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— Putain, t'es vraiment un enculé, merde ! je hurle en balançant ma manette sur le sol.

Je venais de me faire tuer comme une merde sur Valorant. Je tourne la tête et aperçois les rayons de soleil à travers ma fenêtre.

— On est déjà le matin là ? je murmure à moi-même.

Je passe ma main dans mes cheveux. Ils sont vraiment gras... C'est peut-être l'heure de passer à la douche. Je rassemble mes dernières forces pour me traîner jusqu'à la salle de bain. J'en avais même oublié ce que ça faisait de me doucher.

Je ne saurais dire quelle heure il est ou quel jour on est, et j'en ai absolument rien à faire. Plus rien n'a d'importance depuis que j'ai tout quitté. Ça va faire au moins quatre mois que je n'ai eu aucune interaction sociale. Je ne sais pas si c'est la meilleure des solutions, mais c'est celle qui apaise mon cœur brûlant de haine.

J'enfile un large t-shirt blanc avec un jogging gris tout aussi large, mets deux mèches de cheveux derrière mes oreilles en guise de coiffure et sors de mon appartement.

Un peu d'air frais, ça ne fait pas de mal, ça me fait même du bien à vrai dire. Je rentre dans ma voiture quand j'entends toquer à ma fenêtre.

— Qui va me faire chier encore là ?

C'est ma mère, j'avais presque oublié qu'elle était ma voisine. Je baisse ma fenêtre sans la regarder, espérant que cet échange sera le plus bref possible.

— Ma Kalii, faut vraiment qu'on parle, tu peux pas te refermer comme ça, je m'inquiète beaucoup pour toi, dit-elle avec cette voix douce qui m'irrite plus qu'autre chose.

— Maman, ça va, je vais bien. Regarde, je sors là, je vais voir une amie, tout va bien, je mens. En réalité, j'allais simplement m'acheter un paquet de cigarettes. J'essaye d'arrêter depuis quelque temps, mais là, j'en ressens particulièrement le besoin.

Je sens une lueur d'espoir dans son regard.

— C'est bien, ma fille... Tu es là demain ?

Euh, j'espère qu'elle ne va pas me demander de sortir parce que ma sortie au tabac m'a fait atteindre mon quota de sociabilité.

— J'ai euh... enfin...

— Tu vas m'accompagner à la bibliothèque. Quand tu étais petite, tu passais ta vie là-bas à lire, tu te souviens ? À lire des livres sur l'univers et...

— C'est bon, maman, je peux y aller ? dis-je en la coupant, plus sèchement que prévu.

Elle soupire. Je sais qu'elle est déçue. De toute façon, ce regard, je le connais trop bien depuis que j'ai tout lâché.

Mon travail, mon couple et ma petite vie parfaite.

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**7 mai 2024**

La table est dressée avec soin, un service élégant. Les assiettes sont blanches et ornées de bordures dorées avec, en face, des verres de cristal parfaitement alignés.

Autour de la table, j'entends les rires et les conversations. Ma mère parle de son dernier projet caritatif et mon père de ses succès professionnels, tandis que ma petite sœur raconte une anecdote amusante de son dernier voyage d'affaires. Tout est... parfait. Exactement comme ça devait l'être.

Ma robe est impeccable, pas un pli, pas une tâche, rien qui laisse entrevoir mon malheur. J'hoche la tête au bon moment, souris quand il faut, mais mon esprit n'est plus là depuis longtemps.

— Ma Kalii, tu devrais venir à l'événement la semaine prochaine, dit ma mère, souriante, les yeux brillants de fierté. Ce serait une bonne occasion pour toi de rencontrer du monde.

— Oui, enfin tu n'as pas vraiment le choix de toute façon, ajoute mon père avec un sourire. Ce genre de réseau pourrait être très utile pour ton avenir professionnel.

Leurs voix sont gentilles, mais toujours pleines d'attentes. Kalii... Je déteste ce prénom, on dirait qu'il est pas fini, comme s'il lui manquait quelque chose et que les deux i sont là pour combler le vide. C'est mon père qui l'a choisi et je pense que c'est pour ça que je le déteste encore plus.

Je me force à sourire et acquiesce légèrement.

— Peut-être, on verra. J'ai pas mal de travail en ce moment, dis-je hésitante, sachant que ça va les contrarier.

À côté de moi, il y avait mon petit ami parfait, celui qui coche toutes les cases. Il est beau, drôle, attentionné avec un bon travail... que demander de mieux ?

— Kalii travaille beaucoup ces temps-ci, plaisante-t-il doucement. Elle est trop modeste pour le dire, mais elle est vraiment douée dans ce qu'elle fait.

Ce que je fais ? Je suis directrice marketing pour une des sociétés de mon père. Cinq ans d'études avant mon CDI à la clé sans aucun problème. Jamais de problèmes.

— Tout va bien, je suis heureuse, dis-je avec un sourire, me persuadant.

Mais je me souviens des mots que j'ai écrits sur ce serveur Discord ce matin : 

*Je ne sais plus qui je suis ici. Ce n'est pas moi, c'est une poupée. Une poupée créer uniquement pour leur faire plaisir, pour correspondre à ce qu'ils veulent de moi.*

Le virtuel, mon seul échappatoire.

Et puis, la voix de ma mère me ramène brusquement à la réalité.

— Kalii, tu es d'accord ?

J'en avais oublié la discussion.

— Euh... oui, bien sûr, je réponds machinalement.

Je jette un coup d'œil à Alexis, il me regarde avec une tendresse insouciante, persuadé que je suis heureuse. Et moi, je continue de sourire, de jouer mon rôle.

Mais je n'ai pas su m'y tenir, non. J'ai craqué comme si je n'étais plus maîtresse de moi-même. Je n'aurais peut-être pas dû...

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Nibiru Où les histoires vivent. Découvrez maintenant