Chapitre 3

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18 heures

Je sors de ma douche et attrape à une main mon téléphone, l'autre tenant ma serviette. J'ai reçu un appel. Il s'agit de mon frère. Je ne perds pas un instant et le rappel, inquiète.

– Allo Max ?

– Salut Mu, les parents m'ont dit de te dire qu'on a prévu de manger avec toi demain, ça te va ?

– Oui bien sûr. On fait ça.

— Ok super, à demain.

– Je t'aime."

Je me sens rassurée. Maxime a 15 ans et c'est la personne sur terre dont je suis la plus proche. Ce n'a pas été toujours le cas, mais il y a trois ans ça a changé. Il a changé et personne ne l'a vu venir. Mes parents ont reçu un appel de son collège disant qu'il n'était pas venu depuis trois semaines. Mon frère ayant toujours été ce qu'il est, une boule de joie, leur première réaction a été de le punir. Ils pensaient qu'il faisait le choix de ne pas y aller pour trainer dehors et s'amuser sous leur nez. Pas de sortie pendant deux semaines et obligation d'aller en cours. Il n'a plus eu le choix, mais trouvait toujours un moyen d'y échapper. Descendre de la voiture et se diriger vers l'établissement avant de faire demi-tour. Rentrer, mais se cacher dans un coin de cours. Mes parents ne comprenaient pas et m'ont expliqués les faits. À cette période, comme je l'ai dit, nous n'étions pas proches, j'étais focalisée sur ma santé mentale et sur le fait de trouver comment vivre en paix et je me suis un peu éloignée de mes amis, de ma famille. J'enchainais les heures supp au garage parce que je culpabilisais de ne pas être assez efficace la journée à cause du contact avec les clients. Quand j'ai su, j'ai cherché à le comprendre. J'ai dit aux parents qu'un matin, c'est moi qui l'emmènerai en cours et j'ai roulé jusqu'au parking avant de m'arrêter. Dans la voiture, je le voyais dans un état de stress énorme. Je serrais très fort le volant de mes mains pour ne pas trembler, j'avais l'impression de me prendre des coups dans le ventre et une envie de pleurer constante. Quand je me suis garée, il m'a regardé incompréhensif. Je lui ai demandé ce qui lui ferait plaisir. Il m'a dit "plus rien". Là, j'ai cru que j'allais craquer. J'ai su que ce n'était pas un caprice, c'est mon frère. Je lui ai demandé s'il voulait m'en parler, il m'a dit oui. Alors, j'ai choisi, je l'ai emmené à la mer manger des chichis au sucre. On s'est assis sur le sable et je lui ai parlé de moi, je lui ai presque tout révélé. Je lui ai expliqué que je ressentais les émotions des autres, que j'avais parfois envie de disparaitre juste pour avoir le silence de partout. J'ai essayé de lui tendre une perche. À force de patiente, il l'a prise.

– Tu sais, je crois que moi, c'est l'inverse. Je suis au milieu de tout et de rien à la fois. Je suis dans un vide ou alors c'est lui qui est à l'intérieur, c'est pareil. Je ne supporte plus les autres, les bruits et même la lumière peuvent me déranger. Je crois que c'est la vie qui me rend malade."

Entendre ça m'a trouée en deux mais je n'ai rien dit, j'ai regardé la mer et j'ai continué de l'écouter en hochant la tête.

– Je ne ressens rien. Et ce rien est l'émotion la plus intense du monde. Je veux que ça se coupe. Je veux juste respirer pour de vrai.

– D'accord. Ce serait faux de te dire que je comprends tout, je ne vais pas te mentir. Mais je sais ce que ça fait de vouloir que tout s'arrête et je te jure que je vais t'aider. Je serai là maintenant. On a tous les deux besoin de parler à quelqu'un.

– Un psy tu veux dire ? Mais je ne suis pas fou et toi non plus, tu l'es pas.

– Qui est fou ?

– Pardon ?

– Qui sont les fous ?

– Bah... je ne sais pas. Des gens dangereux ?

– Oui, je pense que sommes d'accord pour dire que les meurtriers et les violeurs ne sont pas seins dans leur tête. Mais il y a les autres. Il y a des gens comme nous, qui baignent dans un vide ou un océan de violence et qui ne savent pas quoi faire. Il y en a qui naissent avec et qui meurt avec un trou, une écharde indélébile.

La blessure du temps.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant