Alma
Je roule un moment avant d'apercevoir, au loin, le clocher de Jericó. Le soleil vient à peine de se lever, et les rues devraient être désertes à cette heure. Pourtant, à mesure que j'approche, des lumières clignotent dans la ville, illuminant la route comme des signaux d'alerte. Je ralentis, serrant le volant à m'en blanchir les jointures. D'énormes convois de Policía Nacional de Colombia bloquent l'accès principal, des ambulances stationnées tout autour. Une fusillade dans les rues, sûrement.
Je n'ai pas le choix. Pour passer cette ville, je dois prendre les petites routes de contrebande, les chemins boueux et sinueux que j'avais évités jusque-là. Je serre les dents et m'engage sur un sentier à peine visible, bordé d'arbres denses. La voiture rebondit sur les creux, chaque secousse résonnant douloureusement dans mon corps épuisé.
Soudain, en sortant d'un virage serré, mes phares illuminent une silhouette humaine. Mon cœur rate un battement. Quatre hommes, en armes, se tiennent là, au milieu du chemin, leurs regards braqués sur moi. Je reconnais immédiatement leurs tatouages distinctifs sur le cou. Les serpents enroulés autour d'un poignard. Caídos de Medellín.
Je freine brusquement, le cœur battant à tout rompre.
— ¡Puta, puta, puta! crie-je dans l'habitacle, la panique m'aveuglant.
Je jette un coup d'œil derrière moi, cherchant désespérément une échappatoire. Demi-tour, je dois faire demi-tour. Mais avant que je n'aie le temps d'agir, l'un d'eux pointe un doigt vers moi, alertant les autres de ma présence. Mon corps entier se tend alors qu'ils commencent à s'avancer vers la voiture, leurs visages indéchiffrables. La panique monte en flèche, ici, il ne suffit que d'un seul regard, si ma gueule ne leur plaît pas, ils me descendent sans hésiter. Pas de questions, pas de pitié.
Je suis coincée.
Je tente de reculer, mais les gardes se précipitent sur moi comme des fauves affamés. Dans un élan désespéré, je lâche le volant et sors de la voiture, mon sac à la main, et je me mets à courir dans la forêt, le cœur battant à tout rompre. Les branches m'agrippent, le sol est inégal, mais je ne peux pas me permettre de ralentir.
— ¡Alto! ¡Detente! crie l'un des gardes derrière moi.
Je les entends échanger des insultes, leur rire résonnant dans les ténèbres.
— Regarde-la, la petite perdue ! dit l'un d'eux, moqueur. Elle pense qu'elle peut s'échapper !
— Elle ne sait même pas où elle va ! rétorque un autre, leur voix pleine de mépris.
Mais alors, je trébuche sur une fosse cachée sous les feuilles et m'écroule violemment au sol. La terre est sèche, dure, et la douleur me traverse comme un éclair. Je sens un élancement dans mon genou, une brûlure au coude. Mes mains s'enfoncent dans le sol, griffant désespérément la terre poussiéreuse. Le souffle coupé, je tente de me relever, mais le poids de la situation me cloue au sol. Ils se rapprochent. Le son de leurs pas se fait plus distinct, martelant dans mon esprit comme le tic-tac d'une bombe prête à exploser.
Je tends la main, mes doigts tremblants glissent sur la couverture rugueuse du carnet, déjà salie par la poussière. Mon cœur bat à tout rompre. Mes yeux fouillent frénétiquement autour de moi jusqu'à ce que je repère un buisson proche, ses feuilles épaisses formant une couverture naturelle. Je me traîne à quatre pattes, mes genoux raclant le sol, et pousse le carnet sous les branches basses. Mes doigts s'enfoncent dans la terre meuble, grattant la surface pour creuser un espace juste assez grand. Je plaque le carnet à l'intérieur, recouvrant son cuir usé avec des feuilles mortes et un peu de terre que je lisse du bout des doigts.
Chaque seconde compte. Je m'assure que rien ne dépasse, prenant soin de réarranger les feuilles de façon à ce que l'endroit semble intact, comme si personne n'avait jamais touché ce buisson. Le bruit des gardes devient de plus en plus oppressant. Une dernière vérification – rien ne semble anormal. Je me redresse difficilement, ma respiration haletante, les muscles tendus. Ils ne doivent jamais savoir ce que j'ai caché ici.
Les pas se rapprochent. Je lutte pour me relever, mais une main agrippe ma veste, me tirant vers le haut. Je me retrouve face à deux gardes, leurs visages impassibles, leurs yeux perçants.
— ¿Quién eres tú? (Qui es-tu ?) me crie l'un d'eux, son ton autoritaire.
— On ne te laissera pas t'en sortir comme ça, petite! dit l'autre avec un ricanement.
Un troisième garde arrive, essoufflé, et lance un regard vers la voiture abandonnée.
— La bagnole est déclarée volée, annonce-t-il, la satisfaction dans la voix.
Le garde qui me tient toujours par ma veste lève les sourcils, un sourire sournois se dessinant sur ses lèvres.
— Le patron va être intéressé par ça. Appelle-le, ordonne-t-il, me maintenant fermement en place.
Mon cœur se serre d'angoisse alors que je réalise que c'est la fin.
Le deuxième garde sort son téléphone et compose un numéro, son visage sérieux tandis qu'il s'éloigne légèrement. Je peux entendre sa voix forte et claire, pleine de confiance.
— Oye, jefe, commence-t-il. On a attrapé une gamine perdue dans la forêt. Elle a volé une voiture et semble être seule ici.
Un frisson de peur me parcourt le corps à l'idée qu'il parle de moi à leur patron, Juan, le chef des Caídos De Medellín est bien connu, la peur, la terreur, la crainte, voila ce qu'il inspire au peuple et au gouvernement.
Si c'est lui qui a orchestré l'attaque, alors je suis dans un danger mortel. Je reste silencieuse, mes pensées s'embrouillent. Ne dis rien, Alma, ne fais pas de vagues, je me répète intérieurement, redoutant le moment où ils réaliseront que je suis la fille d'un Cartel rival.
Le garde qui me tient me jette un regard, sa main serrée sur ma veste. Je sais que débattre serait suicidaire. Une seule mauvaise parole et je pourrais me retrouver avec une balle dans la tête. Je respire lentement, tentant de contrôler ma panique.
— Sí, jefe, continue le garde au téléphone, ses yeux se posant sur moi d'un air calculateur.
Il arrache mon sac de mes mains et fouille dedans avec précipitation, éparpillant mes affaires sur le sol. Ses doigts se referment finalement sur ma carte d'identité.
— Alma Muñoz Alvarez, annonce-t-il, comme une sentence.
Je sens la peur m'envahir. Ils savent qui je suis. Ma famille. Ce nom. Tout ce que cela implique. Le garde hoche la tête, un sourire narquois aux lèvres.
— Ok, on la ramène, jefe.
Il raccroche et me regarde avec un mélange de curiosité et de mépris.
— T'as de la chance, niña. Le patron veut te voir.
VOUS LISEZ
Muñoz por Ábrego
RomanceAlma Muñoz Álvarez, fille d'un riche financier lié aux narcos, voit son monde s'effondrer lorsqu'une attaque brutale décime toute sa famille. Fuyant pour sauver sa peau, elle tombe entre les mains de Juan Ábrego Méndez, impitoyable jefe du cartel Lo...