fut accueilli par l'odeur réconfortante du pain frais. Mme Muller, toujours aussi souriante, lui tendit son petit-déjeuner habituel.

- Bien dormi cette nuit ? demanda-t-elle avec sa gentillesse habituelle.

Pierre hésita un instant avant de répondre. Les images de la silhouette dans la brume lui revinrent en mémoire, mais il décida de ne pas trop y accorder d'importance.

- Pas trop mal, merci. Il y avait un peu de brouillard hier soir, c'était étrange, dit-il en essayant de paraître détaché.

Mme Muller plissa les yeux en l'entendant mentionner le brouillard, mais elle ne dit rien immédiatement. Elle jeta un regard rapide à son mari, occupé à l'arrière, puis baissa la voix :

- Le brouillard... oui, c'est assez courant par ici. Surtout près de la forêt. Vous verrez, on s'y habitue.

Pierre haussa les épaules en signe d'acquiescement, sans insister. Peut-être qu'elle avait raison. Peut-être que c'était juste un phénomène naturel, rien de plus. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de sentir que quelque chose clochait.

Après avoir pris son petit-déjeuner sur le pouce, il se dirigea vers la bibliothèque municipale pour continuer ses recherches. En chemin, il croisa quelques habitants qu'il commençait à reconnaître. Il y avait Monsieur Schmidt, l'ancien mineur à la barbe blanche qui passait ses journées à lire des journaux sur un banc de la place Aristide Briand. Il le salua d'un signe de tête, et l'homme lui répondit de la même manière, l'air pensif.

À la bibliothèque, Pierre se plongea à nouveau dans les archives historiques. Il passa des heures à feuilleter de vieux journaux, des cartes anciennes et des registres municipaux. Il cherchait des informations sur la Tour des Schloßberg, mais les documents disponibles étaient étonnamment maigres. Tout ce qu'il trouva étaient des notes éparses sur des fouilles archéologiques datant des années 1920 et quelques mentions vagues d'un village médiéval autrefois situé à proximité. Rien de très concret, et encore moins d'informations sur les légendes locales.

Cependant, en fin d'après-midi, alors qu'il parcourait un vieux registre de la ville datant de 1892, une entrée attira son attention. Elle parlait de plusieurs disparitions inexpliquées survenues à la fin du XIXe siècle. Les habitants de l'époque les attribuaient à des "esprits de la forêt" ou à une "ombre mystérieuse" qui apparaissait les nuits de brouillard. Pierre sentit un frisson parcourir son dos en lisant ces mots. Cela ressemblait étrangement à ce qu'il avait vu la nuit précédente.

Intrigué, il décida de demander conseil à la bibliothécaire, une femme d'une cinquantaine d'années prénommée Claire, qui travaillait ici depuis de nombreuses années. Il la connaissait à peine, mais elle semblait toujours disponible pour aider les chercheurs et les curieux comme lui.

- Claire, je voulais vous poser une question, dit-il en s'approchant de son bureau. J'ai trouvé quelques mentions de disparitions à la fin du XIXe siècle, apparemment liées à des légendes locales. Est-ce que vous savez quelque chose là-dessus ? Des histoires de brouillard, d'ombres mystérieuses...

Claire releva la tête de son écran d'ordinateur et le regarda avec un air soudain sérieux.

- Vous êtes ici pour étudier ces légendes, n'est-ce pas ? demanda-t-elle calmement.

Pierre hocha la tête, étonné de la tournure de la conversation.

- Oui, enfin... je suis historien, et je m'intéresse aux légendes locales. Mais pourquoi cette question ?

Elle poussa un léger soupir avant de répondre.

- Ces histoires ne sont pas très populaires ici. La plupart des habitants préfèrent les ignorer, vous savez. Mais... il y a toujours eu des rumeurs. Les plus vieux parlent d'une présence dans la forêt du Warndt, surtout autour de la Tour des Schloßberg. Ils disent qu'il ne faut jamais s'y rendre après la tombée de la nuit. Mais vous savez comment sont les légendes...

Pierre sentit une montée d'adrénaline. Cette histoire commençait à l'intéresser sérieusement.

- Et vous ? Vous y croyez ? demanda-t-il.

Claire le fixa intensément pendant quelques secondes avant de répondre, pesant soigneusement ses mots.

- Je pense que certaines histoires ont une base de vérité, même si elles sont embellies avec le temps. J'ai grandi ici, et je peux vous dire que cette ville a ses secrets. Mais je ne peux pas vous dire ce qui est vrai ou faux. C'est à vous de le découvrir... Si vous voulez un conseil, restez prudent. Forbach a déjà vu trop de gens disparaître.

Le ton grave de Claire renforça le malaise que Pierre ressentait déjà depuis la veille. Il la remercia pour ses informations et quitta la bibliothèque, la tête pleine de questions. Le soleil commençait à décliner, et une légère brume s'élevait à nouveau à l'horizon, à la lisière de la forêt.

De retour à son appartement, Pierre tenta de se changer les idées. Il sortit un carnet pour consigner ses découvertes du jour, mais son esprit revenait sans cesse à cette silhouette dans la brume, à ces histoires de disparitions, et à l'avertissement de Claire.

La nuit tombait, et Pierre décida de rester chez lui, évitant cette fois de se promener dans les rues sombres de Forbach. Il s'installa dans son fauteuil avec un livre et tenta de se concentrer. Mais, à mesure que la nuit s'épaississait, une tension presque palpable envahissait l'air. Il sentait une étrange énergie dans l'appartement, une sensation oppressante qui ne cessait de croître.

Alors qu'il était plongé dans sa lecture, un grincement léger retentit dans le couloir. Pierre leva la tête, attentif. Le bruit se répéta, comme si quelque chose se déplaçait doucement juste devant sa porte. Son cœur accéléra, mais il tenta de se raisonner. C'était probablement un courant d'air ou un voisin qui rentrait tard.

Mais le grincement s'arrêta net, et ce fut suivi d'un silence lourd et pesant. Un silence qui ne ressemblait à aucun autre. Comme si le monde entier retenait son souffle.

Puis, un coup léger mais distinct résonna à sa porte. Trois frappes lentes, précises, comme si quelqu'un attendait quelque chose. Pierre sentit une sueur froide couler le long de sa nuque. Il fixa la porte, terrifié à l'idée de se lever pour vérifier.

Après un long moment d'hésitation, il se leva doucement, chaque pas résonnant dans l'appartement silencieux. Il atteignit la porte et posa sa main sur la poignée, hésitant à l'ouvrir. Il savait que quelque chose n'allait pas, mais il ne pouvait pas ignorer cet appel étrange.

D'une main tremblante, il tourna la poignée et ouvrit la porte en grand.

Il n'y avait personne.

Seule la brume était là, s'insinuant doucement à l'intérieur de l'appartement comme une présence invisible.

la brume du schlossberg Où les histoires vivent. Découvrez maintenant