Objectif du défi : écrire un texte comportant ces cinq mots : café, technologie, fiction, rouge, réseau.
Comme je n'étais pas très emballé par les mots, j'ai décidé d'écrire un texte avec Archibald, s'il vivait dans notre monde et à notre époque !
À votre avis, quel métier exerce-t-il ? Donnez moi vos hypothèses avant de lire le texte !
Il avançait en silence dans le club vide et sombre, laissant traîner son regard fatigué sur les moindres recoins de l'immense salle. Bientôt, elle serait remplie jusqu'au plafond d'un grouillement obscène de vers à la chair grasse et suintante. Ses mains glissèrent nonchalamment le long du comptoir froid et morose, caressèrent le cuir rutilant d'un siège endormi. Dans une heure, tout brillerait de mille feux et il s'enflammerait avec, aussi vivace et éphémère qu'un fétu de paille. Une soirée comme les autres, en somme.
- Archi ! La maison va bientôt ouvrir, va te préparer !
Il se retourna lentement, jetant un regard las en direction de celui qui lui servait de patron. Le dépassant de deux bonnes têtes, aussi large et imberbe qu'une armoire à glace, il affichait un air qui se voulait plein de reproches. Au fond, Archibald le savait, même lui ne résistait pas à ses charmes et il ne pouvait se permettre de rudoyer la star de son établissement, qui, si elle s'éteignait, emporterait avec elle toute la gloire et le prestige du lieu, et tout l'argent qu'il y avait à en tirer. Grâce à lui, le club miteux dont le quinquagénaire était propriétaire s'était métamorphosé en un lieu ruisselant de luxe, de champagne et de vice, où les puissants se retrouvaient pour discuter affaires autour d'un verre, laissant leurs prunelles lubriques traîner sur la chair exposée qui défilait inlassablement devant eux.
- Va me chercher un café, Alex, lâcha le vampire en guise de réponse, se détournant avec désinvolture.
L'homme grogna, marmonna quelque chose à propos de l'ingratitude dont il faisait preuve, puis disparut sans demander son reste, à la recherche du breuvage.
Archibald le regarda s'éloigner avant de tourner les talons, se dirigeant vers le fond de la salle, derrière les barres de poles et la grande scène déserte, tout droit vers les loges.
Une fois arrivé dans son petit espace, sa seconde maison, comme il aimait à l'appeler, il s'effondra sur le fauteuil en face de sa coiffeuse, qui s'affaissa sous son poids dans un petit soupir plaintif. Il n'avait jamais eu le cœur de s'en débarrasser. Il regarda un moment en silence le miroir muet qui le fixait de son unique œil vide, ne reflétant qu'un siège désert, puis rabattit rageusement le drap de faux velours qui le recouvrait d'ordinaire. Il ne s'était jamais habitué à cette impression, cette terrible sensation de ne pas exister. Ce soir, une fois de plus, il prouverait sa matérialité au monde, les milliers d'yeux braqués sur lui lui renverraient l'image de sa gloire et de son triomphe le plus total, sa victoire écrasante sur la vie et la mort.
Envahi par un soudain regain d'énergie, il se releva d'un bond et se dirigea vers le paravent de bambou et de papier, peint d'un élégant motif de lys blanc, une véritable œuvre d'art ayant traversé les siècles, cadeau d'un de ses nombreux admirateurs. Il décrocha la tenue qui y était suspendue, glissant ses doigts le long des aspérités rugueuses des larges paillettes la recouvrant. On aurait dit la peau d'un dragon tué par un quelconque chevalier débordant de principes aussi nobles que rustres.
D'un rouge flamboyant, la robe déployait ses longs tentacules d'étoffes dans toutes les directions, s'ouvrant comme une fleur prête à répandre son nectar enivrant. Il l'enfila avec précaution, frissonnant au contact du tissu léger, son armure pour le reste de la soirée. Une armure factice, une illusion offerte aux clients, les tenant en haleine, ne leur permettant plus qu'un seul rêve, qu'une seule aspiration : qu'il l'ôte complètement, qu'il offre sa chair nue, presque par erreur, sur l'autel de leurs regards carnassiers.
Ce qu'ils ne savaient pas, ce que leur esprit étriqué ne pouvait saisir, c'était que le seul véritable prédateur, c'était lui, Archibald. Il arracherait avec délectation leurs regards à coup de crocs étincelants et s'abreuverait de leur sang frais et écarlate, qui attendait patiemment dans leurs veines la délivrance de sa canine avide.
- Archi ! Mais t'as vu dans quel état t'es ! Olala, et dire que ça va commencer dans trente minutes ! T'as encore oublié ton make-up !! Et tes cheveux !! Tu pensais vraiment pas y aller comme ça rassure moi ?!!
Nullement surpris, il se retourna lentement vers la jeune femme crépitante de nervosité qui venait de débouler dans sa loge, et lui adressa un sourire malicieux :
- Tu sais très bien que je t'attendais pour ça, Gladys, je ne peux pas m'en sortir sans toi.
Elle rougit, puis secoua énergiquement la tête, reprenant ses esprits :
- Archi, ce n'est vraiment pas le moment ! Allez, assieds-toi, je vais arranger ça !
Il ne se fit pas prier et laissa la jeune femme farfouiller fébrilement dans les cosmétiques répandus sur la coiffeuse.
- Franchement, je ne comprends pas pourquoi tu refuses toujours d'utiliser ce miroir ! Il est là pour ça ! Je sais que t'as du mal avec le maquillage, mais tout de même ! Avec un peu d'entraînement tu t'en sortirais comme un chef, j'en suis certaine !
Il eut un petit rire :
- Mais tu sais que j'ai besoin de toi, ma coiffeuse, ma make-up artist, ma photographe ! Une vraie pro dans tous les domaines !
- Ton petit jeu ne marchera pas avec moi, Archi ! soupira-t-elle tout en lui appliquant vigoureusement une épaisse couche de fond de teint. Oh, tiens, en parlant de photographe, notre dernier photo-shoot a cartonné sur les réseaux !
- Tu vois, c'est grâce à toi ! D'ailleurs, il faudrait faire quelque chose pour le million d'abonnés sur insta...
- Et pourquoi pas un face reveal ? Avec ton visage, tu gagnerais encore plus en popularité ! Franchement, je ne comprends toujours pas pourquoi tu refuses de laisser apparaître le moindre bout de peau sur ces photos... Pour un strip-teaser c'est quand même le comble ! grogna la serveuse tout en fleurissant le visage du vampire de longs traits d'eye-liner rouge pailleté.
- Tu ne comprends pas, Gladys, ce que je leur offre ce n'est pas moi, ce n'est que de la fiction, un moyen de cultiver le rêve dans leur vie, d'entretenir cette envie, ce désir qu'ils pourront assouvir ici. Si je montrais déjà tout, plus personne ne viendrait me voir, lui répondit-il avec légèreté, se gardant bien de lui expliquer que les appareils photo, bien qu'étant une technologie bien plus avancée que les miroirs, se refusaient eux-aussi à témoigner de son existence.
Elle haussa les épaules, lui ordonna de ne pas bouger pendant qu'elle arrangeait ses boucles rebelles, puis lui administra une tape entre les omoplates, le faisant sursauter :
- J'ai fini, allez, dépêche toi, il est temps d'entrer en scène.
Il acquiesça, lui souhaita bon courage, puis se dirigea vers le plateau la tête haute, avant de s'immobiliser derrière l'épais rideau de velours vert émeraude, attendant patiemment le top départ. De l'autre côté, Alex s'époumonait dans son micro, annonçant son arrivée avec toute l'énergie qu'il possédait encore :
- Et maintenant, mesdames et messieurs, veuillez accueillir la perle de notre établissement, l'étoile la plus étincelante de notre voie lactée, la fleur la plus précieuse de notre bouquet, j'ai nommé... Le Lys Écarlate !