Chapitre 1

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« Je n'y croyais pas quand on me disait que ça n'arrivait pas qu'aux autres. Que le malheur  était une vague totalement imprévisible qui pouvait vous emporter à n'importe quel moment, subitement, sans prévenir. Je n'étais pas préparée à cette déflagration de douleur. Je ne m'attendais pas à ce que le monde s'écroule. A ce que mon monde, s'écroule.

Pourtant, c'est arrivé. Un après-midi, le temps d'une phrase, le sable s'est arrêté de tomber dans le sablier. L'aiguille du temps s'est figée. Mon cœur s'est arrêté, battement bloqué sur cette nouvelle qui m'est tombée dessus, me laissant hébétée, anéantie... » MOI

« J'ai toujours eu l'impression de vivre à la mauvaise époque. D'être emprisonné dans ce corps qui me retient bloqué dans un monde qui n'est pas le miens. Aveuglé par les flashs de ce monde trop lumineux et bruyant, je me perds dans la frénésie du monde qui m'entoure. Je rêve de mon enfance, de ce temps où tout était permis, où notre plus grande préoccupation était de réussir à étouffer nos rires dans l'oreiller, le temps où les oiseaux chantaient et où le mot bonheur n'avait pas besoin d'être prononcé car il était là, toujours présent à résonner dans l'air. » LUI

-Elena, descends, on mange ! Tu ne peux pas rester toute la journée enfermée dans ta chambre. La voix de ma mère me fait sortir de ma torpeur. Mais seulement durant un court instant, car mon cerveau me rappelle subitement que dans les mots « on mange » il y a le verbe manger et que ça fait six mois que j'en suis presque incapable. J'essaie de faire diminuer le bloc de pierre qui appuie sur mon cœur et bloque mon estomac, mais impossible. J'ignore l'appel de ma mère et je monte le son au maximum dans mes écouteurs. Mais rien à faire, le vide est toujours présent, un vide qui prend trop de place dans ma tête. Je repense à hier soir avec un amer goût de regret et de culpabilité. Pourquoi j'ai bu autant ? La souffrance avait décidé à ma place et j'avais empoigné, comme un automate, la mauvaise bouteille qui trainait dans ma chambre d'une soirée passée. Et j'avais commencé à boire, boire, et boire encore pour oublier ce vide et ce manque qui m'étouffe depuis que tu n'es plus là, pour avoir la certitude que ce sentiment de culpabilité disparaisse de mon putain de cerveau au moins pour quelques heures.

On dit que ça finit par s'atténuer, que tout passe avec le temps, mais surtout on dit que je n'y suis pour rien et qu'on n'aurait rien pu y faire. Mais on dit aussi un beau paquet de conneries et moi ça m'avance à quoi ? Rien ne me fera oublier. Rien ne m'enlèvera l'envie de te rejoindre au moment où je n'y tiendrais vraiment plus. Je n'ai pas envie d'être heureuse, et d'ailleurs, de quel droit le serais-je si je n'ai même pas été foutue de voir qu'on ne te rendait même pas assez heureux pour renoncer à te foutre en l'air ? Si au moins tu avais laissé une lettre, que je comprenne. Tu n'avais pas le droit de me laisser comme ça, tu avais promis que je serais la marraine de tes gosses, putain ! Il n'y a jamais eu un moment où il a été question d'une vie sans toi. On n'est pas une de ces familles avec cinq enfants, y avait que toi et moi, tu m'entends ? Et depuis que papa s'est remis avec une conne maintenant que ta mère n'est plus de ce monde, il est obsédé par le tofu et les graines et me parle que de méditation. Et puis comme figure maternelle, tu croyais que j'allais pouvoir me débrouiller seule avec la mienne ? C'est à peine si elle m'adresse la parole, si ce n'est pour me dire que j'ai cas voire un psy au lieu de me morfondre. Pour elle c'est facile, elle ne t'a jamais supporté et elle a toujours vu comme une trahison de ma part que je t'aime autant alors que tu n'étais pas son fils. C'est ça le problème. Personne ne comprend. Personne ne comprend pourquoi mon monde s'est arrêté de tourner.

Vire sans toiWhere stories live. Discover now