52.

11 2 0
                                    

Juin 1870

La famille d'Anvers avait été conviée à un somptueux souper chez le jeune député. M. le ministre vantait l'excellente initiative de son gendre, simplement heureux de voir sa puissante et influente famille au complet - il appréciait aussi particulièrement le cuisinier d'Henri.

Seule Gabrielle comprit rapidement la raison de cette réunion.

Depuis le début de la soirée, elle observait Henri. Il ne quittait pas un étonnant fin sourire et il traitait Laurine avec plus d'égard que d'habitude, lui réservant de multiples petites attentions : lui servir son verre, lui tirer sa chaise, lui demander si tel plat lui plaisait, si elle souhaitait être resservie... Laurine aussi avait ce léger sourire, qui certes était moins surprenant, mais quelque chose semblait les unir, ils se regardaient avec un air de connivence.

Lorsqu'Henri leva son verre pour porter un toast et confirma ses soupçons, la Comtesse sentit son cœur se serrer si fort que respirer devint pénible.

— Mesdames, Messieurs. J'ai le grand plaisir de vous annoncer que ma très chère épouse est enceinte de trois mois. Le médecin nous l'a confirmé aujourd'hui.

Aux bravo et félicitations se mêlèrent des applaudissements, seule Gabrielle était restée de marbre, ce qu'Henri remarqua. Elle ne pouvait plus rien avaler, elle reposa sa flûte de champagne sans l'avoir portée à ses lèvres.

Elle regardait sa sœur nageant dans le bonheur conjugal, son époux venant poser tendrement sa main sur la sienne qui était sur la table. Cette vue provoqua en elle un rare dégoût, qui la fit frissonner. Sa sœur... enceinte de son Henri ! Et lui qui en semblait si heureux !

Elle avait envie de vomir et de pleurer en même temps, elle prétexta que l'alcool l'étourdissait pour sortir de table tout en bredouillant des félicitations.

— En effet, je te trouve bien pâle, s'inquiéta Laurine. Tu peux aller te reposer dans le Salon vert à côté si tu veux, tu y seras plus à ton aise.

Elle acquiesça avant de manquer de tomber au moment de se lever de sa chaise. Notre grand blond se précipita pour lui tendre son bras.

— Laissez-moi vous accompagner.

— Est-ce que ça va aller, Gabrielle ? intervint Antonin.

— Oui. Merci, Henri.

Il la conduisit jusqu'audit salon, se doutant bien que ce n'était pas l'alcool qui la mettait dans un tel état. Il craignait qu'elle ne fut malade. Elle s'assit sur un fauteuil de velours et reprit doucement son souffle, le visage inquiet d'Henri l'y aidant. Elle regardait la porte qui était grande ouverte et qui donnait sur la salle à manger. Henri suivit des yeux son regard et comprit, il ferma la porte et revint auprès d'elle.

— Comment vous sentez-vous ?

— Êtes-vous heureux de vous savoir bientôt père ? demanda-t-elle, la gorge nouée.

Un grand sourire illumina son visage.

— Très. Tu avais raison, Laurine fera une mère douce et aimante.

À ses mots, elle fut comme prise de rage, elle se leva brusquement. Quel était ce drôle de sentiment ? Elle était envahie par la jalousie, oui, c'était cela, de la jalousie ! C'était sa sœur qui rendait Henri heureux, qui lui donnait ce si beau sourire, celui qu'elle pensait lui être réservé, celui qu'elle pensait être la seule à pouvoir lui donner !

Aimait-il Laurine ? S'était-il épris d'elle ? Non, il ne pouvait pas l'aimer. De l'affection, de l'amitié, du respect, mais de l'amour ! C'était inconcevable. Mais elle était la mère de ses enfants, et elle, qui était-elle ? Étaient-ils encore amis ?

Gabrielle (romance historique)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant