Chapitre 1

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★Willow★

       Septembre 2013, sept années plus tôt.

     « Un jour, Dostoïevski a dit que les nuits blanches ressemblent à des rêves éveillés, des moments où le temps semble s'arrêter et où l'âme se perd dans ses propres pensées. Dans ces heures où l'aube tarde à venir, il voyait une douce mélancolie, un état où l'esprit vagabonde, entre espoir et regret.

     Sous le ciel étoilé, et non pas celui de Van Gogh, tout paraît plus vrai, plus intense. La ville, plongée dans le silence, devient complice des cœurs solitaires, et chaque ombre semble habiter un secret. Il y a dans l'air une magie triste, celle de l'attente, de l'amour qu'on espère sans savoir s'il viendra. Dans ces nuits sans fin, les pensées flottent comme des flocons, révélant la fragilité de l'homme et son désir d'infini.

     Dostoïevski savait que ces nuits sans sommeil dévoilent nos rêves les plus profonds, ceux que le jour efface. Il savait aussi que, malgré la solitude, il y a une beauté rare dans ces moments : celle d'une âme qui, veillant encore, s'ouvre à ce que le jour pourrait enfin lui offrir...»

     La mer étincelait sous la clarté paisible des étoiles, et ses rires et sa voix semblaient effacer tout ce qui existait autour de nous. Je l'aimais d'un amour beau et sincère. Chaque instant paraissait suspendu, comme si le monde n'avait plus d'emprise. Mais au fil de la nuit, une ombre imperceptible s'est glissée entre nous. Ses gestes, autrefois légers et protecteur, se sont alourdis, devenant soudain trop insistants, presque étrangers, comme si son regard ne me trouvait plus vraiment. Qui était-il ?

     J'ai murmuré des mots de crainte, des mots d'arrêt. Je ne voulais pas. J'avais dit non. Je n'étais pas prête. J'avais très peur. Mais il n'a rien entendu, ou n'a pas voulu m'entendre. Ses mains, d'abord familières, sont devenues brusques, et ses paroles se sont teintées de froideur. Un froid polaire qui t'empêche de te réchauffer auprès du feu. L'odeur âcre de l'alcool, qui emplissait l'air entre nous, m'a submergée de dégoût. Alors, j'ai cessé de bouger, mon corps s'est figé, comme paralysé par l'incompréhension, tandis que la nuit semblait s'étirer à l'infini, déformée par ce silence qui m'étouffait. J'ai tout fait et j'étouffais. J'étais vidée, et pourtant j'avais dit non.

     La plage, autrefois sanctuaire de mes pensées, s'est transformée ce soir-là en un piège silencieux. Le sable, jadis doux sous mes pieds, m'a semblé si froid, on arrachait doucement une part de moi, comme si la mer avait emporté avec elle l'essence de mon être. J'étais déracinée, noyée dans un silence cruel, et ce qui restait de moi n'était qu'un coquillage vide. Cette nuit s'accroche encore à mes mauvais souvenirs, s'insinuant en moi, sans bruit, comme une ombre persistante que le temps ne sait effacer. L'ombre la plus douloureuse de ma vie.

     Maintenant, je me dis que tout ça n'appartient qu'à un passé lointain. Je me suis promise d'aller de l'avant et de tourner la page. Aujourd'hui, je me répète que j'ai le droit d'avoir une nouvelle vie. Et elle est ici, à Portland. Dans cette ville qui respire à la fois la douceur et le renouveau. Nous habitons dans une maison blanche, construite dans les années soixante. C'est une maison très lumineuse, moderne, avec un patio qui attend encore de voir pousser des fleurs. Marcus promet qu'il s'en occupera une fois l'automne terminé. Tout semble en place pour un nouveau départ. Et pourtant, quelque chose demeure en moi, fêlé, comme un écho lointain.

     Je descends les escaliers, essayant de ne pas faire de bruit. Marcus est déjà dans la cuisine, assis à la table, une tasse de café à la main. Il est toujours debout avant tout le monde, et même si j'ai toujours détesté l'admettre, il est incroyablement organisé. Chaque matin, comme un automate, il prépare sa journée, vérifie son agenda, avale son café en silence en écoutant la radio. C'est presque devenu une routine pour moi de l'observer à distance, sans jamais vraiment savoir quoi lui dire.

SEVEN ASHESOù les histoires vivent. Découvrez maintenant