Chapitre 1 : Au détour d'une vie

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Le train arriva en gare, les passagers pressés se bousculaient contre les portes attendant leurs ouvertures. La chaleur de la fin du moi d'août et le bruit de la foule courant en tout sens dans la gare fit tourner la tête de Faustine.  Elle prit sa valise et son sac et tenta de retrouver son grand-père parmi tout ces gens. Il se trouvait à l'extérieur à l'ombre des arbres, une place très enviée par cette chaleur qu'il avait sûrement obtenue grâce à son fauteuil roulant et sa petite mine transpirante de grand-père.

-Enfin! Les trains ne sont jamais à l'heure dans ce pays, c'est une aberration. Bon le principal c'est que tu as l'air en pleine forme. Allez viens, on rentre, tout cet air pollué me donne la nausée - a t'il dit d'une traite sans poser un regard sur sa petite-fille.

-Bonjour à toi aussi grand-père, répondit la jeune fille mi-amusée mi-désolée par l'attitude du vieil homme.

La raison pour laquelle Faustine se trouvait chez son grand-père à quelque jours de la rentrée des classes est autant bénéfique pour elle qu'elle ne la rend malheureuse. Ses parents, venant de se séparer, ont décidé de faire chacun de leur côté un tour du monde d'un 1 an avec leur nouveau plan cul respectif. Entre rester seule à Paris sans aucun parents sur le dos et aller vivre chez son grand-père en province, personne n'aurait hésité et aurait fait une soirée dès le premier week-end dans le luxueux appartement du 7ème. Mais pas elle. Les souvenirs encrassent les sentiments et elle avait préféré partir avant qu'il ne soit trop tard. Elle ne supportait plus les visages arrogants des collégiens parisiens, ces visages qui la dévisageaient sans retenue, la montrant du doigt. On voyait sur leurs lèvres briller un sourire mesquin ou une attitude de pitié, comme s'ils comprenaient ce qu'il s'était passé, comme s'ils savaient. Mais personne ne pouvait savoir.
Vivre avec son grand-père est sa seule chance de s'échapper.
***

La maison du Grand-père est perdue entre les champs, entourée de vaches et d'odeurs nauséabondes. La voiture s'arrête sur les graviers brusquement à quelques centimètres de la porte du garage, c'est un miracle qu'ils n'aient pas eu d'accidents sur la route. La maison de Robert ne dérobe pas à la règle des maisons anciennes : papier-peint abîmé, odeur moisie et meubles en bois aux pieds cassés. Faustine connaît le chemin de sa chambre, elle monte à l'étage, s'allonge sur son lit, et commence à regretter son exil. Elle ferme les yeux et s'endort.

Elle est enfermée dans une boîte, recroquevillée sur elle-même et l'air commence à manquer. Elle sent un liquide chaud glisser le long de sa joue et couler sur ses hanches mais elle ne s'en préoccupe pas pour le moment, elle veut sortir de cet endroit. Elle passe ses mains le long de la paroi, cherchant une issue où une indication. La boîte est en verre et reflète une lumière jaune soutenue à l'intérieur qui lui fit plisser les yeux. Elle ne peut se relever ou se tenir à genoux et sent son cœur commencer à battre plus fort; elle panique. Souviens toi, respire, souffle prend ton temps, tu sais comment faire pour te calmer. Mais elle n'y arrive pas. C'est comme ci tous ses souvenirs avaient disparu, qu'elle était vide, une capacité vide (B.V). Elle n'a plus d'air, son souffle devient saccadé, sa tête tourne. Son dernier effort est de basculer sa tête vers le haut et apercevoir à travers la surface de la boîte de verre le sourire cruel et heureux de son assassin. Puis elle meurt.

Quand elle se réveilla elle ne transpirait pas. Son souffle était régulier ainsi que les battements de son cœur. Ce n'était qu'un rêve après tout. Elle se leva et partit dans sa douche, l'eau chaude lui faisait un bien fout et détendait ses muscles. C'est ce moment qu'elle préférait : sentir les gouttes couler dans son dos jusqu'à bas de ses hanches, avoir les poils hérissés par le bruit de l'eau tombant dans la baignoire rouillée... Et ce bruit de fond rendant l'atmosphère palpable, permettant de crier n'importe quoi, permettant de vivre n'importe comment.
Lorsqu'elle passa ses mains pleines de savon sur ses hanches elle sentit quelque chose de collant sur celles-ci. On avait dû lui renverser un peu de soda quand elle s'était assoupie dans le train, ce n'est pas très grave. Rien n'était important aujourd'hui. Elle s'en fichait. De tout.

***

Robert avait mis la table dans la grande salle à manger, celle dont il ne se servait jamais. Il avait disposé les assiettes à l'opposé, laissant un grand espace de bois froid entre son assiette et celle de sa petite fille. Il avait l'impression d'être dans un château de l'époque, dînant avec sa reine, rêvant de serviteurs apportant des plats variés et exquis.
Il voulait être comédien, vivre une vie haute en couleurs, une vie digne d'une histoire qui intéresse les gens. Se sentir aimé et être aimé pour ce qu'il est; parcourir le monde et découvrir le ciel et les profondeurs de l'océan. C'est ce qu'on lui avait prédis...

Mais la raison lui revint quand il vit Faustine descendre les marches des escaliers.
Non ce n'était pas possible, il avait attendu en vain qu'on vienne l'aider mais c'était trop tard. Tout était perdu et il devait maintenant veiller au bonheur de sa petite-fille qui ne savait rien, ne pouvait rien, et n'était rien.

Le repas se passa en silence, ce silence brisé quelque fois par un verre reposé trop vite sur la nappe ou un couvert glissant à terre. Ils ne se regardaient pas, concentrés sur leurs assiettes. Ce n'était pas de la gêne, ho non loin de ça, mais de l'indifférence. De la part de Faustine en tout cas, car le grand-père souhaitait percer cette carapace. Il voulait vivre pour sa petite fille, voir à travers ses yeux et respirer avec elle; mais c'est si dur de lui faire comprendre ! Il sait comment sont ces gens là, il en faisait parti.
Il n'y a pas plus destructeur d'espoir que l'indifférence.

Le souffle chaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant