Chapitre 4: Les Battements de l'Interdit

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              Soleil venait de rencontrer le nouvel opérateur. Il avait un nom curieux qui lui allait comme un gant : George Byron. Il était beau, irrésistible, grand, blond, avec une barbe soigneusement taillée et des traits sculptés qui le faisaient ressembler au prince charmant que Soleil avait toujours imaginé. Lorsque leurs regards se croisèrent pour la première fois, une étincelle crépita dans l'air. Le cœur de Soleil s'arrêta un instant et son esprit se vida. Après ce regard direct dans les yeux de George, elle sentit monter en elle une réminiscence d'un amour lointain, d'un passé oublié ou d'une autre vie, et le désir l'envahit comme une vague dévorante.

Un après-midi, en sortant du travail, ils se retrouvèrent par hasard à la sortie, sous une pluie battante. Elle mentionna, presque pour se protéger, que son petit ami viendrait la chercher, et elle crut voir, dans les yeux de George, l'ombre d'un regret, comme s'il avait espéré être l'heureux élu qui aurait cette chance. Soleil était dans une relation stable depuis déjà huit ans, et M. Byron était également marié (pour la deuxième fois) depuis six ans. Une histoire en apparence impossible, jusqu'au jour où, après avoir respiré la tension électrique qui flottait dans l'atelier pendant des heures, le destin fit entrer Soleil et George dans le même ascenseur à la sortie du travail. Aucun d'eux n'osa se regarder. Tout se passa vite, comme guidé par un instinct inéluctable : leurs corps savaient quoi faire. En un éclair, ils se jetèrent l'un contre l'autre, s'enlacèrent et s'embrassèrent avec une intensité retenue trop longtemps. Lorsque la porte s'ouvrit, ils se détachèrent brusquement et se précipitèrent ensemble dans la voiture de George.

Ce qui se passa dans cette voiture, seuls eux le savent. Mais pour combien de temps cela restera-t-il leur secret ? Les rencontres entre eux devinrent un rituel clandestin après le travail, comme une double vie qui les nourrissait autant qu'elle les consumait, les rapprochant chaque jour davantage du précipice de leurs désirs inavoués.

Elle avait toujours rêvé d'un homme comme lui : charismatique, intense, et mystérieux. Mais ce qu'elle ne s'attendait pas à découvrir, c'était la complexité de la situation dans laquelle George se trouvait. Il était captivant, certes, mais il portait en lui une noirceur que Soleil n'avait pas prévue. George avait un vice qui le rendait imprévisible, erratique, parfois même violent. Un démon intérieur qu'il ne parvenait pas toujours à contrôler. Pourtant, cette facette de lui ne faisait pas fuir Soleil; au contraire, cela la fascinait, comme un feu qu'elle savait dangereux, mais dont elle ne pouvait détacher son regard. Elle y voyait peut-être une part de son propre chaos intérieur.

Les mois passèrent, entre moments d'intensité brûlante et silences pesants où chacun redoutait de perdre ce qu'ils avaient trouvé l'un dans l'autre. Soleil était comme happée par cet amour interdit, par cette passion dévorante qui consumait tout sur son passage. Mais après six mois de cette liaison secrète, une confession inattendue tomba comme un couperet.

Un soir, après une de leurs rencontres clandestines, George prit une profonde inspiration et lui dit, le regard fuyant : "Je dois te dire quelque chose, Soleil." Elle sentit son cœur se serrer, comme si elle savait déjà que ces mots allaient tout changer. "Je me suis remis à voir Loulou... Je ne peux plus continuer comme ça."

Loulou. Ce nom résonna comme un écho glacé dans l'esprit de Soleil. C'était une autre femme, une autre flamme, un autre chaos dans l'univers tourmenté de George. Une vague de déception et de colère la traversa, mais aussi un étrange soulagement, car au fond d'elle-même, elle savait que cet amour était aussi dangereux qu'irrésistible. Elle resta silencieuse, le souffle court, cherchant à comprendre ce que cela signifiait vraiment pour eux. Leurs jeux clandestins étaient-ils arrivés à leur fin, ou n'était-ce qu'un autre début douloureux de quelque chose qu'elle n'osait encore nommer ?

**

Pendant ce temps, quelque part, sur une vaste terrasse où résonnait le murmure du vent, Gabriel, assis à une table, observait fixement John qui se tenait non loin de lui. Il ne pouvait s'empêcher de le dévisager, captif de chaque sourire de son collègue. Son cœur battait à tout rompre, comme si chaque éclat de rire, chaque regard de John le ramenait à ce que Soleil ressentait pour George — cette attraction puissante et presque destructrice, un mélange d'adoration et de peur. L'ironie du destin reliait ces âmes à la dérive : Soleil, prise au piège d'un amour dangereux, et Gabriel, lui aussi, envoûté par une passion tout aussi déstabilisante.

Dans ce jeu complexe de désirs et d'émotions, chacun cherchait quelque chose qu'il ne parvenait à définir : une flamme qui les dévorait de l'intérieur, une intensité qui les consumait sans jamais les rassasier. Soleil et Gabriel, chacun à sa manière, éprouvaient ce besoin profond de s'attacher à l'inaccessible, au danger, à la sensation vertigineuse d'un amour qui échappe à toute logique.

Eh... Gabriel, t'es là ? s'exclama Mady en terminant son expresso.

— Ouais, j'écoute, murmura Gabriel, jetant un dernier coup d'œil à John qui riait aux éclats avec ses deux collègues un peu trop légères, avant de se tourner vers Mady. C'est quoi cette histoire de souper ?

— Je te l'ai déjà dit l'autre jour, répondit-elle en allumant une cigarette. Je vais imprimer une feuille avec les noms des gens de notre atelier. On se retrouve au restaurant Florida samedi à vingt heures.

— D'accord, mais je ne pense pas que je viendrai. Tu sais bien que moi et la foule, ça fait deux.

— Allez, arrête de faire le rabat-joie et viens ! insista-t-elle en se levant de table. Gabriel, exaspéré, la suivit à travers le vaste restaurant jusqu'à l'ascenseur métallique. Mady, comme à son habitude, commença à taper frénétiquement sur le bouton. Gabriel, à côté, sentait son irritation monter.

L'ascenseur arriva, et les portes s'ouvrirent. Gabriel pénétra dans la cabine, se plaçant au fond et appuyant son dos contre le mur. Un soupir échappa à ses lèvres, mais son cœur s'emballa brusquement en entendant le rire vibrant de John. Ce dernier entra, se glissant à ses côtés, tandis que d'autres passagers affluaient, forçant tout le monde à se serrer. John pressa alors son bras contre celui de Gabriel, provoquant un frisson dans tout son corps à ce contact. Puis, dans un geste surprenant, John, le regard fixé sur Gabriel pour la première fois, effleura délicatement la main de son collègue.

Gabriel retint son souffle, un frisson d'électricité parcourant son corps à ce contact inattendu. Le regard de John, à la fois joueur et curieux, semblait scruter l'âme de Gabriel, comme s'il cherchait à percer le mystère qui se cachait derrière son air renfermé. Chaque seconde qui passait dans cet espace clos devenait un combat entre désir et retenue. Gabriel pouvait sentir la chaleur émanant de John, et son esprit s'embrouillait sous l'effet de cette proximité.

Mady, ignorant complètement la tension palpable, continuait de discuter avec les autres passagers de l'ascenseur, mais pour Gabriel, le monde extérieur s'était estompé. Tout ce qui comptait, c'était ce moment fugace, ce contact qui l'avait catapulté dans un tourbillon d'émotions contradictoires. Il se mit à se demander si John avait conscience de l'effet qu'il avait sur lui. Peut-être n'était-ce qu'une simple maladresse, un geste anodin, mais pour Gabriel, cela était devenu monumental.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent finalement dans un fracas métallique. Les autres passagers se précipitèrent hors de l'ascenseur, mais Gabriel resta figé un instant, la tête pleine de pensées. John se retourna alors, un sourire aux lèvres, et lui lança un regard complice, comme s'il avait partagé une blague secrète. Ce geste, si simple, fit chavirer le cœur de Gabriel. Il n'avait jamais ressenti une telle connexion avec quelqu'un, et cela l'effrayait autant que cela l'enivrait.

- Tu viens, Gabriel ? » demanda Mady avec impatience, le tirant de sa torpeur.

-Oui, j'arrive, » répondit-il, sa voix un peu plus rauque qu'à l'accoutumée. Il se força à avancer, mais son esprit était encore embrouillé par les événements récents. Dans son esprit, une question persistait : John avait-il perçu son trouble ? Et surtout, que signifiait ce contact pour lui ?

Alors qu'ils marchaient vers la sortie, Gabriel jeta un dernier coup d'œil à John, qui parlait avec animation à un groupe d'amis. Leurs rires résonnaient comme une mélodie familière, mais pour Gabriel, chaque éclat de rire était synonyme de ce qu'il ne pouvait pas avoir. Il se sentait pris au piège, tiraillé entre l'envie de s'approcher de John et la peur de révéler ses sentiments.

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