Chapitre 1

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C'était un matin comme tous les autres, si tant est que ce mot ait encore un sens. Le ciel, d'un gris lourd et aveugle, pendait au-dessus de la ville comme un couvercle. Les rues étaient désertes à cette heure, à l'exception des quelques silhouettes qui traînaient leurs ombres, effacées, silencieuses. Je longe les murs de béton, la tête basse, l'air de ne rien voir, de ne rien entendre. Mais à l'intérieur, tout hurle.

Je m'appelle June, et aujourd'hui, j'ai vingt ans.

Dans un autre temps, dans un autre monde, cet âge aurait peut-être été synonyme de liberté. De découvertes. Ici, il n'en est rien. Ce jour n'est qu'une étape de plus dans un long chemin balisé, où chaque déviation mène à la chute. Le bracelet autour de mon poignet clignote doucement en vert, confirmant que ma routine est bien engagée. Mes mouvements sont surveillés, calibrés. Je devrais être rassurée par cette surveillance. C'est ce qu'ils disent.

« La sécurité avant tout. »

Mais ce n'est pas de la sécurité, c'est une prison. Une prison invisible, tissée de lois et de regards que je ne peux fuir. Chaque geste est mesuré, chaque mot pesé. Les femmes sont protégées ici, dans cette ville qui n'a pas de nom. C'est ce qu'ils disent, encore.

Mais à quel prix ?

Je passe devant la vitrine d'un magasin et j'aperçois mon reflet. Une jeune femme. Visage lisse, cheveux soigneusement tirés en arrière, vêtements neutres, sans la moindre note de couleur qui pourrait attirer l'attention. Je devrais ressembler à une citoyenne modèle. Mais sous la surface, quelque chose bout. Quelque chose qui refuse de rester silencieux.

Je continue de marcher, mes pensées tourbillonnant sous le poids de ce qui m'attend ce soir : la Cérémonie. Celle où ils décideront qui je suis censée devenir. Qui je devrai épouser, où je devrai servir, comment je devrai vivre. Le choix ne m'appartient pas. Ce soir, je ne serai plus June, pas vraiment. Je serai ce que le système a décidé que je devais être.

« June. »

Je sursaute. C'est Maia, ma sœur cadette. Elle se tient derrière moi, plus pâle que d'habitude, les traits tirés par quelque chose que je ne comprends pas encore. Elle a toujours été l'image de la conformité, celle qui n'a jamais osé lever les yeux, jamais osé douter. Mais là, dans son regard, il y a une étincelle que je n'y avais jamais vue avant.

« Qu'est-ce qui se passe ? » lui demandai-je, la gorge serrée.

Elle hésite, scrutant les alentours. Son regard se pose sur chaque coin de rue, chaque bâtiment, comme si elle s'attendait à être vue, entendue. Puis, d'une voix basse, presque inaudible, elle murmure :

« Ils m'ont appelée pour l'Examen. »

L'Examen. Ce mot seul suffit à figer le sang dans mes veines. Il ne s'agit pas d'un examen au sens où nous le comprenions autrefois. C'est une intrusion, une dissection de chaque pensée, chaque émotion. Un moyen de vérifier si nous sommes toujours fidèles, toujours obéissantes. Si nous n'avons pas commencé à dévier.

« Mais... c'est trop tôt », dis-je, la panique montant.

Elle hoche la tête, incapable de me regarder dans les yeux. « Ils ont détecté une fluctuation. Quelque chose dans mes données. »

Un silence lourd s'abat entre nous. Une fluctuation. Ce mot, aussi anodin qu'il paraît, cache une menace mortelle. Dans ce monde, tout ce qui dépasse la norme est suspect. Une pensée hors du cadre, un mouvement imprévu, une émotion mal calibrée, et ils viennent chercher. L'Examen n'est qu'une étape avant le Centre. Et personne ne revient du Centre.

Je veux dire quelque chose, mais les mots se bloquent dans ma gorge. Que puis-je dire ? Que tout ira bien alors que nous savons toutes les deux que c'est un mensonge ? Je vois la peur dans ses yeux, une peur qui résonne avec la mienne.

Sous l'œil de verreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant