XXXIII Ellora

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Deux jours.

Seulement deux jours avant le mariage de Malek, et Ellora sentait une angoisse grandissante à l'idée que quelque chose ne se passe mal. Kael, lui, avait cessé d'être présent en permanence. Au début, il dormait dans la même chambre qu'elles pour éviter d'éveiller les soupçons, mais il avait fini par ne plus revenir du tout. Tant mieux, pensa Ellora.

Désormais, il ne venait qu'une ou deux fois par jour, uniquement pour s'assurer qu'elles ne s'étaient pas échappées. Kael les enfermait à clé, laissant uniquement à Loretta un double qu'elle utilisait pour leur apporter de la nourriture. Ellora ressentait une tension constante ; chaque visite de Kael était imprévisible, et elle savait que même si Loretta paraissait docile, elle restait loyale à lui.

Ava, quant à elle, restait silencieuse la plupart du temps. Celle qui avait été autrefois une amie joyeuse et bavarde semblait maintenant ne plus rien ressentir. Son regard était vide, comme si elle s'était résignée à sa situation. Ellora n'avait pas osé lui demander ce qui s'était passé ni depuis combien de temps elle était enfermée dans la cellule. Elle craignait de la brusquer, de rouvrir des blessures encore trop douloureuses. Alors, elle se contentait de rester à ses côtés, espérant que sa présence suffirait à offrir un peu de réconfort à Ava.

Ellora essayait de son mieux de décrocher un sourire de son amie, mais en vain. Ava restait impassible, comme si elle était enfermée dans une bulle de tristesse. À force de tentatives infructueuses, Ellora s'était résignée à arrêter d'essayer de la faire sourire. Mais elle continuait tout de même à lui parler constamment, refusant de la laisser sombrer dans le silence. Elle lui racontait ce qu'elle faisait au château quand personne n'était dans les parages, partageait les rumeurs qu'elle avait entendues sur son père, ou se lançait dans des récits inventés pour combler le vide.

Le temps s'écoulait avec une lenteur insupportable, et seul le plan d'évasion de Kael tournait en boucle dans l'esprit d'Ellora. S'infiltrer au bal masqué, se fondre dans la foule sans s'éloigner de Kael, attendre le moment où il prendrait la parole pour son discours, puis se diriger calmement vers la sortie. Si les gardes refusaient de les laisser passer, il ne resterait plus qu'à compter sur l'autorité de Kael et espérer qu'il puisse les convaincre, ou même les intimider, de les laisser partir.

Ellora priait pour que leur plan fonctionne. Dans la chambre, elles étaient sans cesse sous surveillance, et toute tentative de fuite semblait vouée à l'échec. Mais une fois dehors, seule la vigilance de Kael représenterait un obstacle. Bien qu'il fût imposant et redoutable, il serait isolé face à deux personnes, augmentant ainsi leurs chances de réussir. De plus, la Reine serait trop absorbée par les préparatifs du mariage pour s'en mêler.

La pensée de la reine Lysandra glaçait le sang d'Ellora. Cette femme était cruelle, rusée, et son retour le lendemain faisait naître en elle une angoisse palpable. L'idée de la savoir dans l'enceinte du château lui donnait des frissons. Même si Ellora était consciente de son insignifiance aux yeux de la Reine, cela n'apaisait en rien la terreur sourde qui l'habitait.

Ellora s'étendit sur le lit, l'ennui et l'inactivité pesant lourdement sur ses épaules. Elle laissa échapper un soupir las, son regard fixé sur le plafond. Soudain, des pas lourds résonnèrent dans le couloir. Elle se redressa d'un bond juste au moment où Kael franchissait la porte. Il ne prit même pas la peine de croiser son regard. Silencieux et imposant, il contourna le lit et déposa une pile d'objets lourds sur la table de chevet. Puis, sans un mot, il tourna les talons, prêt à quitter la pièce.

Mais il s'arrêta net. Toujours sans la regarder, il dit d'une voix ferme :

— Des servantes viendront prendre vos mesures pour le bal. Contentez-vous de répondre à leurs questions. Rien de plus.

Il fit un pas vers la sortie, puis se retourna brusquement, ses yeux perçants croisant enfin les siens.

— Compris ?

Ellora sentit un frisson lui parcourir l'échine, mais elle parvint à répondre d'une voix plus ferme qu'elle ne l'aurait cru.

— Compris.

Kael quitta la pièce, et Ellora sentit enfin ses poumons se libérer, comme si sa simple présence l'avait étouffée. Elle s'apprêtait à se rallonger, son regard déjà fixé sur le plafond vide, mais quelque chose attira son attention. Son regard dévia vers la pile d'objets que Kael avait laissée sur la table de chevet.

Prise d'une curiosité irrépressible, elle tendit la main et défit soigneusement le papier qui enveloppait la pile. À l'intérieur, une série de livres neufs apparaissait, leurs couvertures impeccables reflétant la lumière. Entre deux pages, un mot était glissé.

 Elle déplia le papier avec précaution et lut, les yeux scrutant chaque mot : Pour l'ennui, en espérant que cela t'aide à te changer les idées.

L'écriture était d'une élégance rare, avec des courbes délicates et une régularité presque parfaite, témoignant du soin méticuleux apporté par son auteur. Viktor. Il était évident qu'il avait fait apporter ces livres en pensant qu'ils pourraient égayer ses heures d'ennui durant son emprisonnement. Peut-être ignorait-il qu'elle avait déjà réussi à quitter sa cellule, ou bien le savait-il, n'ayant pas croisé son chemin lors de ses visites en prison ? Quoi qu'il en soit, une douce chaleur envahit Ellora en songeant à ce geste attentionné. C'était comme une lueur d'affection dans l'obscurité de son isolement, une marque de prévenance qu'elle avait presque oubliée. Depuis si longtemps, personne n'avait fait preuve d'une telle délicatesse à son égard, et cette attention, aussi simple soit-elle, ravivait en elle un sentiment de réconfort et de gratitude.

Même Ava, ces derniers temps, semblait s'être repliée sur elle-même, réduisant au minimum les interactions avec Ellora. Leur relation autrefois chaleureuse avait laissé place à une distance palpable, une séparation silencieuse mais pesante. Ava se murait dans le silence, se détournant presque complètement d'Ellora, et cette solitude imposée pesait lourdement sur elle. Ellora ressentait le poids de ce changement et une profonde inquiétude face à l'isolement croissant de son amie. Elle nourrissait l'espoir sincère que cette situation évolue, que les liens entre elles se resserrent à nouveau.

Elle a juste besoin de temps, pensa-t-elle avec une lueur d'espoir.

Ellora s'installa confortablement sur le lit, cherchant à se détendre malgré la tension qui persistait autour d'elle. Elle attrapa le premier livre de la pile avec une certaine impatience : Parfait et ses aventures, de l'auteur Alclides.

Elle feuilleta le livre avec soin, découvrant les premières pages illustrées de scènes d'aventure palpitantes. Les mots dansaient devant ses yeux, emportant son esprit loin des murs de sa chambre, vers des contrées imaginaires où les soucis réels semblaient insignifiants.

À mesure qu'elle plongeait dans l'histoire, l'angoisse accumulée des derniers jours s'estompait peu à peu. Les personnages du livre, avec leurs épopées audacieuses et leurs défis héroïques, captivaient son esprit, lui offrant une évasion bienvenue.

L'Âme des OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant