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Il somnolait, marmonnant dans sa barbe. Elle plaça sa tête sur son épaule et prit sa main qu'elle entrelaça de ses doigts. Avec un léger sourire, elle respirait l'air frais de la nuit qui s'engouffrait par la fenêtre, regardant les rues défiler.

Elle ignorait ce qu'elle faisait. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'Henri était là. Près d'elle. Et c'était tout ce qui importait. Admettre que la Marquise avait raison depuis le début lui était insupportable, elle s'y refusait.

Monter les escaliers jusqu'à l'appartement se révéla plus difficile que ce qu'elle imaginait, elle dut réclamer l'aide du cocher.

— Nicolas, où m'emmenez-vous ? demanda-t-il.

— C'est moi, Henri.

— Vous ?

Lorsqu'ils entrèrent dans le salon éclairé par des lampes à pétrole, le député eut un soudain éclair de lucidité.

— Que fais-je ici ? Et que faites-vous là ? C'est vous qui venez de m'emmener ici ? Cessez de me tourmenter ! s'emporta-t-il. C'est parce que le Comte ne vous satisfait pas, c'est cela ?

— Attendez. Écoutez-moi.

Il avait déjà commencé à tirer sur sa cravate et à ouvrir les premiers boutons de sa chemise lorsqu'il s'effondra dans ses bras.

— Henri ?

Il ne répondait plus.

— Henri ! cria-t-elle.

Il s'était brusquement endormi.

Elle paniqua. Il fallait le conduire jusqu'à la chambre. Non sans mal, elle l'étendit sur le lit. Elle toucha son front : il était gelé. Elle sortit une couette de l'armoire avant de venir l'en couvrir, délicatement.

Qu'avait-elle fait ? Jusqu'à quand allait-elle continuer à le faire souffrir ?

Devant ce visage endormi, qu'elle avait honte de contempler, elle prit conscience de l'étendue de son égoïsme.

Elle ne méritait pas son amour. Elle ne l'avait jamais mérité.

Elle, qui l'avait méprisé dès le premier jour en le jugeant « petit étudiant en droit de province », l'avait appelé par son prénom, s'était amusée de sa passion dévorante pour elle, puis l'avait détruit en lui assénant qu'il n'était « rien » pour l'épouser avant d'annoncer son mariage avec un autre. Alors qu'il lui était revenu après un tel affront, elle avait encore osé l'accuser de l'avoir trahie et abandonnée.

Elle, qui avait osé encourager son mariage avec sa propre sœur après lui avoir avoué qu'elle l'aimait sincèrement.

Elle, qui l'avait humilié pour sa basse naissance de la même manière que les Lorencez naguère avec elle. Elle, qui en avait souffert, savait donc très bien à quel point c'était blessant. C'était pire encore parce que si les Lorencez étaient sa belle-famille, quasiment des étrangers, elle, elle était la personne qu'Henri estimait le plus, celle à qui il avait choisi de donner son cœur entier : tout cela pour qu'elle le détruisît.

Elle réentendait avec force dans son esprit chacun des mots qu'elle lui avait prononcés et elle avait terriblement honte.

Comment avait-elle pu lui dire qu'il n'était rien ?

Quand il était tout.

Les remords lui tordaient l'estomac, les larmes coulaient sans interruption. La honte et la culpabilité l'accablèrent toute la nuit.

Non, elle ne le méritait pas. Elle venait encore de le prouver en organisant ce rapt ridicule. Ridicule, elle l'était en s'accrochant aussi désespérément à ce qui était le mari de sa sœur.

Gabrielle (romance historique)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant