-

41 3 0
                                    


_____ α _____

« Pourquoi leur as-tu dit ?!

- Parce que ce sont mes collègues. »

Chang-Kyun se pinça l'arête du nez, histoire d'occuper ses doigts s'il ne voulait finir par frapper quelque chose.

« Ji-Hyo, écoute. Le projet alpha existe et perdure grâce à nous six, certes. Mais au départ, il y a la Providence d'un côté et Cryozen de l'autre. »

Il inspira profondément et tourna plusieurs fois la langue dans sa bouche pour trouver les bons mots.

« Et Cryozen... Comment dire... Ils sont...

- Ils sont ? » Appréhenda Ji-Hyo.

« Ils ne sont pas assez...

- Pas assez quoi ?

- Ou plutôt un peu trop...

- Un peu trop quoi ? » S'énerva-t-elle.

« Et bien...

- Chang-Kyun, je t'en supplie ! »

L'homme au costume toujours soigneusement choisi leva les mains, coupable, regrettant déjà ce qu'il allait avouer.

« Ils sont trop humanistes ! » Avoua-t-il enfin, « Voilà. »

Ji-Hyo accusa le coup d'un simple hochement de tête. Elle tira le fauteuil qui faisait face au bureau et s'y assit en expirant lentement. Cette simple visite à l'improviste risquait de s'éterniser en un débat un peu plus long que prévu.

« Trop humanistes. » Répéta-t-elle.

« Oui, trop d'empathie. Trop de bienveillance.

« Mais enfin, le projet alpha est un projet pour l'humanité. Encore heureux qu'ils soient humanistes ! »

Comme il sentait le ton monter, Chang-Kyun se leva. L'une assise, l'autre debout, il retrouvait alors la sensation de supériorité qu'il aimait à afficher. C'était lui le maître d'œuvre, les autres ne devait pas l'oublier.

« C'est un projet pour l'humanité, oui, mais surtout pour celle d'après. Pour les générations futures. Et pour nous. Pour les corps cryonisés qui ont payé pour et qui attendent maintenant depuis des années de pouvoir continuer à vivre comme il se doit. Les habitants de nos planètes d'expérimentation ne sont que des rats de laboratoire.

- Il n'en reste qu'ils sont aussi humains que nous.

- Mais qui ne sont pas nés avec le même objectif de vie. »

Ji-Hyo souffla un coup.

Sur ses cuisses, ses mains commençaient à devenir moites. Depuis toujours, elle travaillait d'arrache pieds et tête baissée pour le bien de l'humanité. Et depuis des années, elle se retrouvait confrontée à ce terrible paradoxe : celui d'utiliser l'être humain pour améliorer la vie d'un autre.

Au fond d'elle, elle savait que ses valeurs n'étaient pas alignées avec les intentions du projet alpha, avec sa vocation professionnelle.

Elle sentait que quelque chose n'allait pas, qu'entre La Providence et Cryozen existait une différence dans la manière de percevoir la morale et la déontologie. Une différence telle que chacun se demandait au final pourquoi les deux entreprises travaillaient ensemble sans oser adresser la problématique à voix haute.

Sortie de ses pensées, elle vit sur le visage de Chang-Kyun qu'il commençait à perdre patience. C'était à la manière dont il mordait l'intérieur des joues : parle ou je te fous dehors.

Ça ne fit que l'agacer encore plus.

« Ton raisonnement étriqué et aligné sur un ordre de classes sociales commence à me taper sur le système. » Confessa-t-elle enfin, « Les études que nous menons ont déjà prouvé que la planète parfaite s'aligne avec le principe de disparition de ces classes pour un lissage des inégalités. Donc tu ferais bien de commencer à te détacher de tes réflexions élitistes et à chercher au fond de toi le peu d'humanisme qui s'y cache. »

Chang-Kyun resta bouche bée. Il haussa un sourcil et finit même par souffler un rire.

« C'est le fait d'avoir eu un enfant qui te fait devenir aussi sirupeuse ? C'est ça, l'instinct maternel ? »

Il profita un temps de la mine abattue qu'afficha Ji-Hyo puis se rassit. Même à hauteur égale, le siège de président qui enveloppait la carrure de Chang-Kyun lui permettait de maintenir sa supériorité, au-dessus de la pauvre scientifique restée assise au bord de sa chaise tellement elle était mal à l'aise.

« Depuis le début, je te laisse faire tes propres choix et je ne dis rien. »

Il haussa le ton pour ajouter du féminin à sa voix et étira les traits de son visage pour caricaturer la scientifique :

« La planète A-025 a fait de si mauvais choix qu'elle crève de faim, est-ce qu'on peut les sortir de l'expérience et leur envoyer des vivres ? D'accord. Les spationautes de Cryozen sont trop malades à force de voyager de planète en planète, ralentissons nos observations pour se concentrer sur la construction d'un médicament. D'accord. »

Ji-Hyo resta de marbre.

« Tu comprends ? Je te laisse faire tout ce que tu veux ! Mais s'il y a bien une chose que je ne supporte pas, c'est la façon dont tu vas toujours te cacher dans les jupons de Jung-Kook pour défendre Cryozen... et puis voir ton bambin gambader dans nos couloirs, ça me répugne.

- Je t'interdis de parler de mon enfant de cette manière.

- Il est héritier. Je ne peux pas faire comme s'il n'existait pas. »

Ji-Hyo leva les yeux au ciel, réaction qui ne passa pas inaperçue.

« Bah quoi, tu souhaitais ma bénédiction ? Un tonton ? Un parrain ? Pour un Jungkook, jamais. » Souffla-t-il. On aurait même dit que le fait de prononcer le prénom de son collègue lui donnait la nausée, « Il lui ressemble en plus... Ce n'est qu'un bâtard. »

Il n'avait pas prononcé la dernière syllabe de son insulte que Ji-Hyo avait déjà quitté le bureau en claquant la porte.

_____ α _____

CipherOù les histoires vivent. Découvrez maintenant