Entraînant ses camarades tel un capitaine au combat, Askaos poussa les portes de la salle d'armes en criant à tue-tête qu'ils étaient les invités du roi et qu'ils étaient innocents. Seule l'écho de sa voix résonna dans la salle déserte. Réjouis, les Dejclans s'empressèrent de l'occuper en dégainant leurs sabres qui les démangeaient furieusement depuis des jours. Après dix jours à raser les murs comme des rats et à ne s'aventurer dehors en groupe pour dissuader quiconque de leur chercher des noises, cela leur faisait du bien de regagner du terrain.
- Ne le prends pas mal, mais tu as vraiment une tête de spectre ces derniers temps.
Pelion glissa ces mots à Caraghon en lui tendant la main. Caraghon le dédaigna pour se relever seul du sable de l'arène. Il s'était laissé surprendre par une feinte qu'il aurait détourné sans peine en temps normal.
- Profite du plaisir de m'avoir battu et tais-toi.
Il n'était habituellement pas mauvais perdant, mais c'était sa deuxième défaite d'affilée et la frustration commençait à monter en lui. C'était à cause d'elle qu'il n'arrivait pas à se concentrer. Il avait l'impression d'avoir oublié tous les fondamentaux du duel et ne savait que frapper à l'aveugle comme une bête. Ses frères d'armes cherchaient à simplement se défouler et se maintenir en forme, mais lui se battait comme si une seconde d'inaction le tuerait.
En nage, il s'assit sur l'une des marches des gradins pour observer le duel suivant. Il était conscient du regard d'Askaos posé sur lui, et décida de l'ignorer. Son ami attendait toujours qu'il lui parle, mais il n'arrivait pas à rassembler le courage nécessaire. En réalité, il avait peur des mots qu'il lui faudrait employer s'il en venait à parler. Il avait peur de faire face à ses propres souvenirs, qui le hantaient bien assez dans ses cauchemars. Même le sommeil ne lui laissait plus de répit et le laissait sombrer dans des affres où se mêlaient les visages de Lün, de Tyeltaran et même de Lancasia, tous lacérés et maculés de sang.
Une lame se planta dans le sable juste devant lui, le faisant lever les yeux. Laedion l'observait, courbé sur son sabre, avec son habituel air peu amène. Une croûte barrait sa lèvre, souvenir du coup de poing qu'il lui avait infligé.
- Alors comme ça tu m'as accusé d'insulter Tyeltaran ?
Caraghon plissa les yeux, surpris qu'il ne soit pas venu lui en parler plus tôt.
- Comment s'est passé l'interrogatoire ? Les as-tu convaincu ?
- T'as de la chance que je sois rentré dans ton jeu, grinça Laedion en réponse. Qu'est-ce que tu cherches à couvrir en me rejetant un mensonge sur le dos ?
- Rien qui te concerne, soupira Caraghon avec agacement.
- J'ai bien l'impression que si. Si tu nous caches quelque chose...
Un sifflement retentit derrière eux. Dans l'arène, Askaos faisait signe à Laedion comme s'il rappelait un chien. Celui-ci crispa la main autour de son sabre, et il n'en fallut pas plus pour que son orgueil froissé lui fasse répondre à la provocation. Caraghon fut soulagé de le voir s'éloigner. Il soupçonnait qu'Askaos ait fait cela pour le débarrasser de lui, mais n'avait pas envie de se sentir reconnaissant. Laedion se posait légitimement des questions - et il craignait de le conforter dans son opinion, lui qui semblait déjà enclin à le croire coupable. Il allait devoir être honnête avec lui, aussi déplaisant soit cette perspective.
Laedion et Askaos se jetèrent l'un sur l'autre. Le regard dans le vide, Caraghon décrocha du spectacle. Son esprit trouvait les moindres occasions de s'évader, et durant ces absences, il pensait invariablement aux rêves qui l'assaillaient depuis la Fête de Cyrmë. Ce n'étaient que des chimères, et pourtant elles l'obsédaient comme de véritables souvenirs. Lui qui, depuis l'enfance, ne connaissait que des nuits sans rêves, avait l'étrange sentiment de ne plus distinguer clairement la frontière qui séparait ces deux mondes. Il n'avait qu'eux pour se rattacher à Lün, à la tour et à la lune... tout ce qu'il avait été incapable de défendre.
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Le Prince Lune - Tome 2 : L'ombre sans nom
FantasíaUn assassin rôde au palais d'Eäran. Les soupçons tournés vers les Dejclans transforment les ambassadeurs en intrus dangereux. Tenu pour responsable d'un crime qu'il n'a pas commis, Caraghon doit faire face, seul, à la cour hostile, privé du soutien...