L'autostoppeuse

38 4 4
                                    

auteur : StephaneAlain

thème : road trip 


Les deux copains aiment se faire peur en se racontant des histoires d'horreur et de

fantômes. Ils ne sont pas dupes, mais ils ne peuvent pas s'empêcher de se laisser prendre au

jeu. C'est d'ailleurs ce qui les fascine, cette appréhension qui les prend au ventre à leur insu

et leur met petit à petit les nerfs en pelote malgré toutes les préventions dont ils se croient

armés.

Il y a une sorte de compétition entre eux. C'est à celui qui parviendra le premier et le plus

incontestablement à déstabiliser l'autre. Cet après-midi, c'est Almo qui a l'avantage. 

Son anecdote n'est pourtant pas très originale. D'ailleurs, il a du mal à croire qu'elle puisse à ce

point affecter Régis, lequel est d'ordinaire moins dupe et impressionnable. D'autant qu'à

mesure qu'il progresse dans son récit, Almo est gagné par la vague impression de l'avoir déjà

raconté.

L'histoire se situe dans le Sud de la France, au mois de juillet. Elle se rapporte à une jeune

fille qui fait du stop au milieu de la nuit sur une Nationale quelconque. Les automobilistes

l'embarquent volontiers car elle très belle et qu'elle n'a pas de bagages.

Elle est vêtue d'une longue robe blanche qui marque les esprits parce qu'elle est un peu trop

habillée pour la saison. La fille aussi est un peu bizarre. Elle s'exprime poliment et sa voix est

très douce, mais elle a l'air absent. Quand on lui demande où elle veut se rendre, elle répond

simplement que ce serait sympa qu'on la dépose plus loin sur la route. Elle remercie

d'avance en gratifiant le conducteur d'un petit sourire pudique. Elle précise qu'elle

préviendra où il faudra la laisser et elle remercie encore en disant que c'est « super gentil de

l'avoir prise ».

Puis elle ne dit plus rien. Même si le ou les autres occupants de la voiture essaient de nouer

conversation, elle persiste dans son mutisme. Quand, au bout de quelques kilomètres, elle

daigne enfin rouvrir la bouche, c'est pour avertir la personne au volant que le prochain

carrefour est très dangereux. Là où les gens commencent à se dire qu'elle n'est pas très

nette c'est quand elle ajoute que c'est là qu'elle est morte, à la même date, plusieurs années

auparavant, parce qu'un poids lourd avait percuté la voiture de ceux qui avaient eu la

gentillesse de la prendre en stop.

A partir de ce moment-là, en général, personne ne lui adresse plus la parole, ou alors pour

demander si elle n'est pas bientôt arrivée. Des gens de bonne volonté essaient parfois de la

raisonner, mais la fille se renferme dans le silence tandis que son regard se fixe vers l'avant,

sur le carrefour qui approche.

Cette histoire est paraît-il très connue des usagers de ce tronçon. Plusieurs témoins

rapportent avoir embarqué cette autostoppeuse, un 13 juillet, toujours. Tous prétendent

qu'ils ne savent pas exactement comment ça se fait, mais que, passé le fameux carrefour,

comme s'ils revenaient subitement à eux, ils se sont aperçus qu'elle n'était plus là. De

surprise, plusieurs ont failli perdre le contrôle de leur véhicule ; la plupart d'entre eux ont,

en tout cas, été obligés de s'arrêter pour se remettre.

Ce n'est pas grand-chose.

 Pourtant, les yeux et la bouche de Régis lui mangent le visage. 

Il manque d'air. C'est la mine de triomphe d'Almo qui le ramène à lui.

 Le garçon fait le blasé,soutient qu'il faisait semblant, se vexe et puis se fâche au point de menacer de rentrer.

Alors Almo, qui aime son ami par-dessus tout, se résigne à lâcher prise et ils passent la fin de

la journée à faire des balades à vélo, comme s'il ne s'était rien passé. Mais, intérieurement, il

jubile. Le plus souvent, c'est lui qui se laisse impressionner. Alors, il a bien le droit de

savourer sa victoire. Il est impatient de tout raconter à ses parents.

Le soir, à table, hilare, il se fait un plaisir de rapporter l'événement. Il prend garde de rester

bienveillant, mais en même temps, il ne peut pas cacher à quel point sa revanche le comble

de bonheur.

Ses parents sont désemparés. Ils ont tout essayé mais ne savent plus quoi faire pour faire

comprendre à Almo que Régis n'est plus de ce monde. Ils se regardent l'un, l'autre et c'est

finalement la mère, au bord d'éclater en sanglots, qui se tourne vers son fils pour lui

rappeler doucement, comme si élever la voix risquait de réduire l'enfant en pièces :

- Tu te souviens qu'on a déjà discuté du fait que Régis et ses parents sont décédés le

mois dernier dans un accident de voiture...

Son intonation insinue timidement une question. Elle est pleine de remords.

- Nous sommes vraiment désolés, mon chéri, intervient le père en retenant le geste de

lui ébouriffer les cheveux. 

Almo part d'un grand éclat de rire en disant qu'elle est bien bonne celle-là. Il est content

d'avoir des parents aussi cools. Régis aussi, sûrement, va trouver ça très drôle.

mes défis d'écrituresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant