Une vie,une carrière

L'enfance(chapitre 6)

Quasiment un an était passé depuis cette phrase de Jamel :"Je suis prêt à parier que dans une dizaine d'années,je te retrouverai sur la pelouse du Camp Nou".Elle me resta d'ailleurs en tête durant longtemps.Très longtemps même.Sur le moment,je cru à une blague,je cru avoir mal entendu.Je cru même que Jamel plaisantait,qu'encore une fois,il utilisait des mots bien trop forts.Mais non."Pedro sérieusement,ce ne sont pas des paroles en l'air",avait-il ajouté afin d'appuyer son propos.Malgré tout,cela me semblait irréel.Comment moi,Pedro,enfant d'un quartier pauvre de Barcelone et sans moyens,pouvait-il devenir footballeur ?"Irréalisable"m'étais-je dit plus d'une fois sur le moment."Impossible".Mais Jamel n'avait pas dit son dernier mot.Face à mes craintes et mes idées déjà toutes faites,il me fit un long discours,ayant pour but,encore une fois,de me faire changer d'avis.
-Pedro,il ne faut pas que tu décourages.Tu as un talent immense,et si tu te lances vraiment, beaucoup d'autres opportunités se présenteront à toi.Fais moi confiance.
-Mais,Jamel,je n'ai rien,je n'ai pas d'argent,comment veux-tu que je devienne footballeur ? Je ne peux pas réussir là-dedans.
À cet instant,je me souvins de l'emportement de Jamel :
-On voit que tu ne connais pas l'histoire de Messi et Ronaldo.Les deux meilleurs joueurs du monde.Tu sais d'où ils sont partis ? De zéro.De rien.Ronaldo a grandi à Madère,une île portugaise,dans un quartier extrêmement pauvre.Pareil pour Messi,mais lui,dans la ville de Rosario,en Argentine.Il a dû quitter son pays,sa famille, absolument tout,pour rejoindre Barcelone.Tu imagines ? Un autre continent,alors qu'il n'avait que quelques dizaines d'années.
-Sauf que moi je n'ai pas le talent de Messi et Ronaldo.
-Certes,mais tu as ta chance,comme tous les autres.Et puis,ne te compare pas à eux.Tout ce que tu dois comprendre,c'est que tu es un garçon talentueux,et que je suis persuadé que tu réussiras dans le football,avec de la volonté.
Jamel ne voulait absolument pas lâcher le morceau.J'eus même l'impression que cela le concernait personnellement.Mais attention,il ne me forçait en rien.Moi aussi,je ressentais l'envie de jouer au football,d'être connu.Cela était l'une des seules choses qui me rendait véritablement heureux.Seulement,je n'arrivais à sauter le pas.Je n'avais pas encore eu le déclic,et je n'avais alors pas assez de maturité pour faire un choix.Je me contentai de jouer au football à l'école et en dehors, toujours avec Enzo et ses amis,mais m'inscrire en club,cela était une autre étape.Mes parents remarquaient ma passion pour ce sport,et eux aussi m'encourageaient.
-C'est super si le football te plaît,mon amour ! me dit un soir ma mère.
-Tu ne voudrais pas t'inscrire en club ? me demanda mon père.
Mais face à ça,je restai toujours indécis, perdu au milieu d'un désert sans fin.Devrais-je sauter le pas ? Ne le devrais-je pas ?En parallèle,mes notes à l'école ne s'étaient toujours pas améliorées,au contraire.Quasiment chaque semaine,je rentrai avec une évaluation catastrophique,des devoirs,et en bonus,une punition."S'est endormi à plusieurs reprises dans la classe","Est insolent avec la maîtresse,"Ne travaille pas en classe".
-Nous comprenons que tu sois perturbé,Pedro.Ton quotidien est difficile,et nous en avons déjà parlé.Mais ça n'excuse pas tout,me dit un jour Mme Garcia,lors de l'un de nos rendez-vous hebdomadaires.Tu dois davantage travailler en classe,être plus impliqué,et surtout,arrêter de mal te comporter avec la maîtresse.D'accord ?
Je répondis seulement avec un hochement de tête.Cela m'ennuyait et j'en avais assez des leçons de moral à répétition."Comporte toi mieux,"Écoute en classe","Fais des efforts".Bien sûr,je comprenais que l'on attende de moi que je fasse davantage,que je fournisse plus d'attention.Seulement,ce que la maîtresse et mon assistante sociale ne semblaient pas comprendre,c'est que tout cela ne m'intéréssait pas.Loin de moi l'envie d'arrêter l'école,d'autant plus chose impossible à un tel âge,je voulais seulement que l'on arrête de me dire quoi faire, comment me comporter.Que l'on arrête de me forcer à écouter des cours et à faire des choses qui ne me plaisaient pas.Le football devint ainsi rapidement ma seule passion et surtout,mon unique source de bonheur.Comme un rayon de soleil à travers un ciel couvert de nuages.Sur le terrain,tous les problèmes étaient oubliés,toutes les rancoeurs également,et seul un mot d'ordre existait : jouer.Le reste se faisait en dehors.Mais durant cette année là,d'autres choses se produirent également : d'abord,ma popularité auprès des filles,qui grimpa en flèche.En effet,lors de nos matchs endiablés dans la cour de récréation de l'école,je fus rapidement considéré comme "Le petit génie",le plus fort,celui pour qui tout le monde venait regarder le match.Pourtant,faire le chaud n'était absolument pas mon but.Je jouais simplement mon jeu,comme je l'avais toujours fait,et tout cela arriva naturellement.C'était certes une petite popularité,dans une école primaire de quartier,mais une popularité quand même.Ce qui était le plus surprenant,c'est que avant tout cela,et avant de jouer au football, personne ne me calculait,ou quasiment personne.Seul Fernando était un vrai ami pour moi.En général,les filles,elles,m'ignoraient et se moquaient parfois de moi.Cela me fit donc tout drôle lorsque du jour au lendemain,des groupes de filles se réunirent pour me regarder et m'encourager durant les matchs :"Allez Pedro,tu es le meilleur","Qu'il est fort","C'est un génie".J'eus même quelques avances de la part de certaines filles.Mais je les avais toutes refusées.D'abord,parce qu'en réalité,être en couple à cinq ans ne représentait pas grand-chose.Je savais que cela ne durerait pas longtemps.Puis,parce que cela ne m'intéressait tout simplement pas.Les filles n'étaient en effet pas ma priorité à cette époque,et j'avais des doutes par rapport à la sincérité de celles-ci,encore une fois à cause de leurs moqueries avant le dévoilement de mon "talent".
Cette année-là me permit également de renforcer mes liens avec Hector,que j'avais longuement côtoyé durant nos matchs hebdomadaires contre l'équipe d'Enzo.Il devint même un ami proche,tout comme Fernando,un ami à qui je pouvais me confier,et avec qui j'adorais sortir et faire des choses.
Je me rappelle une fois,m'être rendu à ses côtés dans Barcelone même en bus afin de voir la Sagrada Familia,ce monument historique et emblématique de la ville.Mon émerveillement ainsi que le sien furent grands.
-C'est magnifique,commentait-il sur le moment.
-Oui,et c'est surtout incroyablement grand, impressionnant ajoutai-je.
C'est également durant cette sortie qu'il me confia ses projets futurs :
-Moi,plus tard,je rêve de devenir joueur du FC Barcelone,mon club préféré.J'ai tellement envie de devenir comme Messi.
De mon côté,je ne savais pas grand chose à propos du FC Barcelone.Bien sûr,je le connaissais de nom,et j'avais eu la chance de pouvoir en discuter un peu avec Jamel,mais cela restait flou.Hector m'expliqua donc,avec sa passion habituelle :
-C'est tout simplement le meilleur club du monde.Iniesta,Xavi,Messi,Pedro...Tant de joueurs talentueux.Et puis,tu as déjà vu le Camp Nou ? Ce stade est tellement impressionnant,je rêve de pouvoir assister à un match là-bas.Oh,pour le Clasico,face au Real Madrid.Ce serait magique.
Son amour pour ce club piqua ma curiosité.Je voulais donc en savoir plus :
-Et,qu'est-ce qui fait que tu aimes tant ce club ? Tu as l'air tellement fier et engagé pour le FC Barcelone...
-Oui,je le suis.Ce qui fait que j'aime ce club ? C'est simple Pedro.Le Barça n'est pas juste un club comme les autres.Non.Comme le dit d'ailleurs la devise du club : "Es mes que un club".Le Real, Manchester United,Chelsea,l'AC Milan sont certes des clubs performants,qui possèdent beaucoup de Ligues de Champions,mais le Barça est différent.C'est une grande famille,et dans cette famille,nous sommes tous unis autour du même club,autour des mêmes valeurs.Tu sais,l'an dernier a été très dur pour moi.Je ne voyais quasiment jamais mes parents,qui étaient constamment en voyage à l'étranger,et qui le sont toujours d'ailleurs.C'est donc mon oncle qui me gardait et avec qui je vivais.À l'école,c'était aussi très compliqué,je ne supportais pas de rester assis sur une chaise pendant des heures,et j'étais très malheureux.Et c'est à ce moment-là que j'ai connu le Barça.Dès mon premier match visionné à la télé,j'ai été charmé par ce club.J'ai eu la chance de me faire des amis barcelonais eux aussi,et avec eux,je me sentais bien,libre.Comme si tous mes problèmes partaient en fumée.Dans la famille du Barça,tu n'es pas jugé,tu te sens vivant et surtout,tu partages de vrais liens fraternels avec les autres supporters.C'est un sentiment incroyable,et la ferveur des Culers est exceptionnel.Lorsque tu as le coeur catalan un jour,tu l'as pour toujours.Moi c'est mon cas.Et toi ?
Ce que m'avait dit Hector m'avait remué,et surtout,je voyais à quel point cela lui tenait à coeur.Le FC Barcelone,un club que je ne connaissais quasiment pas,qui pourtant,m'attirait déjà.Mais sur le moment,je répondis :
-Je ne sais,je n'ai pas de club préféré.À vrai dire,je ne regarde même pas les matchs.
En effet,j'avais certes un poste de télévision à la maison,et pour regarder les dessins animés,cela convenait.Mais pour les matchs de football,c'était une tout autre histoire.La plupart des chaînes étaient payantes,et il était bien évidemment impossible pour moi de me permettre ça.Certes, c'était bien décevant,puisque le foot était devenu ma passion,et que je rêvais de regarder les plus grands matchs européens à la télé,mais ma situation ne s'y accordait pas,alors pour moi,cela s'arrêtait là.Au rêve.
Hector,face à ma réponse,me proposa alors :
-Et,ça te dirait de venir voir le match de ce soir chez moi ?
-Tu es abonné aux chaînes de sport ?
-Oui,depuis l'année dernière.C'était un cadeau de mon père,pour me faire plaisir.Et puis,ça va,notre situation est correct,il peut se permettre d'assumer les frais chaque mois.Pas toi ?
-Non,non malheureusement.
-Ah,je suis désolé,Pedro.
-T'inquiète pas.
-Et donc ? Ça te dit ?
La proposition de Hector m'avait fait extrêmement plaisir.Surtout,je ne m'y attendais absolument pas.On ne m'avait en effet jusqu'à alors jamais proposé une telle chose.Je n'avais d'ailleurs même jamais été invité chez quelqu'un non plus.Ainsi,je répondis :
-Oui,bien sûr que ça me dit.On va bien s'amuser.
-Ça,c'est sûr.
-Et,quel est le match ? demandai-je.
-Barça-Getafe ! Bon à première vue,ce n'est pas un match de rêve,mais avec ce Barça,je peux t'assurer qu'on va se régaler !
-J'espère ! J'avoue que je n'ai jamais vu le moindre match du Barça.Mais vu comme tu m'en as parlé...
-Tu verras ce soir ! Je te promets que je n'en aurais pas trop fait !
Et effectivement,il ne m'avait pas menti.Je ne le savais pas encore,mais cette soirée chez lui allait changer ma vie pour toujours.
Ce soir-là,j'arrivai chez Hector aux alentours de vingt et une heure,heure du match.J'avais au préalable obtenu l'autorisation de mes parents,et pour ma sécurité,mon père avait gentiment accepté de m'accompagner.Une fois devant la porte,il m'adressa un "Au revoir" puis un "Bonne soirée les garçons".Hector, lui, semblait ravi de me voir,et il me demanda assez rapidement de rentrer.
-Tes parents sont là ? demandai-je.
-Non, actuellement ils sont en voyage pour leur travail.Mon père est en Italie et ma mère à Madrid.Ils doivent revenir dans quelques jours normalement.
-D'accord.
-Tiens assieds-toi,me dit-il.
Puis il se rendit dans la cuisine, rapportant un plateau sur lequel étaient posés deux verres remplis de Coca-Cola.
-Pour une fois,mes parents m'ont autorisé à en boire,plaisanta t-il.Tu en veux aussi ?
-Je veux bien,mais tu ne diras rien à mes parents hein ?
-C'est promis,ne t'inquiète pas.
Puis il fit un nouvel aller retour vers la cuisine,ayant oublié la bouteille dans le frigo.
-Au moins comme ça,on pourra se resservir !
Puis il s'assit à son tour,et mit enfin le match,qui était sur le point de commencer.J'étais très impatient à l'idée de visionner mon premier match du Barça.Après quelques minutes de présentation,les compositions s'affichèrent sur l'écran.Hector réagit :
-Regarde moi tous ces joueurs incroyables ! Xavi,Iniesta,Busquests,Messi,Pedro,David Villa...On va se régaler Pedro !
Aucun de ces noms ne m'étaient familiers,sauf celui de Messi,mais j'allais vite apprendre à les connaître.En effet,dès le début du match,c'est un Barça dominateur qui mit Getafe dos à mur,au Camp Nou en plus.Le premier but arriva de la part de Messi,à l'entrée de la surface,sur un superbe centre de Dani Alves.
-Buuuuuuuuuuuttttttt ! cria Hector tout en se levant.On a marqué !
De mon côté,je me contentai d'applaudir, effectivement séduit par le jeu proposé par ce club inconnu.
-Je reconnais qu'ils sont forts,avouai-je.
-Et encore,tu n'as rien vu ! ajouta Hector.
Puis il prit une gorgée de Coca,et se remit à regarder le match.Et à la surprise générale,Getafe égalisa quelques minutes plus tard,1-1 !
Hector grogna sur le moment.Puis il retrouva le sourire lorsque juste avant la mi-temps,Messi,une nouvelle fois,marqua d'un plat du pied sur une passe de David Villa.But ! 2-1 !
Pendant qu'Hector continuait à danser et à sautiller,je regardai,ébloui."Quel club"songeais-je.En effet,en regardant jouer ce Barça,j'avais l'impression que tout semblait fluide,facile.Des joueurs de qualité pouvant faire d'incroyables différences individuelles tel que Xavi,Messi ou encore Iniesta.Les passes étaient millimètrées,les dribbles, impossibles à parer.Je voyais la défense de Getafe se faire ridiculiser face à tant de talent,et cela me séduit.Beaucoup même.Encore une fois,je n'étais pas un analyste ou un expert dans le football,mais il y avait des choses qu'il était simple de remarquer de ses propres yeux.L'intelligence de jeu des joueurs catalans en était une.Parfois,durant le match,je me demandai et me dis : "Mais comment a-t-il  pu faire une passe comme ça ?","Oh,sa passe vient de casser les lignes adverses, comment est ce possible d'être aussi fort"ou encore "Wow". Tout simplement.Des fois,pas de questions.Juste de l'admiration,et du choc face à une telle équipe.Je n'avais alors jamais rien vu de pareil.Tout cela me semblait irréel.Facile.Trop facile.Tellement facile que cela me donnait envie de me lever,d'aller jouer,de faire comme eux,et en même temps,de rester assis sur ce canapé et juste contempler l'incroyable jeu qui se présentait devant nous.C'était une équipe soudée,très cohérente,et cela,je le remarquai.Et ça me plu énormément.Dès lors,mon cœur devint catalan.
La fin du match fut anecdotique.Un but de Xavi,puis un but de Pedro,et enfin un but de Dani Alves.5-1,et une prestation exceptionnelle qui m'avait fait me dire "Mais,ce n'est pas un match de Liga,c'est un match de Ligue des Champions".Lorsque le coup de sifflet final retentit,Hector se mit à crier :
-On a gagné,on a gagné,on a gagné,on a gagné !
Puis il tourna le regard vers moi :
-Allez Pedro,rejoins moi,et crie avec moi : On a gagné,on a gagné !
Le lendemain de ce match,mon choix était au fond de mon coeur d'ores et déjà fait : Barcelone serait le club qui occuperait celui-ci,mon club,celui que je supporterais.Et ainsi, après le match face à Getafe,Hector m'accueillit une deuxième fois,puis une troisième,puis une quatrième...Et nous finîmes par passer d'interminables soirées à crier et à serrer les poings sur les matchs du Barça tout en se prenant dans les bras.Des moments de joie intense,des moments de bonheur,dont je me rappellerai toute ma vie.Et ces soirées renforcèrent également mon désir de jouer au football.Ce fut comme un bouleversement dans ma vie,et après cette année mouvementée,c'est à partir de l'année 2013 que tout changea pour moi.Désormais,j'avais un club à supporter,des valeurs à partager,des amis fidèles,des idoles,et surtout,une passion : le football.Franchir le pas était donc la dernière étape,mais aussi la première.En tout cas,c'est ce pas,qui était le plus dur à faire,et je ressentais comme un blocage,une réticence forte.Mais finalement,un évènement vint tout bouleverser...

À suivre...