Le Combat Intérieur

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À cœur vaillant, rien d'impossible...

Je ne savais pas vraiment par où commencer ce chapitre. En fait, je n'étais même pas sûre de pourquoi j'écrivais. Ce livre n'a d'ailleurs pas encore de titre. Mais j'ai cette conviction que tout le monde devrait écrire, qu'on soit doué ou pas. Peut-être que je me dis ça pour me rassurer. J'ai toujours cru qu'il fallait être bon pour faire quelque chose, mais aujourd'hui, je veux essayer de changer cette vision. Ces quelques mots, posés sur le papier, me feront sûrement du bien.

Rassure-toi, je vais bien. J'ai mes mains, mes jambes, ma santé est bonne. Je ne suis pas dépressive, même si je porte en moi cette étrange sensation qu'écrire est essentiel, aujourd'hui alors je me lance.... Je trouverai un titre à ce livre lorsque tu pointeras enfin le bout de ton nez, petit embryon.

Quant à ton prénom, ne t'inquiète pas, cela fait longtemps que ton père et moi l'avons choisi. Un prénom mixte, une évidence pour nous. Pourtant, il nous est encore difficile de l'employer. Peut-être parce que, pour l'instant, tu n'existes qu'à moitié. Tu es là, quelque part, congelé. On en rigole parfois avec ton père : « Au moins, tu n'auras jamais froid l'hiver.

Je me demande souvent quel genre de mère je serai, et honnêtement, ça me terrifie un peu. Tu as déjà chamboulé tant de choses. Le parcours de la PMA a fait de toi un sujet central dans nos discussions, comme une manière de combler notre impatience entre chaque rendez-vous. Ta chambre est d'ailleurs la première pièce que nous avons finie dans la maison. C'est sans doute la plus belle chose dans tout ça, nous avons le choix, l'opportunité de t'avoir en toute sincérité. Tu n'arriveras pas par accident, lors d'une soirée un peu trop arrosée. Tu es un choix mesuré, organisé, préparé méthodiquement. Tu es un projet mûrement réfléchi, planifié avec soin. Et nous t'aimons déjà, avec tous tes futurs défauts et qualités, même si tu n'es pas encore là. Nous avons hâte que tu sois avec nous.

Nous savions, ton père et moi, qu'il y avait une chance sur deux de te concevoir naturellement. Mais cela ne change rien à l'amour que nous te portons déjà.

C'était en juin 2019, lorsque nous avons appris la rechute de ton père. Ces mots, bien que prononcés il y a plusieurs années, résonnent encore douloureusement en moi. Cette blessure ne disparaîtra jamais, mais c'est ce qui nous rend plus forts. Il devait retourner à l'hôpital pour retirer son cathéter, mais tout ne s'est pas passé comme prévu.

Je suis entrée dans la chambre en dernière. Ta grand-mère, ton grand-père, et ta tante étaient déjà là, autour de ton père. Nous attendions la chirurgienne. Quand elle est arrivée, elle n'a même pas eu besoin de demander le silence. Instinctivement, nous nous sommes tus. Peut-être est-ce l'effet de la blouse blanche, mais ma gorge s'est serrée et mes mains sont devenues moites. J'espère ne pas te transmettre ces angoisses silencieuses que je porte souvent.

Elle a à peine ouvert la bouche que j'ai compris. Nous avons tous compris.

— Monsieur, madame, j'ai une mauvaise nouvelle. En opérant, nous avons découvert des micro-nodules. Nous les avons analysés, et ils sont cancéreux.

Ton père s'est effondré. Nous nous sommes tous effondrés. C'était comme des soldats abattus sur le champ de bataille, des balles en plein cœur. Ta grand-mère l'a consolé, puis ton grand-père a pris le relais. C'était la première fois que je voyais ton grand-père pleurer. Moi, je n'ai pas eu la force de regarder ton père dans les yeux. Je suis sortie, suivant ta tante le long du couloir. J'aurais dû la prendre dans mes bras, mais je n'ai pas pu. Je suis partie à l'opposé, cherchant une issue pour crier ma douleur dehors. C'est mes larmes qui sont retenue dans ma gorge parce que je trouve çà fragile de pleurer devant les autres.

Quel genre de mère raconte cela à son embryon, je tiens pas à ce que tu lise ce passage.

Je me souviens d'avoir erré un long moment dehors. J'ai dit à haute voix que ça faisait aussi mal que lorsque mon père est mort. Mon cœur s'était brisé à nouveau, alors que je pensais l'avoir réparé. C'était comme une plaie encore ouverte, qu'un simple coup pouvait rouvrir en un instant. C'est exactement ce que je ressentais ce jour-là : une plaie béante, un volcan prêt à exploser. L'envie de crier toute ma rage et ma peine au monde entier. C'était la colère qui guidé mes pas, l'adrénaline m'empêche de respirer. J'ai alors saisie mon téléphone pour appeler ma maman, elle trouve toujours des solutions. C'est en sanglot que je lui annonce la nouvelle, c'est ca avec ma maman, je peux me dévoiler, lui crier ma souffrance. J'ai toujours l'espoir quelle répare tous mes bobos, c'est elle que j'appelle quand ça va pas, parce que c'est ça les mamans, des guerrières. La mienne de maman est une grande guerrière, j'espère toujours être aussi forte quelle... et pourtant c'est d'abord le silence qui l'a submergée, elle m'a fait répéter les quelques mots transcendants.

- Il a fait une rechute.

Ma maman est venue passer quelques jours à l'appartement pour nous préparer de bon petits plats. Ton papa s'est réfugié dans les jeux vidéos. Pudiques, nous avons gérés nos peines dans notre coin. L'appartement était trop petit alors j'allais pleurer dehors. Tu sais, je crois que c'est à ce moment la que j'ai compris, ce que c'était la vie. Son premier cancer je pensais l'avoir comprit mais non, baliverne. La rechute c'est un coup de poignard dans le dos, c'est pour moi une incompréhension de la vie, une injustice.

Après tout ce n'est pas moi qui suis malade, j'aurai aimé pouvoir dire que j'aurais voulu être à sa place mais c'est pas vrai. L'amour ne remplace pas mon courage, on dit souvent qu'on donne les plus grandes épreuves aux plus grands soldats. Ça porte un nom ça, l'équité, je t'assures que ton papa est très fort. On ne lui dit pas souvent alors il doutes beaucoup de lui et pourtant il est très courageux. Je l'ai choisie en parti pour ça. Bon je t'avoue aussi être tombé follement amoureuse de lui et ça je ne l'ai pas choisie.

J'étais résigné à devenir un soldat sans armes, j'étais devenue spectateur d'un film d'horreur. Je ne pouvais contrôler que mes émotions pour tenter de protéger ton papa. Tentant de lui offrir  une apparence forte et des épaules sur lesquels se reposer. Impuissante je l'ai été c'est une autre souffrance à gérer alors je me suis réfugié dans le travail.


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FIN JUIN 2019


Je suis allée chercher mes résultats universitaires. Je tenais ce petit bout de papier dans ma main, scrutant les cases remplies de mes notes.

— Admis, admis, admis, admis... Bon, d'accord, il y a une matière où c'était écrit "ajourné". Mais tu sais quoi, petit embryon ? Je veux que tu fasses mieux que moi. Ne t'inquiète pas, je ne te mettrai pas de pression. Je refuse d'être cette mère qui se réalise à travers son enfant. Tout ce que je souhaite, c'est que tu sois heureux. Tu feras ce que tu voudras, tant que cela te rend heureux.

Ma propre mère m'a appris qu'il faut donner le meilleur de soi-même dans la vie. Je ne suis pas particulièrement fière de moi en t'annonçant que je n'ai pas donné le meilleur cette fois-ci. J'aurais pu faire mieux.

J'avais longtemps imaginé ce moment de joie, quand je recevrais mes résultats. Mais en voyant les étudiants autour de moi célébrer, je ne pouvais m'empêcher de penser à l'autre bout de papier qui m'attendait à la maison. Celui que ton papa avait, avec le mot "survivre" inscrit dessus, tandis que le mien portait le mot "avenir". Enfin, c'est ce qu'on essaie de nous faire croire. Sache que dans la vie, je te rappellerai chaque jour que tu peux devenir la meilleure version de toi-même. La vie, c'est une succession de choix et de sacrifices, mais tu comprendras plus tard que tout est plus simple quand on démarre dans la bonne famille. Ne t'impose pas de limites. C'est pour ça qu'avec ton papa, nous avons décidé de garder en tête le mot "avenir" dans tout ce que nous entreprenons.

À ce moment-là de notre vie, ce n'était pas si évident. J'ai dû faire le choix d'abandonner mes études pour travailler à temps plein dans une pizzeria. Le mot "récidive" pesait lourd. Ton père ne voulait pas retourner vivre chez tes grands-parents. Il avait l'impression de revenir en arrière.

Alors, comme tu le sais déjà, dans la vie, il faut mener un combat à la fois. Et le nôtre était sur le point de commencer.

Petit embryon devient grand papillonWhere stories live. Discover now