Chapitre 3 | Travail terminé

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Deux jours s'étaient écoulés depuis le dernier Feels World de Yuna. Mais aujourd'hui elle était à son travail. Son vrai travail. Et quand l'horloge du bureau montra précisément midi, Yuna se mit à repenser à cette phrase que lui avait dit le reflet de Vincent.

« Ses journées se répétent, encore et encore. Rien de nouveau. Son corps dort, mange, travail, puis redort. »

À bien y réfléchir, la vie de Yuna ressemblait bien à ça. Mis à part les quelques fois où elle pouvait soigner le cœur des gens, ses journées n'offraient pas d'événements particulièrement palpitants. Elle n'était même pas sûre de comprendre en quoi consistait son travail. Elle répondait à des gens mécontents de leurs imprimantes, sans pouvoir les aider car elle non plus n'y comprenait rien en imprimantes. Alors elle disait simplement « Avez-vous essayé de la débrancher puis de la rebrancher ? Si ça ne fonctionne pas, je dirigerais l'appel vers mon collègue ». Neuf personnes sur dix étaient redirigeaient vers son collègue.

Aujourd'hui, Yuna avait déjà ratée trois appels. Elle n'en avait entendue aucun des trois, trop perdue dans ses pensées. Trois appels, c'était suffisant pour que M.Lobélie apparaisse devant elle.

-Mademoiselle Yasashi, commença M.Lobélie en gratouillant sa grosse moustache poivre et sel, pouvez-vous venir dans mon bureau je vous prie ?

M.Lobélie était le seul homme, selon Yuna, qui appelait encore les jeunes femmes "Mademoiselle", et cela avait le don de l'agaçer, elle avait l'impression d'être vue comme une enfant. Cela dit, elle n'en fit pas cas. Elle se leva de sa chaise en polyester, suivant l'homme bedonnant dans son costume légèrement trop petit pour sa carrure.

-Vous avez ratée trois appels mademoiselle Yasashi. Trois personnes qui pourraient ne plus jamais nous faire du chiffre. Vous comprenez le problème ?

Yuna se mit à fixer les sourcils broussailleux du cinquantenaire.

-Je m'en excuse, répondit-elle sans conviction, j'aurais du être plus concentrée.

M.Lobélie redressa ses lunettes carrées à la monture épaisse. Il fit craquer bruyamment le dos contre le dossier de son imposant fauteuil en cuir avant de lâcher un long soupir. Il posa alors ses coudes sur le bureau en croisant les mains.

-Voyez-vous mademoiselle Yasashi, j'ai un gros problème dans ma société. Si vous ne comptez pas répondre aux appels de nos clients aujourd'hui, je me permet de vous en parler.

-Dites-moi tout je vous en prie.

-En quoi consiste mon travail, d'après vous ?

La pointe du pied de Yuna tapait frénétiquement sur le sol tandis qu'elle regardait sans relâche les sourcils de son interlocuteur. L'épaisse semelle de sa bottine produisait le bruit d'un tambourin sans cymbalettes à chaque fois qu'elle frappait le plancher. Les salariés à l'étage du dessous commençaient sûrement à être aussi agacés que M.Lobélie.

-J'imagine que vous passez le plus de temps possible à regarder votre compte en banque grossir ? Moi, c'est ce que je ferais à votre place. Oh, aussi votre fauteuil semble infiniment plus confortable que celui de vos employés. Si j'étais vous, je ferais de longues siestes dedans !

Une veine devenait de plus en plus apparente sur le crâne fripé de M.Lobélie alors qu'il serrait ses mains de plus en plus fort.

-J'ai bien conscience que vous n'avez jamais sue voir le monde de la même manière que la plupart des gens mademoiselle Yasashi, cependant il y a des limites à ne pas dépasser. Non je ne viens pas au bureau pour baîller aux corneilles, contrairement à vous. Moi, je suis un chasseur.

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