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Bon, faisons une courte pause dans mon récit. Tu dois te dire, jeune Archiviste, que ce démon n'avait pas l'air de faire bien peur. Peut-être ai-je enjolivé un poil les dialogues, couvert mon malaise avec un peu d'humour. Je n'y peux rien, c'est un « coping mechanism » ! Je suis du genre à rire pendant un enterrement alors... Bref, revenons à mon rapport.

J'étais à présent assise à la table d'une pizzeria, bondée en ce soir d'Halloween, en face du fameux démon, sans bien savoir si j'étais prisonnière ou non. Mais qui aurait osé contredire un démon métamorphe tout droit sorti des entrailles de l'Enfer dans son envie de tester la cuisine napolitaine ? Monsieur avait décidé de se laisser tenter par une margarita, mais je sentais qu'il y aurait bien ajouté une touche personnelle, comme par exemple quelques dés de rate humaine pour agrémenter la sauce tomate. Perturbée par le vacarme assourdissant de la clientèle et le danger imminent, incapable de prendre une quelconque décision, j'avais commandé la même chose que lui. Aussi, je contemplais ma pizza rouge sang, avec une absence totale d'appétit, en me demandant sérieusement comment j'allais pouvoir me sortir de là...

– C'est... intéressant, dit-il à la seconde bouchée. Allez, mange ! m'ordonna-t-il.

S'agissait-il d'une stratégie pour m'engraisser avant de me dévorer toute crue ? Je frissonnai.

– C'est-à-dire qu'étant donné que je vais servir de dessert, balbutiai-je, je n'ai pas tellement faim...

Il éclata d'un rire qui me glaça le sang.

– Allons, commença-t-il. Tu m'amuses beaucoup, mais je vais tout de même mettre fin à ta tourmente.

Il marqua une pause, sondant quelques secondes mon visage inquiet.

– Je ne suis pas le démon que tu cherches, révéla-t-il enfin.

Je levai un sourcil interrogateur, circonspecte. Il attrapa un quignon dans la panière.

– Tes copains du MAS devraient savoir qu'un démon métamorphe et un démon démembreur sont bien différents, expliqua-t-il tout en arrachant un morceau de croûte entre ses dents. Démembrer brutalement les gens ne m'intéresse pas, pas plus que de les dévorer. Mon espèce est plutôt du genre à se délecter d'une sorte de torture beaucoup plus psychologique, jouer sur les apparences, les peurs... Quant à moi, je suis quelqu'un de relativement tranquille, même si je n'ai pu m'empêcher de te filer une petite frayeur. J'en suis vraiment désolé. Déformation professionnelle, tu comprends ? J'espère que tu ne m'en veux pas trop. Bref, j'étais parfaitement sincère à propos de mes projets de tourisme culinaire !

Un long silence plana, durant lequel je ne sus pas exactement quoi faire de toutes ces informations. Mon cerveau semblait paralysé par la tournure inattendue des évènements. Je me sentais mi-incrédule, mi-emplie d'espoir. Si tout cela était vrai, alors j'avais peut-être une chance de me tirer d'affaire... Mais j'avais encore une chose à éclaircir, pour m'assurer que je n'allais pas terminer en garniture sur une pizza.

– Mais vous avez bien tué quatre Agents avant moi ? parvins-je enfin à bredouiller.

– Bien sûr, ils m'ont attaqué sans même me laisser le temps de leur expliquer que j'étais sur les traces du même démon qu'eux ! Une vraie bande d'idiots !

– Vous visez aussi ce démon... démembreur ? m'étonnai-je.

– Evidemment ! s'exclama-t-il. Ses agissements indiscrets compromettent mon voyage à Paris ! J'aimerais pouvoir visiter tranquillement Montmartre sans avoir une horde d'Agents du MAS sur le dos !

Revigorée par ces révélations que j'avais pourtant toujours du mal à croire, je croquai une part de ma pizza désormais froide. Il esquissa un sourire en me voyant manger enfin. Un frisson de peur me parcourut tout de même l'échine, car je ne pouvais m'empêcher de craindre que tout cela ne soit qu'un vaste mensonge, destiné à mieux m'engloutir pour le dessert...

Le Démon du Sacré-CœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant