Chapitre 1

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Alma

12 juillet 2017 

Medellín, Colombia.

Le crépuscule enveloppe le jardin dans une douce lueur, et je prends une grande inspiration, essayant de me détendre. Une brise légère fait danser les feuilles des palmiers au-dessus de nous. La table en bois, dressée sous le grand olivier, est couverte de plats qui me rappellent les soirées d'enfance : guacamole frais, ceviche de poisson, tamales fumants. J'ajuste ma robe blanche, consciente du regard de mon père, Antonio, qui, comme toujours, scrute chaque détail.

Il est encore à l'intérieur, en pleine discussion avec Jairo Ferna. Ils parlent bas, mais je sais déjà ce qu'ils se disent. Papa est le cerveau financier derrière l'empire de Jairo. C'est lui qui gère l'argent sale, les transactions compliquées, les comptes cachés dans des paradis fiscaux. Depuis des années, il tient les rênes de cette machine infernale qu'est le Cartel del Golfo. Mais ce soir, quelque chose dans l'air me semble plus lourd que d'habitude.

Je m'assois à ma place, face à lui, et j'essaie de calmer le nœud qui se serre dans mon ventre. Marina et Lorio, les enfants de Jairo, rient à l'autre bout de la table, inconscients de la gravité qui plane sur nos vies chaque instant. Ils parlent de leur dernière virée à Cancún, de l'argent qu'ils ont gaspillé dans les clubs les plus huppés, comme si tout cela n'avait aucune conséquence. Ils n'ont jamais eu à se salir les mains, protégés par le bouclier que leurs père a bâti autour d'eux.

— Alma, puedes traer más tortillas, por favor ? demande ma tante d'une voix douce, sa main posée sur mon bras. (Peux-tu apporter plus de tortillas, s'il te plaît ?)

Je me lève en direction de la cuisine, le jardin est somptueux, orné de plantes luxuriantes et d'une piscine illuminée qui renvoie la lueur des étoiles. C'est un endroit qui respire la sécurité et le pouvoir. Quand j'arrive à la porte, je me fige en entendant la voix basse de Jairo.

— ... problème avec le Cartel des Ábrego, Caídos de Medellín, souffle Jairo, son visage se fermant. Ils veulent nos routes. On a perdu deux convois cette semaine. Ils tentent de nous affaiblir.

Il faut tout transférer avant la fin du mois.

Je retiens mon souffle, me cachant derrière le mur.

— Ils ont déjà tué plusieurs de tes gardes sur les routes vers le Venezuela. Ça devient personnel. Et le transfert vers Zurich ? demande mon père, l'air grave.

— C'est validé, fais le. Mais ça devient de plus en plus risqué. Les nouvelles mesures de sécurité sont un enfer, même pour moi. Il va falloir faire profil bas quelque temps.

Depuis quand la situation est-elle devenue si tendue ? De retour à la table, je pose les tortillas et essaye de me joindre aux conversations légères. Ma tante me remercie d'un sourire tendre, comme si elle ne remarquait pas la tempête dans mon regard. Peut-être qu'elle la voit, mais préfère l'ignorer.

— Alma, viens manger, m'appelle Marina en me tendant un verre de limonade. Il ne faut pas te faire désirer.

Je m'assois à nouveau et observe les visages familiers autour de moi. Mon frère Danilo est à l'autre bout de la table, me jetant un regard complice. Il a ce sourire qui me réconforte toujours, cette assurance tranquille qui me fait croire, l'espace d'un instant, que tout ira bien. Il a toujours été la deuxième moitié de mon cœur.

Je fais un effort pour sourire en retour, mais je sais qu'il voit clair dans mon jeu. Danilo se lève et se place derrière moi, posant doucement ses bras sur mes épaules pour me parler plus discrètement, son souffle chaud effleurant mon oreille.

Muñoz por ÁbregoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant